Mauritanie : notes noires, notes blanches

La Mauritanie est comme le blanc et le noir de l’œil, qui permettent la vue. C’est par cette métaphore que le président Moktar Ould Daddah définissait la nation dont il prit la destinée à l’indépendance, en 1960. Sa « composition bi-ethnique est une réalité qu’aucun dirigeant mauritanien ne peut ignorer sans prendre le risque de mettre en cause l’existence même du pays », écrit-il dans La Mauritanie contre vents et marées [éd. Karthala, 2003]. Symbolique, l’image relève de faits culturels, religieux, géographiques. Et géopolitiques au moment où la Mauritanie accueille le 31e sommet de l’union africaine.

Ils sont nombreux, les signes et les composants d’une Mauritanie arabe et africaine. Madina Touré, chercheuse et bibliothécaire à l’université de Nouakchott, en offre régulièrement de passionnants exemples dans ses écrits, photos à l’appui.

Les métissages, à travers les mariages, traversent moult familles religieuses et guerrières du Trarza au Cayor, en passant par le Fouta, de part et d’autre du fleuve Sénégal. Sur le plan religieux, on connaît la contribution des marabouts mauritaniens au rayonnement de l’islam dans la sous-région, en particulier les régulières ziara (rendez-vous pieux autour d’un marabout ou d’un lieu saint) des khadriyas, tidjanes, hamallahs et même mourides.

Dans l’est du pays, des vestiges archéologiques attestent de la forte présence des communautés noires à Koumbi Saleh, Oualata, Ouadane, Tichitt et Chinguetti (« puits du cheval », en soninké), des sites classés au patrimoine mondial de l’unesco et auxquels, chaque année, depuis 2011, est consacré le Festival des villes anciennes.

La culture n’est évidemment pas en reste. La diva Malouma Mint Meiddah construit l’essentiel de son répertoire musical à partir des métissages arabes et négro-africains, où les notes noires et les notes blanches trouvent leur sens. Les plasticiens Mokhis, Amy Sow, Béchir Maloum et Saleh Lô y puisent aussi la force de leurs toiles.

Mais les événements de 1989, qui l’ont opposée au Sénégal voisin, projettent sur la Mauritanie une tache bien sombre. S’il y a eu des drames humains de part et d’autre du fleuve, de forts et douloureux cris proviennent de Mauritanie, où la communauté noire se trouve stigmatisée. Comme toute littérature est fille de son temps, nombre de textes reviennent sur ce triste épisode. Et ces écrits gagneraient à être lus non comme une volonté de leurs auteurs de rompre avec la mère, mais comme une volonté d’être rattachés à ce pays qui est leur.

Avec le recueil de poèmes Les Pleurs de l’arc-en-ciel [Éd. L’harmattan, 2002], qui fait écho aux multiples deuils, j’ai ainsi voulu montrer que, compte tenu de tous les liens familiaux, religieux, fraternels et de couleurs entre les peuples, la Mauritanie tout entière a été touchée. Sans comptabilité comparatiste, c’est toute la nation qui a pleuré !

Depuis son arrivée au pouvoir, le président Mohamed Ould Abdelaziz multiplie les gestes d’apaisement. Afin d’effacer la mémoire douloureuse, le 25 mars 2009, il préside une prière « de l’absent », à Kaédi, pour les victimes militaires et civiles des événements de 1989, et met en place des indemnisations. Il porte un regard vigilant sur les gestes pouvant compromettre la cohésion sociale entre les différentes communautés.

Malgré ses insuffisances, la Mauritanie reste une terre de passage et d’accueil pour les Africains, mais aussi, et de plus en plus, pour les Arabes en quête d’un pays neuf où beaucoup est à faire.

Après avoir accueilli, en 2016, le sommet de la Ligue arabe, Ould Abdelaziz, en recevant ses pairs africains, poursuit une politique volontariste qui replace la Mauritanie dans son ancrage « naturel », entre entité arabe et entité africaine. « La politique, ce n’est pas un mot, mais un comportement », disait Félix Houphouët-Boigny. Alors, Perle des sables, on t’a à l’œil !

 

Bios DIALLO

 

• Source : Jeune Afrique N° 2998 du 24 au 30 Juin 2018 (Via Bios Diallo – Facebook)

 

 

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