Entre la France et ses rappeurs, la fracture fait toujours mal

La polémique provoquée par le clip «Pendez les Blancs» de Nick Conrad relance le débat sur la violence du rap. Une violence qui polarise le débat français depuis que ce style musical a débarqué dans l’Hexagone.

 

 

Eux aussi furent jadis vilipendés, hués et accusés de semer la violence. A la dernière Fête de l’Humanité, vendredi 14 septembre au parc du Bourget, les rappeurs «historiques» de NTM (pour «Nique ta mère») Joey Starr et Kool Shen ont pourtant été chaudement applaudis par les spectateurs, toutes générations confondues. Un spectacle à l’opposé de la polémique déclenchée jeudi par la diffusion d’un nouveau clip d’un rappeur jusque-là resté confidentiel, Nick Conrad. Son titre Pendez les Blancs a aussitôt relancé la machine anti-rap alimentée politiquement par la droite et l’extrême droite.

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Nick Conrad, Franco-Camerounais originaire de Noisy-le-Grand – dans le département de Seine-Saint-Denis où ont grandi Joey Starr et Kool Shen (un de leurs titres lui est même consacré) –, n’est pas une star du rap. Depuis deux jours, ses défenseurs répètent même que ses racines musicales sont ailleurs, dans le jazz et le blues. Soit. Mais les paroles de Pendez les Blancs ont été taillées sur mesure pour provoquer le scandale. «Je rentre dans des crèches, je tue des bébés blancs, attrapez-les vite et pendez leurs parents, écartelez-les pour passer le temps, divertir les enfants noirs de tout âge petits et grands. Fouettez-les fort, faites-le franchement, que ça pue la mort que ça pisse le sang», chante-t-il dans ce clip sur lequel il a ensuite accepté de s’expliquer.

«Plus profond qu’il n’y paraît»

 

Sa réponse, donnée à la radio RTL? «J’ai inversé les rôles, le système, de manière à ce que Blancs comme Noirs puissent se rendre compte de la situation […] Ce morceau est plus profond qu’il n’y paraît […] Je ne peux pas renier ce que j’ai écrit, ça touche le racisme, c’est la beauté de ce morceau, ça reste de l’art.» Une nuance qui n’a pas convaincu la justice puisque le parquet a ouvert une enquête pour «provocation publique à la commission d’un crime ou d’un délit».

Le fait que le chanteur assume avoir voulu provoquer ne fait que renforcer l’image d’une musique qui se nourrit du chaos, dans une France toujours mal à l’aise avec son multiculturalisme. Le choc est d’autant plus fort, donc facile à instrumentaliser, que cette controverse intervient après le procès des rappeurs Booba et Kaaris le 7 septembre au tribunal de Créteil. Les deux hommes – le premier, né en France, a grandi à Boulogne, dans les Hauts-de-Seine, le second, né en Côte d’Ivoire, a grandi à Sevran, en Seine-Saint-Denis – ont été au centre d’une bataille rangée entre leurs clans respectifs le 1er août à l’aéroport d’Orly. Les images des magasins dévastés et des affrontements à coups de bouteille ont renforcé l’image d’artistes habitués à la violence. Le jugement a été mis en délibéré et seul Kaaris, à la barre du tribunal, a présenté ses excuses.

Réactions politiques outrées

 

Pour sa défense, le rappeur Nick Conrad affirme que son clip est une réplique aux comportements des suprémacistes blancs aux Etats-Unis et à leurs «chasses aux Noirs». Les spécialistes de ce genre musical répondent pour leur part que le rap violent n’est qu’une fraction du rap en France, où d’autres travers de cette musique sont dénoncés, notamment le sexisme de ses chansons. Las. L’enchaînement des déclarations politiques s’est succédé comme dans un clip: «Quelle ignominie! Le rappeur prédicateur de haine Nick Conrad qui appelle à «pendre les Blancs» et «tuer des bébés blancs» doit être poursuivi et très lourdement condamné», a réagi Eric Ciotti, l’un des leaders du parti de droite Les Républicains, réputé pour ses positions sécuritaires.

Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, avait, lui, précédemment tapé fort: «Je condamne sans réserve ces propos abjects et ces attaques ignominieuses. Mes services œuvrent au retrait sans délai des contenus diffusés. Il appartiendra à l’autorité judiciaire de donner les suites appropriées à ces odieux appels à la haine.» La haine, le racisme, le rap: trois mots en forme de fractures entre les Français et le rap «made in France».

Richard Werly
Source : Le Temps (Suisse)

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