Dr Hussein Dia, psychiatre retraité : « Il y a beaucoup de familles mauritaniennes avec trop de malades mentaux, car les gens se marient entre eux chez nous »

Docteur Dia. Un nom qui résonne dans la conscience atavique de la plupart des Nouakchott. Premier psychiatre à pratiquer à Nouakchott en 1975, il rentrait alors de ses études médicales à Dakar, où il enchaîne avec des études psychiatriques, de 1963 à 1973.

A la fin de ses études, il obtient une bourse de l'OMS, pour un perfectionnement en France de trois années. Des stages dans plusieurs hôpitaux sanctionnent ce cycle académique. A la retraite depuis 11 ans, il revient dans cet entretien sur la genèse de sa discipline en Mauritanie,les écueils rencontrés, la cohabitation parfois difficile avec la médecine traditionnelle, et l'avenir de sa profession.

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Depuis quand peut-on parler d'une médecine psychiatrique en Mauritanie ?

La psychiatrie a commencé dès mon retour des études en novembre 1975. A l'époque j'étais seul, et pour être explicite, même le premier spécialiste de la question. Il n'y avait pas du tout de psychiatrie; les malades étaient pris en charge en majeure partie par les thérapeutes traditionnels, ou envoyés à Dakar; ceux qui avaient plus de moyens continuaient à Rabat, ou en Europe.

Avez-vous été confronté à des difficultés à votre retour, pour la mise en place, et la diffusion de cette discipline ?

Il y a d'abord l'aspect de l'information sur la psychiatrie. Les gens ne savaient pas qu'il existait en Mauritanie un spécialiste. Se faire connaitre par les populations, et reconnaitre par les autorités a pris quelques mois. Durant ces premiers temps, ce sont plus les autorités médicales, qui ont aidé la discipline à émerger. Le directeur de l'hôpital national de l'époque, un collègue, m'a facilité mon installation dans l'enceinte de sa structure, avec ses propres moyens. C'est là que j'ai commencé à travailler. Il y avait un projet de construction d'un service pour malades mentaux; le directeur m'a affecté une zone de l'hôpital où j'ai commencé à prodiguer des consultations.

Les médecins généralistes et les infirmiers, je me rappelle, trouvaient assez incongrue ma présence sur "leurs" lieux. Quand j'allais au service de médecine générale, très souvent le personnel avait une réponse assez laconique, me répétant à l'envie : "Docteur, vous n'avez pas de malades ici".

Finalement ce qui est arrivé, c'est qu'ils reçoivent une malade qui avait des symptômes particuliers et refusait de s'alimenter. Plusieurs bilans ont été faits, et aucune maladie organique n'a été décelée. Après plusieurs jours hospitalisée sous perfusion, ils font appel à mes services. J'ai accédé à leur demande, mais après l'avoir vue, j'ai demandé à la consulter dans mon local. J'ai demandé aux parents de la malade de m'installer une tente à l'endroit même où se situe la maternité aujourd'hui. C'était une place vide à l'époque. Et là, je l'ai mise sous traitement; au bout de trois jours elle a recommencé à s'alimenter et à parler. C'était un cas compliqué de troubles de la personnalité, une psychose schyzophrénique précisèment.

A partir de là, les gens ont commencé petit à petit à venir me consulter, d'autant que les populations sont assez curieuses de ces débuts. Particulièrement nos concitoyens maures, qui ont une très grande facilité d'adaptation à un contexte neuf. Ils ont appris que ça existait, et ils sont venus : Après avoir traîné des années chez les marabouts, et que la maladie ne disparaissait pas, ou ne s'atténuyait pas, ils sont venus tester cette nouvelle méthodologie scientifique. Les résultats étant relativement positifs, de bouche à oreille, ça s'est répandu assez rapidement. J'ai commencé à hospitaliser sous des tentes de la cour de l'hopital national. L'administration n'était pas contre, mais bon la majorité du personnel médical était composé de français. C'est allé assez vite; en quelques mois j'ai pu hospitaliser parfois jusqu'à 30 malades sous tentes. C'était un véritable campement psychiatrique au milieu de la cour de l'hôpital !

L'hôpital psychiatrique sera construit quand ?

Un pavillon psychiatrique sera achevé en 1978. Nous avons commencé à y hospitaliser quelques malades dans les chambres, tout en gardant parallèlement les tentes à l'hôpital.

Quelle a été la nature de vos relations avec les premiers patients qui venaient à vous ?

Evidemment les populations sont partagées : certains sont passés par ces thérapeutes, et ont eu des résultats parfois positifs mais de manière éphémère, car certaines maladies sont durables, chroniques, et la guérison est très temporaire. Souvent même il n'y a pas de véritable guérison, et ce sont ces personnes frustrées qui sont venues en grand nombre me voir, après 10 ou 20 ans de maladie d'un proche. A cela se sont ajoutés les nouveaux cas psychiatriques. A partir de là je consultais jusqu'à 40 malades quotidiennement. C'était beaucoup.

Est-ce qu'il y a des ponts aujourd'hui entre la médecine psychiatrique moderne, et la thérapie traditionnelle ?

C'est normal que les patients consultent beaucoup traditionnellement; ce n'est pas particulier à la Mauritanie. La difficulté c'est d'arriver à faire la différence entre ceux qui ont une certaine pratique adaptée à la culture mauritanienne, qui arrivent à faire la différence entre les maladies simples, graves, voire mortelles, et ceux qui n'ont pas cette fibre de thérapeutes traditionnels, et qui le font pour des raisons strictement pécuniaires. Ils ont une vision étriquée de la science et de la médecine. Pour eux les maladies psychiques sont des maladies liées aux djinns et esprits. Le prisme de la médecine traditionnelle est donc très variée.

On passe des marabouts informés qui n'hésitent pas à mener leurs patients en soins psychiatriques, à ceux empêtrés dans leur ignorance et qui laissent impuissants, la maladie de leurs patients s'aggraver, leur interdisant même de prendre des médicaments modernes. Ces derniers sont très dangereux. Ils ne savent pas faire la différence entre la science et le traitement traditionnel, qui existe partout dans le monde d'ailleurs. Ces tradtions peuvent être liées à la religion, à des connaissance splus ou moins occultes. Mais il est indispensable de faire la différence entre les maladies graves, chroniques, et qui ne guérissent pas avec des traitement psychologiques simples, parce que le traitement traditionnel c'est un traitement psychothérapeutique en général, or beaucoup de maladies mentales ont des origines biologiques, même organiques. Certaines sont mortelles. L'épilepsie est un de ces cas.

 

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Mamoudou Lamine Kane

 

Source :  Mozaïkrim (Le 19 décembre 2015)

 

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