Omar Ba, nouvelle coqueluche des collectionneurs français

Figuratives et narratives, les peintures de l’artiste sénégalais traitent du développement de l’Afrique, de l’incurie de ses dirigeants et des plaies de la colonisation.

 

Attention, ne pas confondre Omar Ba, l’artiste sénégalais qui expose à partir du 8 septembre à la galerie Templon, à Paris, avec son homonyme et compatriote, l’affabulateur Omar Ba, qui s’est inventé une épopée clandestine narrée dans deux livres à succès. Si le premier, coqueluche des collectionneurs français, a vu ses prix s’envoler, le second a perdu toute crédibilité en 2009 suite aux révélations du Monde.

Grand gaillard taillé comme un rugbyman, Omar Ba, l’artiste, a grandi à Dakar au sein d’une famille nombreuse. Enfant sage, il passe son temps à dessiner, observe les gestes des artisans et ne rate pas un épisode de l’émission de télé « Esquisse et Création », le samedi soir. Ado moins sage, il traîne avec une bande de chenapans pas bien méchants. Pour éviter la dérive, ses parents l’envoient au village, puis l’enjoignent de devenir mécanicien.

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Mais au bout de trois ans de formation, Omar Ba abandonne châssis et moteurs pour rejoindre les Beaux-Arts de Dakar. Sans forcément y trouver son compte. « C’était du copier-coller de ce qui se faisait en Europe dix ans avant, raconte-t-il sans enthousiasme. Ça m’a toutefois appris des choses techniques, la capacité à créer avec trois fois rien. » Son diplôme en poche, il participe à un symposium sur la couleur en Allemagne et découvre tout ce que son école ne lui a pas enseigné, la performance et les nouveaux médias.

Chocs thermique et culturel

 

A son retour au Sénégal, un artiste suisse l’invite à postuler à la Haute Ecole d’art et de design (HEAD) de Genève. Son arrivée en 2003 sous le crachin helvétique fait désormais partie de sa légende. Plus qu’un choc thermique, Omar Ba vit un choc culturel. « On se retrouve soudain seul, les gens te regardent bizarrement, raconte-t-il. Tu dégages quelque chose de différent. »

Une autre confrontation, plus esthétique, l’attend à la HEAD. « C’était comme si je n’avais rien connu ou appris avant, j’étais perdu. On me disait que la peinture était morte. J’avais l’impression que tout ce que je faisais n’intéressait que moi. Les gens me demandaient : “Quel est ton message ?” »

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Le jeune homme, biberonné aux écrits de l’historien et panafricaniste sénégalais Cheikh Anta Diop, réalise qu’il a des choses à dire et des abcès à percer. « Au cinéma, je me suis rendu compte que dans les films sur la seconde guerre mondiale, il n’y avait pas de Noirs, indique-t-il. Mon grand-père avait pourtant été tirailleur et son fils a fait la guerre d’Indochine. On ne voit aucune trace de ces gens. »

Omar Ba n’est pas à court de sujets, mais il se trompe alors de réseaux. Plutôt que frayer du côté des galeries et centres d’art, il expose dans les salons de coiffure et les cafés, au risque de se griller auprès des décideurs de l’art contemporain. Sa peinture est alors très folklorique. « Si j’avais été un Européen faisant des choses folkloriques, mes camarades m’auraient invité dans leurs expositions. Ça aurait fait second degré. Mais quand tu viens d’Afrique, le folklore est impensable », dit-il, lucide.

Effet boule de neige

 

Jeune père fauché, il pense arrêter la peinture. Jusqu’à ce qu’il rencontre le galeriste genevois Guy Bärtschi. Depuis lors, c’est l’effet boule de neige : il expose en 2012 à la galerie Anne de Villepoix, à Paris, et migre quatre ans plus tard chez Templon. Son travail a séduit aussi bien la fondation Louis-Vuitton et le Louvre Abou Dhabi que la grande bourgeoisie occidentale. Sans forcément convaincre les critiques et commissaires d’exposition rompus à l’Afrique.

Figuratives et narratives, ses peintures traitent du développement à plusieurs vitesses de l’Afrique, des plaies non refermées de la colonisation, de l’incurie des dirigeants africains, souvent incarnés par des animaux. Ses matériaux sont simples, cartons et tissus de décoration. La palette, à dominante terreuse, s’est récemment éclaircie. Si les détails foisonnent, c’est qu’Omar Ba veut forcer le spectateur à s’attarder. « Il faut s’approcher, se perdre, puis reculer pour voir l’ensemble, dit-il. Ce va-et-vient, c’est le déplacement que j’ai fait en allant du Sénégal à la Suisse. »

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Autre mouvement, cette fois ascendant : en un an et demi, ses prix ont bondi de 18 000 à 40 000 euros. « Les Européens ont trouvé un artiste africain qui peint des sujets africains comme des Occidentaux », résume son galeriste, Daniel Templon. Pour autant, Omar Ba ne se voit pas en « Africain de service ». « J’ai ma place ici. Je ne vois pas pourquoi un artiste africain coûterait moins cher qu’un autre. Le fait d’être le seul Africain de la galerie Templon me motive encore plus pour être à la hauteur des autres. »

Son ambition ? « M’inscrire dans l’histoire de l’art, répond-il sans hésiter. Je veux qu’un jour on parle des artistes africains comme on parle de Manet. » Rien de moins !

Du 8 septembre au 27 octobre à la galerie Templon, 28, rue du Grenier-Saint-Lazare, 75 003 Paris, www.templon.com

Roxana Azimi

 

Source : Le Monde (Le 19 août 2018)

 

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