Rima Hassan : « Remettre les Palestiniens au centre du débat »

Orientxxi.info   –  Juriste spécialisée en droit international, Rima Hassan est l’une des rares voix palestiniennes audibles en France. Elle évoque ici la difficulté de faire entendre un autre récit sur la situation en Palestine — notamment depuis l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023 —, et revient sur le quotidien des Palestiniens, marqué par l’apartheid et la colonisation. Propos recueillis par Maël Galisson.

Réfugiée d’origine palestinienne, née dans le camp de Neirab en Syrie, puis naturalisée française, il me semble essentiel de porter la voix des Palestiniens, et notamment celle des réfugiés des camps. En France, quand il est question de la Palestine, on entend peu de voix palestiniennes, et encore moins celles de femmes jeunes. Quand j’interviens dans les médias, je me rends compte que le récit palestinien « fait tache » au milieu des experts et des journalistes.

Depuis l’attaque du Hamas menée le 7 octobre 2023, c’est encore plus compliqué. Ce qui s’est passé ce jour-là est horrible, et nous touche dans notre humanité. Mais si je peux me sentir solidaire de la société civile israélienne et du traumatisme qu’elle a vécu, il m’est impossible de soutenir l’État d’Israël, alors que nous sommes témoins de violations continues du droit international à l’encontre du peuple palestinien.

Le débat est aujourd’hui confisqué, réduit à ce tweet de l’armée israélienne le 12 octobre dernier : « Soit vous soutenez Israël, soit vous soutenez le terrorisme ». Avec ce type de déclaration, l’armée israélienne supprime toute nuance sur ce que revendiquent les Palestiniens depuis des années : un pays. Le peuple palestinien, ce n’est pas le Hamas. Depuis le 7 octobre, je n’ai vu nulle part un discours condamnant ses actes tout en insistant sur une société palestinienne qui ne se réduit pas au Hamas. Aujourd’hui, quand j’écoute les discours des responsables politiques, les débats sur les plateaux de télévision ou sur les réseaux sociaux, je me sens niée dans mon identité de Palestinienne.

 

« Je suis née en colère »

 

Quand on regarde la manière avec laquelle la situation en Palestine est traitée en France, on constate que le débat est imprégné de la rhétorique officielle israélienne. Un exemple : dans sa déclaration annonçant le siège de Gaza en réponse à l’attaque du Hamas, le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, affirme : « Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence1  » (9 octobre). En France, quand des journalistes demandent à Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, de réagir à ces propos, il s’y refuse : « Il ne me revient pas de commenter (…) la manière dont Israël décidera d’engager une riposte2  ». Il n’a même pris la peine de rappeler une seule fois le droit international qui consisterait à dire que cette opération militaire ne doit pas se transformer en une punition collective à l’encontre des Palestiniens de Gaza.

Il devenu impossible aujourd’hui de se revendiquer « propalestinien ». Être « propalestinien », cela veut dire lutter pour une égalité des droits entre Palestiniens et Israéliens. C’est aussi simple que cela. Je ne me considère pas comme une activiste. Je suis une Palestinienne qui a à cœur de parler de ce qu’elle est et la peine qu’elle ressent. Je me suis toujours sentie « en manque » d’une partie de moi-même, déracinée. Je me sens étrangère partout où je me rends, et cela doit sûrement être lié au rapport aux lieux et à l’espace qui me vient des camps de réfugiés. Et je mesure que je vais vivre jusqu’à la fin de mes jours avec ce manque qui ne sera jamais comblé par un amour, par un foyer, par du confort, par une carrière.

Je dis souvent que je suis née en colère. J’ai été biberonnée à la colère. J’ai vu ma mère traumatisée par son parcours. Il y avait quelque chose d’obsessionnel chez elle dans l’idée de parler de notre exil, de la vie dans les camps de réfugiés palestiniens. C’était « non-stop ». Comme beaucoup de Palestiniennes et de Palestiniens, je n’ai pas une image positive de moi-même, de ce que nous sommes. Quand je pense à mon identité, quand je pense à notre histoire, seules me reviennent les images d’humiliations. L’histoire du peuple palestinien est une série d’humiliations. Ce sont des blessures très profondes.

 

« Un vécu basé sur l’apartheid »

 

Embrasser la voie du droit m’a permis de me sauver de ma colère. La fondation de l’Observatoire des camps de réfugiés m’a permis de la canaliser et de la raisonner. La boussole du droit, l’obligation d’enquêter et de me pencher sur la situation des personnes en exil me permettent de dire que j’ai d’autres repères que cette colère.

Parler du vécu des Palestiniens, c’est parler d’apartheid. L’utilisation de ce terme est le résultat d’un long et minutieux travail juridique, réalisé notamment par des ONG palestiniennes, israéliennes ou internationales3. L’apartheid obéit à une logique de séparation institutionnalisée.

Celles et ceux qui refusent l’utilisation de ce terme rétorquent notamment que « s’il y a un apartheid à l’égard de tous les Palestiniens, il devrait se matérialiser partout de la même façon ». Cet argument ne tient pas, car il ne peut pas y avoir un apartheid uniforme, compte tenu de la fragmentation de l’espace vital palestinien : les territoires de Cisjordanie n’ont pas les mêmes statuts et les populations qui y vivent n’ont pas les mêmes droits, car ils ne dépendent pas des mêmes autorités.

L’apartheid se matérialise à Gaza avec un blocus illégal qui dure depuis dix-sept ans. Dans les territoires occupés, il se matérialise par un régime militaire, tandis que les colons dépendent d’un régime civil. Il faut aussi y ajouter — entre autres exemples emblématiques de l’occupation — les routes de contournement qui quadrillent le territoire. Vus du ciel, les territoires occupés ressemblent à une peau de léopard : la stratégie d’implantations des colonies juives est de s’installer entre deux villages palestiniens, coupant liaisons et communications et ainsi toute possibilité de résistance collective. L’étape suivante, c’est de tracer les routes dont les colons ont besoin et d’accaparer les ressources (notamment l’eau).

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Rima Hassan

Fondatrice et présidente de l’Observatoire des camps de réfugiés (OCR)

Source : Orientxxi.info  

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