Portrait. Brahim ould Boihy, pilote instructeur à Air France : Les yeux vers le ciel, les pieds sur terre

Brahim Ould Boihy dans sa cabine de pilotageSi vous embarquez à bord d’un avion d’Air France, il y a de fortes chances que le commandant de bord soit passé entre les mains de Brahim Ould Boihy, pilote instructeur (en dehors d'un Congolais qu'il a formé, Brahim Ould Boihy est le seul Africain pilote instructeur à Air France). Il travaille depuis quinze ans à la compagnie française où il forme des pilotes de la compagnie et d’autres clients sur les appareils de la famille Airbus.

Entre Brahim Ould Boihy– à coup sûr l’une des plus grandes fiertés de la Mauritanie et d’Afrique– et les avions c’est une histoire de hasard et de passion. Ce natif de Boutilimit (150 km au sud de Nouakchott) a dû aller au collège à Atar (nord de la Mauritanie) en 1960 l’année de l’accession de la Mauritanie à l’indépendance. Pour que celui-ci puisse fonctionner il avait fallu faire venir deux élèves de chaque ville du pays. De Boutilimit, Brahim Ould Boihy aura pour compagnon un certain Abdel Wedoud Ould Cheikh, le célèbre anthropologue. Le jeune Ould Boihy ignorait alors que cet éloignement allait considérablement faire basculer son destin. En effet, l’établissement se trouvait à côté de la base militaire française d’où il voyait quotidiennement voler des avions avec à leurs commandes des pilotes en séance d’entrainement.  « De plus, le fait qu’Antoine de Saint-Exupéry était dans notre programme de lecture, explique-t-il, m’a définitivement fait attraper le virus de l’aviation ».

Le jeune pilote Brahim Ould Boihy

Plus tard, en 1964-65 en seconde au Lycée national de Nouakchott, un autre évènement allait être décisif. A l’initiative de M. Mohamed Ould Cheikh alors Secrétaire Général à la défense, l’armée nationale en construction tentait d’encourager des jeunes à l’aviation. Le candidat Ould Boihy est admis aux côtés de Mohamed El Moktar Ould Zamel, Kamara Silly et Mohamed Mahmoud Ould Ahmed Vall. Ces derniers finiront par abandonner alors que lui attendait avec impatience les heures d’entrainement à l’aéro-club où il côtoyait la première dame Mme Mariam Daddah et Mme Ba (épouse de M. Ba Bocar Alpha) entre autres.

Une année après, le voilà titulaire du brevet de pilote ce qui lui permet d’assurer des vols de loisir. Puis une bourse lui permet de parfaire son apprentissage en France dans des établissements militaires. Le spectre de l’uniforme plana un temps sur le destin du jeune pilote qui déclinera la proposition du grade d’officier que venaient de lui faire les autorités du pays. A la place, en 1968, il s’envole pour l’Union Soviétique pour se former au pilotage de l’Ilyouchine 18 que venait d’acquérir la Présidence de la République.

Brahim Ould Boihy dans sa tenue de commandant de bord

Au fil des ans il enchaine les formations et les diplômes -il est, entre autres, ingénieur en transport et logistique sorti de l’Ecole supérieure des transports de Paris et dispose d’un DESS en transport, logistique et Communication des Echanges Internationaux de l’Université Paris IV- Sorbonne – et poursuit une carrière prestigieuse sur le plan national et international (voir encadré). 

La vie « aérienne » dans les cockpits n’empêche pas Brahim Ould Boihy  de garder les pieds sur terre. Il est ainsi un acteur politique qui suit la situation de son pays de très près. Il faut dire que Brahim Ould Boihy a baigné dans le milieu depuis sa tendre jeunesse. « La maison servait de refuge, se souvient-il, et la police venait voir ce qui s’y passait ». Il se rappelle également des manifestations dans les années suivant l’indépendance du pays et de la répression des forces de l’ordre alors que ses camarades et lui portaient des pancartes. Sur l’une était écrit « Nos campagnes ont faim ». Aujourd’hui encore, le constat est le même et les campagnes  ne sont toujours pas repues. Une motivation supplémentaire qui pousse Brahim Ould Boihy à poursuivre son combat.

