Lettre aux Festivaliers d’Oualata

A la Mémoire de Téne Youssouf et de Djiguo Tapsirou

A la mémoire de tous les rescapés du mouroir. Dans l’espoir que l’honneur leur soit un jour rendu. Et cela au nom des principes fondamentaux d’un Etat de droit et l’Histoire nationale.

Chers festivaliers,

Vous voilà pour quelques jours à Oualata, pour la quatrième édition du Festival des Villes anciennes. Oualata, cette ville mythique, qui fût jadis un haut lieu d’acquisition de savoir. Au XVème siècle, les caravaniers y convoyaient des hommes pour apprendre la théologie, l’arithmétique et même l’astronomie. La gloire d’Oualata n’a certainement pas connu son apogée en 1996, année au cours de laquelle elle fut classée patrimoine de l’humanité. Encore moins lorsqu’elle n’était qu’un petit « Ksar » (hameau) de cinq mille habitants dans lequel on entretenait plus de mille étudiants venus de tous les coins de l’Arabie. On rapporte que les enseignants avaient l’habitude de charger leurs élèves de recopier plusieurs de leurs ouvrages afin de les distribuer aux étudiants, souvent composés d’étrangers. En effet, aux yeux des croyants, la générosité et l’aide à ceux qui veulent s’instruire sont des voies qui mènent vers Dieu.

Ainsi des savants ont consacré leur vie à transmettre la gnose et l’ascétisme, contrairement à ceux qui occupent aujourd’hui les fauteuils des Conseils. Ceux qui ferment les yeux sur les injustices de l’Etat et avalent leurs langues pour plaire aux dirigeants. Vous l’avez bien remarqué, nos chouyoukhs dépêchés à Oualata ont été contraints de rester debout pour écouter les discours des officiels. Cette humiliation est-elle méritée ? Chers festivaliers, je n’ai pas la réponse, d’autant plus que mon propos porte sur l’histoire et ses péripéties.

Connaissez-vous la vraie histoire d’Oualata avant la fuite des peuples autochtones et l’installation des berbères Sanhadja ? Je laisserai le soin aux historiens, aux chroniqueurs et aux hommes de lettres invités par l’Etat de vous la narrer. Ici, chers festivaliers, et autres lecteurs, je m’efforcerai de soulever quelques aspects de l’histoire de cette région tant cachée aux citoyens par des falsifications progressives et arbitraires. Une stratégie étatique qui a fini par reléguer les autochtones au statut de citoyens de seconde zone[1]. Cependant les premiers explorateurs venus d’Occident ont découvert de nombreux éléments prouvant l’authenticité de ce qui sera avancé.

Les peuples autochtones ont gravé ou peint à l’ocre sur les roches, les images des bêtes qu’ils chassaient. Dans ses correspondances[2] inédites, Odette Du Pigaudeau (1894-1991) découvre, au début des années 30, la Mauritanie, héroïquement dénommée Trab-el-beidan (terre des hommes blancs) par opposition à Trab-el-Soudan. Ces expressions sont chargées de sens mais ici, mon propos ce focalise un autre point. Dans les premières lignes, l’auteur relate qu’aux premiers siècles de notre ère, le Sahara mauritanien était encore un pays fertile habité par des paysans noirs, des juifs chassés d’Afrique du Nord et le peuple du Bafours, des blancs de Lybie ou d’Egypte. Les peuples vivaient sur les rives des fleuves, de la chasse et des cultures. L’eau et la vie étaient alors abondantes. Puis, la sécheresse obligea les hommes à fuir. Peu à peu, les hommes et les bêtes émigrèrent vers le Sud, laissant derrière eux de grandes étendues mortes que seul à présent le sombre chameau peut encore traverser.

Vous comprendrez mieux ainsi l’héritage architectural d’Oualata, issu des vestiges préhistoriques antérieurs légué par les Soninkés ayant fui aléas naturels et représailles. On ne sait quand celles-ci commencèrent, mais elles furent accentuées par la conquête arabe de l’Afrique du Nord au VIIème siècle. A partir du XIVème siècle, la pénétration arabe débute puis se renforce à partir du Sud marocain, notamment celle des gens de la tribu Ma’qil, venus d’Arabie.

