« A la CAN, il y a une surreprésentation des anciennes puissances coloniales »

Spécialiste du marché du travail des joueurs de football, Raffaele Poli dirige l'Observatoire du football du Centre international d'étude du sport (CIES) de Neuchâtel (Suisse). Il explicite pour « Le Monde » la provenance des joueurs de la Coupe d'Afrique des nations (CAN), qui débute samedi 17 janvier en Guinée équatoriale.

Près de 80 % des participants à la CAN évoluent dans des clubs européens. Cela ne relativise-t-il pas la mondialisation du recrutement de joueurs africains ?

Ce constat n'est pas vraiment surprenant car on sait que le cœur du football mondial est l'Europe. Il y a donc une surreprésentation européenne, notamment des anciennes puissances coloniales que sont la France, la Belgique ou l'Angleterre. La langue joue encore un rôle majeur. Beaucoup de ces joueurs sont des binationaux nés en Europe, qu'ils n'ont jamais quittée. Mais la provenance des joueurs montre aussi un éclatement des réseaux provoquée par la mondialisation. Il n'existe plus aujourd'hui de trajectoire typique pour les footballeurs africains. Ils sont présents dans l'ensemble des pays, jusqu'en Biélorussie ou en Lituanie. Et de plus en plus dans les pays scandinaves. Un club suédois qui a peu de moyens aura bien des difficultés à attirer un joueur européen ou sud-américain. Il se tournera plutôt vers un Africain.

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La France reste néanmoins, et de loin, le premier employeur de footballeurs africains en dehors de l'Afrique. L'interdiction faite par l'UEFA de transférer des joueurs de moins de 18 ans a consolidé cette position de place forte. Les joueurs qui jouent en Turquie, par exemple, sont généralement passés auparavant par un club français et vont là-bas pour terminer leur carrière. La France est donc très dominatrice mais il est probable qu'au moins la moitié des joueurs concernés proviennent des deuxième ou troisième générations. Si on retirait les joueurs binationaux, cela ramènerait sans doute la France au niveau de l'Espagne. Ce sont très souvent des footballeurs qui ont toujours joué en France et ont l'opportunité de représenter le pays de leurs parents. C'est malheureux à dire, mais cette nouvelle chance est généralement un deuxième choix. L'exemple typique est celui des frères Pogba. Le plus doué des deux, Paul, joue pour la Juventus Turin et l'équipe de France. Son frère aîné, Florentin pour Saint-Etienne et la Guinée. En général, les meilleurs iront en équipe de France, les autres vers le pays d'origine.

Quels sont les avantages et les inconvénients de cette configuration pour les équipes nationales ?

Pour les sélectionneurs, la stratégie misant sur la diaspora peut pallier le manque de formation, de structures et de compétences locales, de compenser la faiblesse de la gestion par la fédération nationale, qui est souvent marquée par une grande instabilité. Les dirigeants du foot africain veulent tout et tout de suite, sans vision stratégique ni moindre projet sur le long terme. L'accent est mis sur l'équipe nationale au détriment de la formation, celle des entraîneurs comme celle des joueurs.

Cela donne l'illusion d'être performants et permet au sélectionneur de rester à son poste. Mais c'est finalement plus un handicap qu'un atout, qui traduit une absence d'ambition. Cela permet de remplir le principal objectif, se qualifier pour la Coupe d'Afrique des nations, mais rarement d'aller au-delà. A plus long terme, le football africain ne parvient pas à se hisser au niveau de l'Europe et de l'Amérique du sud car il ne peut mettre en place et valoriser une filière d'élite. On constate, a contrario, que les vainqueurs de la CAN sont souvent des pays où les joueurs ont grandi sur place, comme le Nigeria, l'Egypte ou la Zambie. Une trentaine de participants jouent pourtant dans un championnat africain qui n'est pas celui de leur sélection.

Quels sont les pays et les clubs recruteurs ?

Les pays d'Afrique du nord ont les moyens de recruter des joueurs d'Afrique occidentale et orientale. Au niveau des clubs, les principaux employeurs sont les deux du Caire, Al Ahly et Zamalek, l'Espérance de Tunis et quelques clubs algériens. L'Afrique du sud dispose d'un championnat générant des droits télé et donc de clubs financièrement solides comme les deux de Johannesburg, Kaizer Chiefs et Orlando Pirates, les deux de Pretoria, Mamelodi Sundows et Supersport United, ou l'Ajax du Cap. Il y a le cas particulier en République démocratique du Congo du Tout Puissant Mazembe, à Lubumbashi. Son président, Moïse Katumbi Chapwe, est le gouverneur du Katanga, la région des diamants. Des clubs nigérians émergent aussi de temps à autre par la volonté d'un gouverneur local. C'est souvent lié à l'action d'une personne.

La faible représentation de l'Asie, avec seulement 9 joueurs de la CAN jouant sur ce continent, ne vous surprend-elle pas alors que le football a connu un développement spectaculaire dans cette partie du monde ?

Les joueurs africains sont très présents dans les championnats asiatiques mais ils n'apparaissent pas ici. Ceux qui évoluent hors d'Europe ou d'Afrique n'ont pas un statut suffisant pour prétendre à la sélection. Ils sont un peu invisibles pour les sélectionneurs. Ces techniciens, qui sont souvent des Européens et des Africains, ne vont pas s'intéresser à eux. Ils préféreront appeler un remplaçant du Galatasaray Istanbul plutôt que le meilleur buteur du championnat de Thaïlande. C'est aussi une question de prestige. Seuls quatre compétiteurs de la CAN proviennent d'Amérique du nord et aucun d'Amérique du sud. Comment expliquez-vous cette absence ? La Major League Soccer nord-américaine recrute pourtant dans les collèges africains. En ce qui concerne l'Amérique du sud, des joueurs africains ont pu jouer au Paraguay ou au Chili. Mais il y a là-bas pléthore de joueurs, les clubs sud-américains n'ont pas vraiment besoin de footballeurs africains. Il n'y pas non plus forcément pour eux d'attrait à aller jouer là-bas.

 

 

Bruno Lesprit

 

Source : Le Monde

 

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