Al-Qaida surpasse toujours Daesh au Maghreb

Brossant un tableau terrible des extrémistes d'Ansar al-Sharia en Tunisie et en Libye, des cellules d'al-Qaia qui se cachent dans le maquis algérien, des combattants d'Ansar al-Din dans le nord du Mali, des trafiquants qui franchissent les frontières, et du spectre des jihadistes de l'Etat islamique qui n'attendent que d'attaquer le Maghreb, certains analystes affirment que la région est une gigantesque poudrière qui n'attend qu'une étincelle.

Magharebia a rencontré l'ancien ministre du gouvernement, commandant marinier, journaliste, candidat à la présidence et ambassadeur de la Ligue arabe Dahan Ahmed Mahmoud, actuel directeur de l'Institut mauritanien d'études stratégiques à Nouakchott, pour mettre fin aux rumeurs et connaître la vérité.

Magharebia : L'Etat islamique (EIIL) a-t-il commencé à tirer le tapis sous les pieds d'al-Qaida au Sahel ? Constitue-t-il désormais notre plus grande menace ?

Dahan Ould Ahmed Mahmoud : Bien que le groupe qui a récemment tué le ressortissant français en Algérie affirme appartenir à l'EIIL et que Boko Haram au Nigeria ait prêté allégeance à l'EIIL, le phénomène reste encore limité… La plupart des groupes radicaux au Maghreb sont encore affiliés à al-Qaida.

Magharebia : Qu'en est-il de la brigade Uqba Ibn Nafaa qui opère dans le Jebel Chaambi entre la Tunisie et l'Algérie, ou d'Ansar al-Din au Mali, qui a prêté allégeance à l'EIIL ?

Ahmed Mahmoud : L'EIIL n'a pas un grand poids dans la région. J'estime qu'al-Qaida y est encore la principale organisation.

Il y a une idéologie radicale que certains individus et groupes ont adoptée. Nous combattons cette idéologie, mais la lutte contre le terrorisme en général doit se fonder sur les piliers sécuritaires, économiques et idéologiques.

Le pilier idéologique, pour ne parler que de lui, a produit de bons résultats en Mauritanie, basé sur l'affirmation que "ce qui est dans les têtes ne peut être extrait qu'avec des haches", mais il doit être abordé en utilisant la même logique.

Ce qui en fait un gros problème dans notre région du Maghreb, c'est le fait qu'il se recoupe avec le crime organisé, y compris les trafics de drogue, de cigarettes et d'êtres humains.

Magharebia : Votre pays a une grande expérience des liens entre terrorisme et criminalité. Pouvez-vous nous en parler ?

Ahmed Mahmoud : En Mauritanie, lorsque nous avons commencé à lutter contre le terrorisme au Sahel, nous avons découvert qu'il entretenait de nombreux liens avec le crime organisé. Nous avons passé quatre ans à dire au monde que le terrorisme existait bel et bien et que des avions transportant de la drogue franchissaient la région. Mais le monde ne nous a pas écoutés, et nous avons décidé de protéger nous-mêmes nos frontières…

Magharebia : Cela veut-il dire que certains terroristes ne sont que des criminels déguisés ?

Ahmed Mahmoud : Absolument. Malheureusement, les décideurs politiques et militaires restent à la recherche de méthodes rationnelles, mais leurs tentatives sont limitées par deux choses : la connaissance et l'environnement. Pour éviter que des décisions ne soient prises sur la base de fausses informations, une analyse prudente est nécessaire avant de prendre toute mesure, en particulier si ces informations proviennent de parties ayant leur propre agenda et leur propre finalité.

Ainsi par exemple, le problème de l'EIIL réside dans le fait qu'il existe au sein d'une communauté arabe sunnite, et que vous n'êtes pas en mesure de collecter des informations à son sujet auprès de parties shiites ou d'autres qui sont en désaccord avec les Arabes sunnites.

Magharebia : A quoi devons-nous faire face aujourd'hui ? Les terroristes sont-ils différents désormais ?

Ahmed Mahmoud : Certains groupes s'implantent en secret dans la société, et lutter contre eux sur le plan idéologique est plus important, parce qu'ils poussent comme des mauvaises herbes.