L’arabisation généralisée des tribus berbérophones se déroule dans les siècles suivants. Les groupes arabophones et berbérophones se livrèrent à des luttes complexes entre coalitions. Des émirats et des groupes maraboutiques émergèrent alors, se réclamant des idéologies de l’arabité ou de l’islamité. Des berbères de Sanhaja arrivant d’Arabie s’établirent un peu partout dans le Nord et l’Ouest de la Mauritanie. A son retour de la Mecque au XIème siècle, un des chefs des Sanhaja ramena un pieux personnage et tous deux fondèrent un monastère (ou Ribat) dans une île proche du Sénégal. Les Berbères de Sanhadja – hommes du Monastère – devinrent al-mourabitounes. Le héros de cette guerre pour l’instauration de l’Islam fut Abou Bekr Ben Amar. Accompagné d’un saint homme, El Adrami, il vint attaquer les noirs de l’Adrar qui étaient gardés par des chiens féroces. D’où l’appellation « Médinat-el-Killab », la ville des chiens. Pour défendre ses terres, nuit et jour, le roi dépêchait une femme sentinelle, veillant au sommet de la montagne. Ainsi, à l’approche des almoravides, les peuples noirs allumèrent de grands feux pour alerter les autres villages. Bien qu’il fût vieux, le roi des Bafours monta sur la plus haute terrasse avec sa fille et ses meilleurs guerriers. La ville fut prise, Abou Bekr descendit, et tua d’autres rois. Il s’empara d’immenses territoires. Il fut tué à son tour prés de Tagan en 1087. C’est à l’effort des marabouts que le Sahara occidental doit sa sécurité. La pacification intertribale a été scellée par des pactes instigués grâce à la diplomatie des marabouts. La légende rapporte que c’est un marabout du Trarza, Cheikh Sidia, qui, en 1901, voyant son pays dévasté par les guerriers, appela les Français au secours et facilita leur avancée dans d’autres provinces du pays.

Chers festivaliers, maintenant, vous savez comment un certain Ould Daddah est devenu premier Président de la République islamique de Mauritanie.

Chers festivaliers,

Oualata que vous êtes venus célébrer est par ailleurs la haine de l’Etat contre ses propres fils noirs. Toute l’opinion publique espère seulement que les grands prometteurs du tourisme ne vous ne cacheront pas le lugubre fort d’Oualata tragiquement rebaptisé « le mouroir de Oualata » par la presse internationale après la découverte des conditions de traitements des prisonniers. Oualata a servi à l’infamie, à savoir la liquidation symbolique des élites noires dans les années 80. Pour avoir rédigé le Manifeste du Négro-mauritanien opprimé, des écrivains, journalistes, professeurs et enseignants (dont certains sont membres des Flam), y étaient emprisonnés et torturés sans aucune autre forme de procès. Leur seul crime est d’avoir dénoncé le racisme de l’Etat caractérisé par l’exclusion des noirs dans les sphères de décision du pays. Ils y séjournent des mois durant dans des conditions que le grand public découvrira à travers les écrits de l’Ecrivain Boye Alassane. Les esprits des survivants de ce mouroir portent encore les stigmates de la répression et de l’humiliation[3]. C’est à Oualata que la Mauritanie perdra ses plus dignes fils, à savoir le diplomate, l’écrivain et le dramaturge Téne Youssouf Guèye, Djiguo Tapsirou et Bâ Abdoul Koudouss.

En matière de respect des droits culturels des peuples, la falsification de l’histoire favorise la marginalisation des identités. Sans des programmes étatiques révolutionnaires, certaines nationalités perdent leurs traditions. Ce qui en effet exacerbe les frustrations, menant à des luttes ethniques meurtrières. Dans le cas de la Mauritanie, la volonté de l’Etat a été d’annihiler la culture africaine. Lorsque l'on s’insurge que les identités soient bafouées, on invente ça et là des festivals folkloriques ou quelques discriminés viennent faire danser et émerveiller les foules. Et aujourd’hui encore, l’Etat encourage l’accaparement des terres dans la vallée du fleuve Sénégal. Dans certaines contrées de Haleybé, les morts sont déportés vers l’autre rive à cause de la confiscation de leurs cimetières. Les hectares de terre de Bossoya situés entre Wolum et Keadi sont presque exclusivement la propriété de grands commerçants maures. Que deviendront les champs de Walo Janne entre Dabbé et Winding que les pétrodollars sont venus exploiter sous l’autorisation de l’Etat ?

Chers festivaliers… je vous souhaite un agréable séjour.

Bâ Sileye

sileye87@gmail.com

Source  :  SileyeVoixLibre  (blog)  le 16/01/2014{jcomments on}

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