Face à ses stagiaires

Représentant du Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD, principale formation de l’opposition) en Europe, il estime cependant ne pas être un « politicien professionnel ». Il se définit plutôt comme « quelqu’un d’ouvert aux idées positives pour le pays d’où qu’elles viennent ». L’opposant ne se sent pas non plus prisonnier d’un parti et revendique sa liberté d’expression y compris dans sa propre formation politique. Ainsi, lors du putsch d’Ould Abdel Aziz en 2008 il a estimé qu’il ne fallait pas  « prendre acte » mais plutôt « condamner avec fermeté et sans équivoque » le coup de force.

Même s’il pense que le départ des militaires constitue l’une des solutions à la crise politique que traverse la Mauritanie, Brahim Ould Boihy reconnait ne pas disposer de recette-miracle pour sortir le pays de l’instabilité institutionnelle  dans laquelle il se débat depuis au moins 1978, date du premier coup d’Etat militaire. Ould Boihy dénonce « l’absence de volonté des partenaires pour dialoguer sur ce qui peut faire avancer le pays ». Mais de son point de vue, le pouvoir en place est beaucoup plus responsable de la situation actuelle car « il doit prendre l’initiative de faire évoluer les choses ». Cela n’est pas possible car le pouvoir militaire considère le pays « comme une caserne et il l’a façonné selon ses propres intérêts ». Alors que faire ? « Les partis politiques doivent éveiller les consciences et défendre la démocratie ».

Brahim Ould Boihy serrant la main à M. Georges Papandreou alors Premier ministre Grec. Paris, novembre 2010. DR KASSATAYA

« On ne voulait pas que je fourre mon nez dans le projet du nouvel aéroport »

En dehors de la politique, Brahim Ould Boihy ne se prive pas de mettre son expertise au service de son pays. Lorsque le commandant de bord regarde à travers le hublot, il s’aperçoit qu’en Mauritanie, les compagnies aériennes successives peinent à prendre leur envol.  « Avant de lancer une compagnie aérienne, précise l’ancien président du conseil d’administration d’Air Mauritanie, il faut d'abord lui assigner un objectif clair et adapter ses moyens à son marché et à sa clientèle, en d’autres termes il faut qu’elle soit bien gérée. » Et quid du projet du nouvel aéroport de Nouakchott ? « Il a été mal ficelé, surdimensionné. Il devait faire auparavant l’objet d’étude et de concertation. En outre il est prématuré : on enregistre à peine 120 000 passagers par an; que faire alors d’une infrastructure pour en accueillir 2 000 000 par an ? On aurait pu entretenir les installations actuelles dont les capacités sont techniquement suffisantes jusqu’à ce qu’on atteigne un niveau de trafic qui exige une autre plateforme aéroportuaire ».

Mais son avis a-t-il seulement été sollicité ? « Absolument pas, répond l’expert, même si en 2002 un ministre a demandé à la direction des infrastructures et de l’équipement de travailler avec moi pour qu’à la suite je puisse lui faire le point. Mais les gouvernements sont instables dans notre pays et puis j’avais compris qu’on ne voulait pas que je fourre mon nez dans ce projet. »

Avec ses compétences et sa carrière aussi prestigieuse, Brahim Ould Boihy aurait pu être mis à contribution par la Mauritanie. D’autant plus que c’est un homme qui connait bien les arcanes de l’Etat et y dispose de contacts solides. Il avoue d’ailleurs avoir été sollicité indirectement mais, déplore-t-il, on te fait comprendre que « soit tu es avec nous soit tu es contre nous ». Alors que pour lui « pas de marchandage » et il est hors de question de renier ses convictions en contrepartie d’une nomination.

Brahim Ould Boihy

Si Brahim ould Boihy est allé, comme beaucoup d’autres, faire valoir ses compétences à l’étranger, il n’exclut cependant pas de retourner en Mauritanie. Pas seulement pour faire valoir ses droits à la retraite et oublier les rigueurs de l’hiver en France mais surtout parce qu’il y a tant de choses à faire, tant de défis à relever. En fait celui pour qui les instruments de navigation aérienne n’ont plus de secret caresse un rêve : aider à faire décoller le pays, un vaisseau longtemps cloué au sol, et le faire atterrir sans gros dégâts sur le tarmac d’un avenir meilleur.

 

Mise à jour : en dehors d'un Congolais qu'il a formé, Brahim Ould Boihy est le seul Africain pilote instructeur à Air France.

Ibrahima  Athie pour www.kassataya.com

 

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