Magharebia : L'un des terroristes les plus connus de la région, Mokhtar Belmokhtar, est encore en liberté et recrute des jeunes qui reviennent de Syrie et d'Irak. Le jeu de Laaouar tourne-t-il seulement autour de la vie de gangsters et de trafiquants, ou utilise-t-il l'idéologie pour attirer des sympathisants ?

Ahmed Mahmoud : Je dirais que nous avons affaire à une combinaison des deux. Certains criminels, par exemple, prennent des otages pour de l'argent et les remettent aux groupes terroristes, qui exigent alors une rançon pour leur libération.

Les groupes terroristes ne sont pas nécessairement créés dans le but de gagner de l'argent ou de vendre de la drogue ; ils se créent parce qu'ils pensent que les autres ont tort. C'est la raison pour laquelle je souligne la nécessité de les combattre idéologiquement.

Magharebia : Que dire de la Libye ?

Ahmed Mahmoud : La Libye est aujourd'hui un Etat en échec noyé sous les armes, et qui requiert des solutions très dures. La plupart des pays du Maghreb s'efforcent au moins de ne pas laisser ce cancer se développer en leur sein.

Magharebia : Vous dites qu'ils partagent les mêmes préoccupations concernant les retombées de la situation libyenne. Mais les pays du Maghreb travaillent-ils suffisamment ensemble pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé ?

Ahmed Mahmoud : En Mauritanie, nous avons mis sur pied une initiative de coordination entre cinq Etats basée sur l'impact de la situation en Libye. Je viens juste de participer à une réunion tripartite entre le Niger, le Mali et la Mauritanie. Nous avons indiqué qu'il nous fallait inclure dans nos rangs le Tchad et le Burkina Faso pour renforcer les efforts de coordination avec d'autres pays d'Afrique du Nord, parce que la lutte contre le terrorisme doit être un effort collectif.

Le Président mauritanien a souligné la même idée lors de sa récente visite aux Etats-Unis, où il a déclaré que nous ne pourrons combattre le terrorisme que par le biais de la coopération avec les initiatives régionales et internationales.

Magharebia : Pourquoi l'insécurité s'est-elle réinstallée dans le nord du Mali après la fin de l'Opération Serval ?

Ahmed Mahmoud : Les groupes terroristes ne sont pas en mesure de faire face à de grandes armées… ils se fondent alors dans les populations locales. La manière la plus efficace de lutter contre le terrorisme est donc de rendre le sol où il pousse fertile pour y développer des mouvements modérés…

Lorsque vous abattez un terrorisme sans éradiquer son idéologie, il est remplacé. Ben Laden et d'autres ont été tués, mais leur idéologie a survécu ; à chaque fois, nous voyons grandir une idéologie encore pire.

Magharebia : Cela veut-il dire que le nord du Mali est un incubateur du terrorisme ?

Ahmed Mahmoud : Cela nous ramène une nouvelle fois à la discussion sur le terrain fertile, où les citoyens ressentent injustice et privations. Tous les ingrédients qui donnent naissance au terrorisme existent dans le nord du Mali, mais toutes les parties maliennes engagées dans les négociations s'efforcent de mettre un terme à ces problèmes internes. J'espère que tous ces groupes et l'Etat sauront respecter l'accord qu'ils ont conclu.

Magharebia : La nouvelle Opération Barkhane surveille désormais les passages aux frontières. Pensez-vous qu'elle peut surveiller tous les itinéraires ?

Ahmed Mahmoud : La lutte contre le terrorisme doit combiner la carotte, le bâton et l'idéologie. L'Opération Barkhane utilise le bâton, les Français croient en cette idée, et elle pourrait déboucher sur des résultats positifs. Ils croient également que la Libye est la source de tout ce qui atteint le nord du Mali, et ils veulent donc frapper tout ce qui sort de Libye.

Mais le terrorisme doit être combattu de manière continue et créative. Parce que chaque fois que vous concevez une nouvelle méthode, les terroristes eux aussi en développent une nouvelle.

 

Interview par Jemal Oumar à Nouakchott pour Magharebia

 

Source : Magharebia

 

 

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