Khadijetou Bâ, consultante en bonne gouvernance: « Penser par nous-mêmes, pour nous-mêmes »

Une certaine jeunesse mauritanienne, dynamique, pleine d'idées, active, et indépendante, émerge ces dernières années, débarrassée du carcan du pessimisme, pour tenter de participer à rendre les choses meilleures, aussi bien au niveau local que continental, sans rien attendre du système.

 

Khadijetou Bâ fait partie de cette force vive silencieuse, qui travaille dans l'ombre à l'émergence de gouvernements africains "moins prédateurs". Portrait d'une spécialiste de la bonne gouvernance, qui a choisi le terrain de l'activisme civil pour faire avancer les choses à son niveau.

Fraîchement rentrée d'Addis-Abeba où elle a activement participé au forum organisé par Africa2point0, dans la perspective d'un véritable business plan pour l'Afrique, Khadijetou Bâ fait résolument partie de cette jeunesse dynamique africaine, accessoirement mauritanienne, en tant que "panafricaine convaincue", qui veut se donner les moyens de forger l'avenir de leurs contrées de demain.

"Le forum à Addis-Ababa m'a marquée, car c'est la question la plus importante sur l'Afrique qui y a été abordée : comment CONCRÈTEMENT, PAR NOUS-MÊMES, développer notre continent, nos pays. C'est pour cela que ça a été un vrai tournant, car la problématique y a été abordée sous un angle entrepreunarial, avec un cahier d'actions visé comme un vrai business plan. C'est une Africa Inc. qui a été lancée, avec ses différentes zones régionales assimilées à des filiales d'un groupe, donc avec une stratégie définie spécifiquement pour chacune de ces régions" explique, passionnée, la jeune femme.

Une vision pragmatique des problèmes africains, par une nouvelle génération de cadres qui ont appris des erreurs, souvent graves, de leurs aînés. "Tu vois que les gens sont impliqués, et qu'ils ne sont pas là pour toucher des perdiems. Chacun dans son domaine d'expertise a cherché à apporter quelque chose. Ça m'a conforté dans la justesse de la voie que j'ai choisie. Il y avait des leaders d'opinions de tous les secteurs propices à participer au développement du continent" raconte Khadijetou Ba.

Ce business plan devrait en principe être approuvé par les présidents lors du sommet de l'Union Africaine en janvier 2014. Cette initiative a été soutenue par des ténors de la lutte pour la bonne gouvernance, comme Mo Ibrahim, que la jeune mauritanienne a eu l'occasion de rencontrer à Addis. "C'est quelqu'un d'une rare intelligence, et d'un rare engagement. Il ne s'est pas arrêté à la création de la fondation portant son nom. Il tente aujourd'hui d'inciter les structures publiques et privées africaines, à avoir des données macro et micro proprement africaines. Des données récoltées par les africains et pour les africains" souligne celle qui se prénomme également Wouro Ba.

"Les états-unis d'Afrique? Une belle utopie"

Cette détermination de panafricaine convaincue, Khadijetou "Wouro" Ba la raffermit constamment en se remémorant régulièrement l'admonition d'Amicar Cabral : "Penser par nous-mêmes, pour nous-mêmes".

"Il y a inéluctablement une position commune sur l'Afrique à trouver. C'est le seul avenir qui pourra permettre au continent de se réaliser face à la montée en puissance des ensembles régionaux. Ce sera ça où revivre d'autres formes de colonisations. Même si c'est vrai, qu'en l'état actuel des choses, les États-Unis d'Afrique, dont le concept a été rappelé récemment au travers d'un manifeste, est une belle utopie. Aujourd'hui, le plus important concrètement, est d'avoir des positions communes par rapport à certaines questions internationales, et face aux autres puissances régionales mondiales" assène longuement la jeune femme.

"C'est une des seules choses dont l'urgence prévaut : parallèlement aux collaborations avec la banque mondiale ou le FMI, nous devons développer nos propres perspectives économiques" continue-t-elle.

Un vœu et un espoir embryonnaire permis à ses yeux, au vu du protocole d'accord signé le 30 novembre dernier, entre les cinq pays d'Afrique de l'est que sont le Burundi, le Kenya, l'Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda, qui prévoient d'établir une union monétaire entre leurs pays, préalable à la création d'une monnaie unique. Mais également, de la mise en place d'une compagnie de transport maritime commune à l'Afrique de l'ouest et à celle centrale, Sealink.

