Référendum à quitte ou double sur l’UE pour les Britanniques

La campagne s'achève dans la confusion et c'est un pays coupé en deux qui vote jeudi. David Cameron a misé sur la peur d'une récession, alors que la question de l'immigration a dominé les débats.

 

Lorsqu'il a promis, en  2013, d'organiser un référendum pour ou contre le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, David Cameron imaginait-il les dégâts qu'une pareille consultation provoquerait dans son pays ? Certes, sa promesse lui a permis de gagner les élections de 2015. Mais, un an après, l'initiative a suscité une campagne parfois hystérique, sans que le premier ministre britannique soit assuré, loin de là, de remporter le scrutin organisé jeudi 23  juin.

De l'Union européenne elle-même et de ses possibles projets, il a été assez peu question, mardi soir, lors d'un " grand débat " de deux heures, grandiose mais plutôt vain, organisé par la BBC dans une salle de 6 000  personnes, proche du stade de Wembley. Sauf pour la qualifier de " cauchemar " (les pro- " Brexit ") ou de " fantastique marché " (les pro-UE).

Le débat, en revanche, s'est intéressé aux immigrés accusés de faire baisser les salaires et d'encombrer les hôpitaux, et au fait de savoir s'il est " patriotique " ou non de quitter l'UE. Chaque intervention de " Brexiters " était infatigablement ponctuée par le refrain " Take back control " (" Reprenons le contrôle " de notre pays, de nos frontières).

En face, on dénonçait avec la même insistance " les gros bobards " sur les lendemains qui chantent hors de l'UE, sur la menace d'un déferlement de Turcs et sur les " 60  % de nos lois faites à Bruxelles " (13  % en réalité). Et, quand le maire de Londres, Sadiq Khan, a relevé que la croissance de la zone euro était plus forte que celle du Royaume-Uni ces derniers mois, il a déclenché des ricanements d'incrédulité, tant la " faillite de l'eurozone " relève du lieu commun. " Votre projet, c'est la haine ", a encore lancé M.  Khan à l'adresse de son prédécesseur, Boris Johnson, qui joue volontiers sur la peur des immigrés, mais leur a rendu " hommage " pour écarter les accusations de xénophobie qui entachent la campagne du " out " depuis le meurtre de la députée Labour pro-UE et pro-réfugiés Jo Cox.

Saut dans le vide

Alors que l'interminable campagne du référendum s'achève dans la confusion, les mensonges, les anathèmes réciproques et le ressassement de formules de communicants, le premier ministre, qui n'a pas épargné sa peine pour convaincre, est tout sauf certain de remporter la mise qu'il a fini par placer sur le " in " (maintien dans l'Europe) après avoir longtemps flirté avec le " Brexit ". Si le " out " l'emporte, jeudi, personne ne donne cher de son avenir à Downing Street. Son ami d'enfance devenu son meilleur ennemi, l'ultra-libéral Boris Johnson, n'attend que ce moment pour lui ravir sa place. Et, si M.  Cameron gagne, il aura devant lui un pays coupé en deux, qui aura opté pour l'Europe plus par crainte qu'avec le moindre espoir. Dans aucun des cas, il n'aura atteint les objectifs qu'il s'était fixés : régler définitivement la question européenne et ressouder le Parti conservateur.

Pourtant, tout devait bien se passer. A la question de savoir si oui ou non ils voulaient rester dans l'UE, les Britanniques, rationnels et pragmatiques, allaient répondre positivement, effrayés par les risques économiques consécutifs à un tel saut dans le vide. Mais la question du référendum a changé : au lieu de " oui " ou " non " au statu quo, elle est devenue " in " ou " out ", sous la pression des partisans de la sortie. La seconde proposition a acquis d'autant plus de consistance qu'elle était portée par un mot clinquant, " Brexit ". Le néologisme " Bremain " (" British Remain ", ou maintien dans l'UE), forgé par les pro-européens n'a jamais pris. Dans les médias, et en particulier à la BBC, longtemps accusée de penchants pro-européens, les deux propositions du référendum ont été traitées à égalité. Le " Brexit " a acquis ses lettres de noblesse.

Ultime supplique

La mécanique implacable du référendum a ensuite transformé une formalité en chemin de croix pour M. Cameron. Les europhobes ont transformé le débat sur l'Europe en affrontement entre " le peuple et l'élite ", le bon sens et l'expertise. Au diable les prévisions des savants, qui annoncent un tsunami économique et un affaiblissement sur la scène internationale en cas de " Brexit " : les mêmes avaient encensé l'euro, ont ironisé les " Brexiters ". Pour eux, une seule certitude tangible : la sortie de l'UE permettra de contrôler l'immigration européenne aujourd'hui libre. Et qu'importe si la fermeture des frontières se paie par le non-accès au marché unique européen. Les Allemands auront trop besoin de nous vendre leurs BMW et les Français leur vin pour oser imposer des tarifs, rétorque le camp du " out ".

Le débat a fini par balancer entre crainte pour l'économie et espoir d'une immigration contrôlée. Résultat, la véritable et étrange question à laquelle les électeurs souhaiteront sans doute répondre jeudi est : " Détestez-vous plus l'immigration que vous n'appréciez la stabilité économique ? ", comme l'écrit Janan Ganesh, chroniqueur au Financial Times. La réponse se trouve peut-être dans un récent sondage, selon lequel 61  % des Britanniques accepteraient un ralentissement de l'économie s'il permet de mieux contrôler l'immigration.

Mardi, David Cameron, visiblement harassé, a adressé, devant la porte noire du 10 Downing Street, une ultime supplique aux Britanniques, où dominait l'argument d'autorité. " Ma première responsabilité est d'assurer votre sécurité, a-t-il déclaré avec solennité. Quitter l'UE, c'est un énorme risque pour les familles britanniques, pour les emplois britanniques, et c'est irréversible. " Alors que le " in " et le " out " se tiennent dans un mouchoir de poche, selon les sondages, le premier ministre ne gagnera que si la crainte d'une récession économique l'emporte sur la tentation du repli migratoire. Et il devrait alors sa victoire à d'improbables alliés : le maire Labour de Londres, Sadiq Khan, avocat talentueux de l'Europe, les Ecossais, qui se sentent plus proches de Bruxelles que de Londres, et la députée de gauche Jo Cox, dont l'assassinat aura ramené le furieux débat sur l'immigration à davantage de retenue.

Philippe Bernard

 

Source : Le Monde

 

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