Des footballeurs par millions

Que vaut une équipe de football? Plutôt que de répondre à cette question, on peut la retourner: combien a-t-elle coûté? Parmi les données qu'il collecte sur l'industrie du ballon rond, le Centre international d'étude du sport (CIES) a récemment proposé un indicateur intéressant: la somme des transferts réalisés par les clubs pour composer leur effectif, c'est-à-dire le coût de constitution de leur équipe [1].

 

Cet indicateur dépend des différentes manières, plus ou moins onéreuses, de former les effectifs: transferts, prêts, recrutement de joueurs en fin de contrat, recours à la formation… Surtout, il permet de représenter les forces en présence, telles que les définissent les investissements sur le marché des joueurs. Même si les millions d'euros ne se convertissent pas mécaniquement en valeur sportive, ils donnent une idée des écarts de puissance économique actuels. On en propose ici trois visualisations à partir des chiffres communiqués par le CIES dans sa lettre du 28 janvier (PDF).

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À l'échelle des cinq grands championnats européens, la domination de la Premier League est écrasante : ses vingt clubs ont misé plus de deux fois ce qu'ont dépensé les clubs italiens – la Serie A arrivant en deuxième position. Et cette hégémonie ne peut que se renforcer puisque les formations anglaises commencent seulement à profiter de leur récent contrat record de droits de télévision.

Les quatre championnats continentaux évoluent dans des dimensions relativement proches, mais la Liga espagnole et la Ligue 1 française partagent une caractéristique: ce sont essentiellement deux clubs qui alimentent le marché des transferts. À l'inverse (et pour partie en raison d'un système plutôt égalitariste de répartition des ressources issues des droits de diffusion), "tous les clubs de Premier League sont capables de mettre de l'argent sur le marché", fait remarquer Loïc Ravenel du CIES. Norwich, en 15e position en Angleterre avec 51,8 millions d'euros, figurerait ainsi au 6e rang en Allemagne ou au 5e en Liga et en Ligue 1…

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Dernier constat majeur: la Bundesliga, malgré des ressources économiques importantes, conserve sa tradition de modération (même s'il faut pondérer par son moindre nombre de clubs – dix-huit). Ainsi, le Bayern Munich a-t-il consenti moins de la moitié des dépenses du Real Madrid. Pour Loïc Ravenel, cela correspond d'abord à une politique de formation très affirmée: "C'est le championnat qui fait la part la plus belle aux joueurs de moins de vingt-et-un ans, avec une politique de rajeunissement en place depuis plusieurs années". Ensuite, au choix de recruter dans des championnats plus modestes (notamment dans les pays de l'Est), des joueurs dont le potentiel n'est pas encore réalisé, là où l'Angleterre achète des footballeurs déjà confirmés – et donc plus chers – dans des ligues plus huppées.

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Au sein de la Ligue 1, l'évolution pressentie vers un "duopole" (lire "La Ligue 1 sombre dans la fatalité") apparaît avec force dans les parts de nos nouveaux riches: Paris Saint-Germain (près de 40% du total) et AS Monaco (21%). Comme le fait remarquer Loïc Ravenel, "il y a un effet PSG et Monaco qui nous fait ressembler à la Liga". Pourtant, le chercheur doute de la capacité de l'ASM à rivaliser durablement avec le PSG tout en échappant à la concurrence des outsiders comme Marseille, Lille ou Lyon, en raison principalement d'une base populaire et économique insuffisante: "Aujourd'hui, les clubs européens à gros budget sont presque tous assis sur des marchés très importants. Monaco est un peu le Parme AC de l'époque où Parmalat avait fortement investi dans le club."

[1] Il va de soi qu'il ne s'agit là que d'un indicateur, avec ses biais et ses lacunes, parmi d'autres: on doit aussi considérer des éléments comme la masse salariale et les possibilités d'amortissement de ces investissements au travers des résultats sportifs, de la valorisation commerciale (billetterie, contrats de sponsoring…) ou de la revente des joueurs. Mais cette photographie des dépenses que les clubs ont consenties pour constituer leur effectif n'en conserve pas moins un intérêt. À pondérer, donc.

 

Jérôme Latta

 

Source : Le Monde

 

 

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