A Paris, les présidents Macron et Kagame jouent l’apaisement

Reçu à l’Elysée, le chef de l’Etat rwandais a salué le rôle de la France en Afrique, sans évoquer le dossier controversé du génocide des Tutsi en 1994.

A l’Elysée, on résume ainsi la recette appliquée depuis l’élection d’Emmanuel Macron pour sortir les relations franco-rwandaises de l’époque glaciaire : laisser de côté les sujets qui fâchent et travailler sur ce qui rapproche. Les mots et les quelques annonces formulés, mercredi 23 mai dans les salons de l’Elysée, à l’issue d’un long tête-à-tête entre le président français et son homologue rwandais, Paul Kagame, semblent indiquer que la méthode fonctionne, même si persistent les tensions nées du rôle de la France durant le génocide des Tutsi en 1994.

Mercredi, on ne perçut d’ailleurs ni chaleur ni complicité entre les deux hommes. « Je ne suis pas naïf, a confié le chef d’Etat français, nous n’allons pas régler le passé en une annonce et quelques signes. » Mais il y a des silences qui valent tous les mots. A aucun moment le président rwandais, visage de marbre, n’a ainsi évoqué devant la presse les contentieux qui empêchent encore une véritable normalisation des relations entre les deux pays. Ainsi, la nomination d’un nouvel ambassadeur de France à Kigali n’est pas à l’ordre du jour. Le poste est vacant depuis 2015.

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Le climat, pourtant, est plus apaisé. Reçu pour la première fois à l’Elysée depuis septembre 2011, le chef de l’Etat rwandais s’était entretenu avec M. Macron en marge d’un sommet sur l’énergie solaire, en mars à New Delhi, et, six mois plus tôt, lors de la dernière Assemblée générale des Nations unies à New York. Cette rencontre à l’ONU – « substantielle et productive » selon l’Elysée – constituerait un moment clé dans le réchauffement franco-rwandais. Emmanuel Macron lui a exposé « les yeux dans les yeux les modalités d’une relation renouvelée dans le cadre des contraintes dont [le nouvel exécutif] a hérité. [Paul] Kagame a accepté le deal », indique l’entourage présidentiel.

Un « véritable partenariat »

 

La « contrainte » principale est d’ordre judiciaire. L’instruction ouverte en 1998 en France sur l’attentat de 1994 contre l’avion du président rwandais de l’époque, Juvénal Habyarimana, et qui lança le génocide, concentre la colère de Kigali. L’enquête est maintenant close. Mais le parquet n’a pas encore annoncé s’il ordonnait la fin des poursuites contre plusieurs personnalités de premier plan proches de Paul Kagame. « On ne maîtrise pas l’agenda juridique », répète l’exécutif français. « La comédie a assez duré », rétorque Me Bernard Maingain, avocat du Rwanda.

En attendant, Paul Kagame ne refuse plus de s’afficher aux côtés du président d’un pays qu’il a si souvent accusé de « complicité » dans le génocide des Tutsi, organisé par un régime hutu alors soutenu par Paris. Emmanuel Macron avait 16 ans à l’époque et les dirigeants d’alors – tels les anciens ministres des affaires étrangères Hubert Védrine et Alain Juppé – ont perdu de leur influence. « C’est positif, Paul Kagame en tient compte », confie un habitué du palais présidentiel rwandais. En 2010, le président Nicolas Sarkozy avait reconnu lors d’un déplacement à Kigali de « graves erreurs d’appréciation » de Paris et une « forme d’aveuglement », sans toutefois présenter d’excuses.

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Mercredi, Emmanuel Macron, plaidant pour « un travail apaisé [sur] la place du génocide des Tutsi dans notre mémoire collective », a annoncé la constitution d’un groupe de chercheurs pour « faire progresser notre connaissance sur l’un des pires drames de la fin du XXe siècle ». Parallèlement, il a souhaité que se poursuive « le travail de déclassification » des archives officielles sur cette période. Taisant ses griefs, Paul Kagame, qui, cette année, préside l’Union africaine, qu’il a engagée dans une profonde réforme soutenue par Paris, a à plusieurs reprises salué le rôle de la France en Afrique. Il a souligné le « véritable partenariat » noué entre les deux parties pour la résolution des crises sur les « points chauds » tels que la Centrafrique, la République démocratique du Congo (RDC) et le Sahel.

Politique de la main tendue

 

Paris, de son côté, met en avant ses convergences de vues avec Kigali sur des « priorités partagées », selon les mots d’Emmanuel Macron, telles que l’environnement, l’éducation ou le développement des nouvelles technologies en Afrique. Sur l’agenda français du président rwandais figure d’ailleurs une visite au salon international Viva Tech, qui accueille à partir de jeudi la fine fleur mondiale des nouvelles technologies. L’Elysée avait saisi l’opportunité de cet événement pour inviter Paul Kagame, lui qui a lancé une politique volontariste pour assouvir son rêve de transformer le Rwanda en vitrine africaine des nouvelles technologies. L’Elysée l’avait aussi convié à déjeuner mercredi avec une cinquantaine d’intellectuels et de chefs d’entreprise – dont les patrons de Facebook, Uber, Microsoft et IBM.

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Paris ne ménage pas ses efforts pour alimenter cette politique de la main tendue en signe d’apaisement. L’un des plus spectaculaires concerne le soutien affiché de la France à la candidature de la ministre rwandaise des affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Souvent pourtant, cette fidèle de Paul Kagame s’est fait la porte-parole des attaques anti-françaises de son président et a soutenu sa politique de rapprochement avec le Commonwealth.

« Les nouvelles époques apportent de nouveaux changements », s’est défendu, en anglais, Paul Kagame, ajoutant que le Rwanda, pays plurilingue, n’était « jamais sorti de la francophonie ». « Le centre de gravité de la francophonie est en Afrique. Une candidature africaine a donc un sens, que ce soit une femme a encore plus de sens », a ajouté Emmanuel Macron. Cette prise de position française risque de faire grincer les dents des associations de défense des droits humains qui, comme la FIDH en 2017, dénoncent « la mise sous tutelle de la démocratie » par Paul Kagame, aux commandes du Rwanda depuis 1994.

Christophe Châelot
Source : Le Monde

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