Les djihadistes maliens s’invitent au sommet de l’Union africaine

Deux attaques à l’explosif ont eu lieu à Sévaré et à Gao contre les militaires français de « Barkhane » et la force conjointe du G5 Sahel.

 

A leur façon, violente, les groupes armés maliens viennent de rappeler en trois jours qu’il n’était pas vain que le sommet de l’Union africaine (UA), lundi 1er et mardi 2 juillet à Nouakchott, en Mauritanie, se penche prioritairement sur les questions de sécurité du continent. La portée symbolique des dernières attaques menées contre les contingents militaires malien et étrangers démontre une fois de plus que le Mali est loin d’être stabilisé, à moins d’un mois de l’élection présidentielle du 29 juillet.

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Dimanche matin, ce sont les soldats français de l’opération « Barkhane » – 4 500 hommes déployés dans le Sahel pour lutter contre le terrorisme – qui ont été visés à Gao, la ville qui abrite la base principale de la force. L’attaque s’est produite à 10h50 heure locale, contre une patrouille dans le quartier d’Aljabandia. Les soldats français, une section d’une trentaine de militaires, circulaient dans trois véhicules blindés de combat d’infanterie, non loin d’un groupe de soldats maliens. Une partie d’entre eux avait débarqué et patrouillait à pied en ville.

Première attaque en zone civile

 

Le ministère de la sécurité malien a évoqué rapidement une « attaque suicide par véhicule piégé », indiquant qu’un « kamikaze à moto a été neutralisé et un autre a déclenché sa charge dans un immeuble de la ville ». « Le bilan est de quatre morts et vingt-quatre blessés parmi les civils, de quatre blessés sérieux chez “Barkhane” », a déclaré l’état-major français, pour qui il s’agit d’une « attaque délibérée visant “Barkhane” sans souci de la population autour ». C’est une première : jusqu’alors les attentats n’avaient visé que des emprises militaires.

Les patrouilles militaires dans Gao sont régulières, elles empruntent toujours des trajets aléatoires. La force française n’avait pas noté de signes de tension ces derniers jours. Comme l’ensemble du nord et de l’est du pays, cette grande ville sur les rives du fleuve Niger était tombée, en 2012, entre les mains d’une coalition instable de groupes indépendantistes touareg et de djihadistes, qui en avait été chassée par l’intervention française « Serval » l’année suivante.

Les groupes djihadistes n’y sont pas implantés, mais y mènent régulièrement des actions violentes. Le 18 janvier 2017, le groupe Al-Mourabitoune, affilié à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), attaquait ainsi un camp où, dans le cadre de l’accord de paix et de réconciliation signé à Alger en 2015, avaient été regroupés des hommes de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et de la Plate-forme des mouvements du 14 juin 2014 d’Alger. Plus de 70 personnes avaient été tuées dans l’explosion d’une voiture piégée.

Dimanche, l’attaque contre « Barkhane » n’avait pas encore été revendiquée. Le mode opératoire semble désigner le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), principale alliance djihadiste du Sahel dirigée par Iyad Ag-Ghali, et dans laquelle figure notamment Al-Mourabitoune.

« Bilan maigre de la force G5 Sahel »

 

Le GSIM avait déjà assumé le 29 juin la responsabilité d’une autre attaque à la voiture piégée, contre un tout nouveau quartier général de la force militaire conjointe du G5 Sahel (FC-G5S), établi à Sévaré. Cette région centrale du Mali, où « Barkhane » n’intervient pas, est devenue le point focal des violences dans le pays. C’est la première fois qu’est visé un camp de la force multinationale devant, à terme, regrouper 5 000 hommes issus des armées de Mauritanie, du Niger, du Mali, du Tchad et du Burkina Faso. Deux militaires maliens ont été tués.

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Lancée en 2017 pour lutter contre les groupes armés et les trafiquants évoluant dans ce sous-espace sahélien, la force conjointe a déjà mené des opérations dans ses zones frontalières intérieures, sous une étroite supervision de « Barkhane », dont elle a vocation à prendre le relais. Cette force, soutenue par la France, l’UA et, a minima, par les Nations unies, n’est toutefois pas encore totalement opérationnelle, pas plus qu’elle n’a encore bouclé un mode de financement pérenne. « Le bilan est maigre », concède un diplomate français

Selon le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, hôte du sommet de l’UA, l’attentat du 29 juin contre le QG de la force du G5 Sahel démontre qu’il « y a encore énormément de failles » dans la sécurité qui doivent être « corrigées ». L’attaque « touche le cœur de notre système de sécurité. C’est un message envoyé par les terroristes en ce moment précis où nous nous organisons pour stabiliser, sécuriser notre région ».

Désarroi politique et social

 

Lundi, à Nouakchott, en marge du sommet de l’UA qui comportera « une dimension sécuritaire africaine très forte », précise l’Elysée, Emmanuel Macron devait s’entretenir conjointement avec les cinq présidents du G5 et le président de la commission de l’UA – le Tchadien Moussa Faki – dans le but d’accélérer la « montée en puissance » d’une structure encore fragile. « Nous soutenons les efforts de plus en plus importants consentis par les Africains pour mettre en place un système de sécurité autonome et prévisible », indique l’entourage du chef de l’Etat. « Il faut faire avancer le débat, notamment sur le volet financier », ajoute-t-on.

La conférence de Bruxelles, en février, a certes permis de mobiliser « 423 millions d’euros sur les 480 millions nécessaires au fonctionnement du FC-G5S la première année », rappelait récemment le diplomate français Hugo Sada. « Il reste ensuite à trouver chaque année 75 millions », ajoutait-il, tout en précisant qu’une « grande incertitude plane sur la fiabilité des estimations et du financement ».

Les pays membres du G5 Sahel, parmi les plus pauvres du monde, dépendent de la générosité de donateurs extérieurs, institutions internationales ou pays partenaires, qui tardent à se mobiliser. De passage à Paris début juin, le président nigérien, Mahamadou Issoufou, s’est plaint de « ne pas arriver à faire décaisser les promesses de financement » tout en rappelant que la mission des Nations unies au Mali, la Minusma, avec ses 15 000 casques bleus, engloutit chaque année 1 milliard de dollars.

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« L’argent pour le FC-G5S ne réglera pas tous les problèmes », ajoute Hugo Sada. L’Etat malien et ses administrations sont absents de larges portions du territoire, et le Mali est entraîné dans une spirale de violences qui déborde sur le Niger et le Burkina Faso voisins. Chacun s’accorde à dire que la solution militaire est insuffisante pour lutter contre une insécurité qui se nourrit du profond désarroi politique et social des populations locales.

Pour certains observateurs, tel l’historien Charles Grémont, l’intensification des opérations militaires – françaises, maliennes ou du G5 Sahel – dans ce contexte seraient même « un facteur d’instabilité dans la région et de désagrégation des communautés ». Il en veut pour preuve l’utilisation par l’armée malienne, mais aussi par « Barkhane », de groupes armés touareg « coopératifs » comme le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia) ou le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA). L’armée malienne comme ces groupes sont accusés de graves violations de droits de l’homme sous couvert de lutte antiterroriste.

Christophe Châtelot (avec Nathalie Guibert)

Source : Le Monde

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