Circulaire du Ministère des Pêches relative à l’activité de consignation de navires de pêche industrielle : La vraie portée

(Bateau de pêche chinois. Crédit photo : anonyme)

La dernière circulaire du Ministère des Pêches relative à la consignation des navires de pêche a suscité certaines réactions et commentaires, qui relèveraient beaucoup plus d’une mauvaise querelle à l’endroit de Monsieur Cheikh Ould Baya, Conseiller du Ministre des Pêches, que d’une compréhension « apaisée » de la portée et de la pertinence de ces mesures.

 

Pour ceux qui ne connaissent pas bien ce secteur, disons simplement que la consignation est l’activité par laquelle un prestataire local (le consignataire) assure certaines prestations, ou l’accès à des commodités, services ou formalités, au profit d’un navire opérant dans ou transitant par nos eaux.

 

Dans le cas précis de la consignation des navires de pêche, ces prestations portent en général sur  les formalités administratives de délivrance et de remise des licences, la délivrance des certificats de sécurité et de conformité, le recrutement des marins mauritaniens, les formalités d’escale, le déchargement, l’exportation de captures, l’avitaillement, le transfert d’équipages, l’appui aux réparations, l’assistance suite à arraisonnement ou déroutement dans le cadre des opérations de police des pêches etc…

 

Cette activité est exercée dans le cadre d’un agrément délivré par le Ministère des Pêches.

 

Les nouvelles dispositions formalisent la classification des navires de pêche en 7 groupes, avec les limitations suivantes :

 

● Un consignataire ne peut représenter que des navires de pêche d’un même groupe

● Un consignataire peut prendre en consignation jusqu’à 10 navires, tant que l’effectif total des marins mauritaniens embarqués sur cette flotte ne dépasse pas 200 marins au maximum.

 

Ces dispositions vont bien entendu se traduire par une limitation drastique du volume de l’activité de certaines sociétés de consignation, ce qui pourrait paraître regrettable de ce point de vue.

 

Il faut cependant adopter une perspective différente, et comprendre cette décision dans un contexte plus large, celui d’un meilleur contrôle des activités et d’une meilleure répartition de la rente née des activités de la pêche, notamment celle des navires de pêche étrangers.

 

En effet il faut signaler que mal encadrée, sans généraliser, la consignation des navires de pêche a parfois connu des dérives qui en ont dénaturé le rôle et la fonction économique et sociale.

 

Parmi les plus préoccupantes de ces dérives nous citerons :

 

  1. En matière d’emplois et de qualification de la main-d’œuvre maritime.

– Dans certaines pêcheries, les embarquements fictifs (« marins » à terre…) et les recrutements de complaisance ont annihilé les effets attendus de la libéralisation du recrutement des marins inscrits, et continuent de constituer un véritable frein à l’émergence d’une vraie main-d’œuvre maritime, réellement qualifiée, capable de substituer une grande partie des équipages étrangers :

à compétences égales l’armateur, tout étranger qu’il soit, préférera la main-d’œuvre locale parce qu’elle lui coutera moins cher.

 

– Pour être recrutés sur certaines flottes, les marins sont tenus par certains consignataires de payer (parfois très cher), ce qui est totalement illégal, fausse les conditions d’accès à l’emploi et exclut de facto les marins issus des couches défavorisées, ces derniers n’ayant pas les moyens de payer le ticket d’entrée exigé.

 

– Un fois embarqués, pour qu’ils soient maintenus à bord les marins mauritaniens sont tenus de laisser leurs salaires contractuels à ces consignataires, et se limiter aux sursalaires (dit « heures supplémentaires ») perçus auprès de l’Armateur du navire étranger, ce qui est tout aussi illégal.

 

  1. En matière d’immigration clandestine.

On a parfois parlé de filières d’immigration clandestine autour des activités des navires de pêche débarquant à l’étranger, en Europe notamment. Soit au moyen de recrutement de circonstance dont le bénéficiaire restera en Europe à l’occasion du débarquement des captures, soit carrément dans le cadre de filières organisées.

 

  1. En termes d’évolution du secteur.

Pendant longtemps, les pouvoir publics avaient vu en la consignation de pêche une opportunité de création de sociétés mixtes dans les pêcheries spécialisées, sans coût pour la Mauritanie, le prix d’acquisition des navires de pêche de ces sociétés mixtes étant payé par l’UE dans le cadre d’un dispositif de réduction de sa flotte, à destination des pays ACP. Cette politique n’a malheureusement pas donné les fruits attendus car dans la plupart des cas, il s’est agi d’un transfert de navires en fin de vie, lorsqu’il ne s’est pas agi tout simplement d’un actionnariat de complaisance, l’associé mauritanien n’étant qu’un simple salarié jouant le rôle «d’homme de paille ».

 

Etc.

 

Ceci étant et tel que déjà dit, il faut donc considérer les nouvelles mesures comme étant des mesures correctives et d’accompagnement, destinées à mieux contrôler l’activité et à optimiser les retombées des activités de pêche, des navires étrangers notamment.

 

Elles constituent la suite logique des nouvelles conditions introduites au Protocole de Pêche RIM-UE destinées à améliorer la qualification, l’emploi et les conditions d’emploi de la main d’œuvre maritime nationale dont :

 

● L’augmentation du pourcentage des marins mauritaniens embarqués à 60%

 

● Le visa des contrats des marins mauritaniens embarqués sur les navires Européens par les autorités du pays du pavillon du navire, avec copie au Ministère des Pêches Mauritanien.

 

● L’obligation de présence effective des marins mauritaniens à bord, sous peine d’une amende de 20 Euros par jour et par marin absent, soit près de 240.000 Um d’amende mensuelle par marin non embarqué. Le produit de ces amendes est destiné à la formation des marins-pêcheurs mauritaniens.

Etc.

 

Signalons enfin que, contrairement à ce qui a pu être compris ici ou là cette circulaire ne dit pas, loin s’en faut, qu’un consignataire peut avoir jusqu’à 10 licences pélagiques (industrielles) car :

a) Les licences ne sont ni attribuées ni délivrées au profit d’un consignataire, mais au profit d’un armateur et pour un bateau précis.

b) dans le cas précis du pélagique industriel, la limite fixée par le nombre total des marins mauritaniens embarqués (200 marins), bridera le nombre de ce type de navires autour de 4/5 navires par consignataire.

Quant à la crainte subséquente à cette compréhension, c’est-à-dire qu’il soit attribué un trop grand nombre de licences de pêche pélagique industrielle, celle-ci est sans objet, compte tenu de la nouvelle politique des quotas, où il est cédé un effort de pêche déterminé (tonnage précis) plutôt qu’une licence de pêche au sens « large » traditionnel du terme.

Samouri Ould Ahmed Yehdhih{jcomments on}

(Reçu à Kassataya le 05/01/2013)

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