"Ce sont autant de projets inter-africains, qui préfigurent la cohésion d'ensemble régionaux, avant un éventuel ensemble continental. Ça laisse espérer une myriade d'heureuses possibilités, mais il ne faut pas oublier que le continent est encore sujets à de profondes divisions. Comme Mo Ibrahim, je ne suis ni afro-pessimiste, ni afro-optimiste, mais juste afro-réaliste" commente la jeune femme.

Bonne gouvernance

Après avoir mis les pieds dans le monde de l'administration économique et sociale, sanctionnée d'une licence en économie-gestion, spécialité AES, à l'université Sophia Antipolis de Nice, Wouro Bâ continue son exploration académique des méandres de la bonne gouvernance, par un master : le premier sur la concurrence et la régulation des marchés, et le second, toujours lié à la corrélation entre l'élaboration de la loi et les règles économiques, porte sur l'analyse économique de la loi, à l'université de Nanterre à Paris.

Pour boucler la boucle, elle a commencé cette année sa première année de thèse, sur "l'impact économique de la gouvernance des ressources naturelles en Mauritanie" dans la même université.

"Il y a un paradoxe évident qu'on a largement rabâché, entre les richesses des sols africains et la pauvreté des populations. En même temps, la bonne gouvernance exclusivement n'est pas la solution à ce paradoxe, même si des mesures sont à prendre. L'analyse doit porter sur les coûts des procédures liées à la bonne gouvernance, et l'efficacité économique et sociale de ces procédures, sur laquelle on peut émettre des doutes légitimes. C'est sur ce paradoxe et d'éventuelles pistes de néo-gouvernance que je me penche dans cette thèse, à travers les cas spécifiques des industries extractives extractives et halieutiques mauritaniennes" explique parcimonieusement Khadijetou Wouro Bâ.

Activisme civil 

Cette conscience aiguë d'un changement nécessaire dans les modes de gouvernance en Afrique, et particulièrement dans son pays, la thésarde ne la développe pas que dans la théorie. Elle joint fortement l'acte à la parole. "Avant toute action politique, il y a une prise de conscience à prendre soi-même, puis aider éventuellement les décideurs à avoir cette prise de conscience. C'est par exemple ce que le Rim youth climate movement (RYCM) qui est la section mauritanienn de l'Arab youth climate movement (AYCM), tente de faire depuis un an, en essayant avec leurs moyens, surtout de sensibilisation, de prévenir sur les très graves conséquences du changement climatique au niveau des villes côtières mauritaniennes. On s'y éveille depuis deux ans, mais les autorités à notre sens, ne mesurent pas pleinement les conséquences dramatiques à venir, si des mesures drastiques ne sont pas prises pour les prévenir" soutient enflammée, la jeune fille originaire de Sinthiane, près de Maghama, dans le Gorgol, au sud mauritanien.

Renforcer les capacités des décideurs. Travailler concrètement sur le développement durable. C'est aussi en ce sens qu'elle est sollicitée depuis un peu plus d'un an par le GIZ en Mauritanie, sur cette problématique multiforme de la bonne gouvernance, à travers entre autres la question de la corruption.

"Je n'ai commencé la consultation que récemment donc je n'ai pas encore une expérience poussée dans le domaine. Je préfère mettre en avant mon activisme civil" avoue humblement Wouro BÂ, qui a eu dans ce domaine civil, durant l'été, à Bali en Indonésie, à participer au haut panel sur l'agenda du développement post 2015, en compagnie d'une sélection de jeunes triés sur le volet au niveau mondial. 


Les 7 admonitions  

Simplicité et discrétion sont intimement liées à la personnalité de la jeune femme de 24 ans, qui sous ces dehors d'humilité, laissent aussi transparaître un caractère entier, forgé par un environnement de pure droiture, marqué d'ailleurs par un code écrit en pulaar, en sept points, que son père a distribué à tous ses enfants, qui doivent s'efforcer de l'apprendre par cœur, et de l'appliquer. "C'est le fondement de notre éducation familiale sur laquelle mon père ne transige pas" affirme timidement, mais fièrement, Khadija, petite-fille de Mamoudou Samboly Bâ. 

"Les sept engagements que je ne briserai jamais (Harameeji jeeɗiɗi ɗi min pirtataa)" dont les trois traits essentiels ;


1- On ne vole pas (Goo: min ngujjataa !)

2- On ne ment pas (Ɗiɗi: min penataa !)

3- On n'a pas peur (Tati: min kulataa !)

Mamoudou Lamine Kane

Source  :  NoorInfo le 11/12/2013{jcomments on}

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