De l’affaire Hariri à l’assassinat de Khashoggi, la méthode « MBS »

Il y a un an, le premier ministre libanais était retenu en Arabie saoudite et forcé de démissionner. Derrière cette machination, Mohammed Ben Salman, prince héritier soucieux de regagner du terrain sur le rival iranien. Un épisode rocambolesque qui porte en germe l’horreur de l’affaire Khashoggi.

Rien de mieux qu’une petite blague pour détendre l’atmosphère. Mohammed Ben Salman, le prince héritier saoudien, le sait bien. La légèreté n’est pas le fort de ce colosse impavide d’un mètre quatre-vingt-dix, au visage mangé par une grosse barbe noire. Ce qui frappe plutôt ses interlocuteurs, c’est son débit mitraillette, son regard intense, « fiévreux » disent certains, et les tics nerveux qui hachent parfois son élocution. Mais ce mercredi 24 octobre, à la tribune du « Davos du désert », la conférence-vitrine de son plan de réformes du royaume, le dauphin de 33 ans comprend qu’il doit forcer sa nature.

C’est sa première intervention publique depuis l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. L’éditorialiste du Washington Post, très critique de l’action de celui que le monde entier appelle « MBS », a été liquidé le 2 octobre, dans le consulat saoudien d’Istanbul (Turquie), par une escouade de barbouzes venus de Riyad.

Le jeune ambitieux, souverain bis d’Arabie tant son père, le roi Salman, est effacé, se trouve depuis ce jour dans l’œil du cyclone. Rares sont les observateurs à ne pas voir, sinon sa main, du moins son ombre dans la sordide opération menée sur les rives du Bosphore.

L’image du modernisateur ébranlée

Les détails aux relents moyenâgeux fournis par la presse turque – le corps de Khashoggi aurait été démembré au moyen d’une scie à os avant d’être dissous à l’acide – ébranlent son aura de modernisateur. Une image construite autour de quelques mesures spectaculaires, comme l’octroi du permis de conduire aux femmes, la réouverture des cinémas et le plan « Vision 2030 », qui promet de rompre l’addiction du pays au pétrole.

La mise à mort de Jamal Khashoggi menace aussi l’avenir politique de celui qui se promettait de régner durant trois, quatre ou cinq décennies d’affilée.

Alors, devant les centaines d’entrepreneurs et d’investisseurs du monde entier réunis au Ritz-Carlton de Riyad, MBS commence par dénoncer un « incident hideux et injustifiable », assurant que la « justice prévaudra ». Il se lance ensuite dans une longue et improbable tirade à la gloire du monde arabe, prédisant que d’ici à cinq ans, cette région accablée de tous les maux sera l’égale de l’Europe.

Et puis, pour finir de séduire son auditoire, il s’offre donc une petite plaisanterie. « Le premier ministre Saad reste pour deux jours dans le royaume, dit-il en désignant le chef du gouvernement libanais, Saad Hariri, assis à ses côtés. J’espère que vous n’allez pas répandre la rumeur qu’il a été kidnappé. » La salle s’esclaffe mais la boutade a un goût douteux.

Alors, devant les centaines d’entrepreneurs et d’investisseurs du monde entier réunis au Ritz-Carlton de Riyad, MBS commence par dénoncer un « incident hideux et injustifiable », assurant que la « justice prévaudra ». Il se lance ensuite dans une longue et improbable tirade à la gloire du monde arabe, prédisant que d’ici à cinq ans, cette région accablée de tous les maux sera l’égale de l’Europe.

Et puis, pour finir de séduire son auditoire, il s’offre donc une petite plaisanterie. « Le premier ministre Saad reste pour deux jours dans le royaume, dit-il en désignant le chef du gouvernement libanais, Saad Hariri, assis à ses côtés. J’espère que vous n’allez pas répandre la rumeur qu’il a été kidnappé. » La salle s’esclaffe mais la boutade a un goût douteux.

Le lendemain, vers 8 heures, des émissaires du dauphin viennent le chercher à sa villa. L’héritier Hariri se dit que l’excursion dans le désert commence à un horaire étrangement matinal, mais il est prêt, en jeans et tee-shirt.

Arrivé à un palais de MBS, le leader libanais est séparé de son escorte personnelle. Il est introduit dans une pièce où trois fidèles du prince héritier l’attendent : Thamer Al-Sabhan, le gestionnaire du dossier libanais à la cour royale, Walid Al-Yaacoub, son adjoint, et Saoud Al-Qahtani, le conseiller média de MBS.

Le premier, militaire de carrière, est un faucon allergique à l’Iran, associé au clan Salman de longue date. Passé dans la diplomatie, il s’est doté d’une image d’homme de terrain, fonceur, en rupture avec les conciliabules de salon, dont ses collègues sont traditionnellement friands. « Il a voulu être le Qassem Soleimani saoudien », résume un politicien libanais qui le connaît bien, en référence au général vedette des gardiens de la révolution, cerveau de l’expansionnisme iranien au Proche-Orient.

Mais ses manières frustes ne sont pas à la hauteur de ses ambitions. En août 2016, huit mois seulement après son arrivé à Bagdad comme ambassadeur, le gouvernement irakien, lassé de ses déclarations fracassantes, obtient son renvoi à Riyad. Sa hargne anti-Iran s’est reportée depuis sur le Hezbollah, le mouvement chiite libanais, allié de Téhéran et partenaire de la coalition au pouvoir à Beyrouth, qu’il qualifie sur Twitter de « Parti de Satan ».

Le deuxième, plus sophistiqué, sur le point d’être nommé ambassadeur à Beyrouth, n’en pense pas moins que Hariri est un « pantin », dixit l’un de ses interlocuteurs libanais. L’insistance du premier ministre, centriste autoproclamé, à composer avec le Hezbollah insupporte les hommes de Riyad. Le Parti de Dieu, en plus de contrôler l’électorat chiite libanais, dirige une armée parallèle, qui tient Israël en respect dans le sud du pays, combat aux côtés des forces loyalistes en Syrie, et compte quelques dizaines de formateurs au Yémen, dans les rangs de la rébellion houthiste.

Quant au troisième larron, Saoud Al-Qahtani, il est le maître d’œuvre de la campagne de mise au pas des dissidents saoudiens. « L’âme damnée de MBS », disent ses contempteurs.

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Benjamin Barthe

Source : M Le Magazine du Monde (Le Monde)

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