Rencontres : «Les handicapés ont des ressources»

Souleymane Sow, en boubou bleu est chargé des réclamations chez Pizzorno. Crédot photo : Citymag/Claire Jeannerat Sourds-muets, aveugles, déficients intellectuels, personnes à mobilité réduite: selon les estimations, près de 300’000 personnes vivent avec un handicap en Mauritanie. Qui sont-elles? Quelles sont leurs difficultés, leurs espoirs, leurs revendications? C’est ce qu’a voulu savoir Citymag. Rencontre avec des hommes et des femmes qui veulent tout simplement vivre dignement.

On se bouscule dans le petit bureau que partagent Mohamed Camara et Souleymane Sow au siège de Pizzorno, à Ilot K. Des employés de la société, des habitants de la ville venus déposer une réclamation; et aussi des personnes handicapées en quête d’un emploi, d’un conseil ou d’un coup de pouce, tel ce peintre sourd-muet venu demander à Mohamed Camara de présenter ses tableaux au directeur. Pas de chance pour ce dernier, un employé s’est entiché desdits tableaux. Le jour de notre visite, le peintre venait conclure le marché.

Avec d’autres, Souleymane Sow et Mohamed Camara, tous les deux en fauteuil roulant (lire leur portrait dans les pages suivantes) sont aux avant-postes de la promotion et de la lutte pour les droits des personnes handicapées en Mauritanie. Tous les deux militent notamment au sein de l’Association pour le développement social en Mauritanie (ADSM), l’une des plus dynamiques parmi toutes celles qui sont regroupées sous la bannière de la Fédération nationale des associations de personnes handicapées.

Selon ces associations, environ 300’000 personnes (10% de la population) vivent avec un handicap en Mauritanie. C’est-à-dire, selon la définition officielle, qu’elles sont «dans l’incapacité d’accomplir totalement ou partiellement une ou plusieurs activités de la vie courante, consécutive à une atteinte permanente ou occasionnelle de [leurs] fonctions sensorielles mentales ou motrices d’origine congénitale ou acquise».

Tambo Camara, président de l’ADSM, a perdu l’usage de ses jambes à la suite d’un accident de voiture. Il est invalide, oui. Mais pas différent: «On travaille comme les autres, on vit comme les autres. Bien sûr il y a toujours le regard des autres. Ce sont les autres qui nous voient comme handicapés. Mais on a pitié, nous, de ces gens qui nous considèrent comme diminués».

«JE SUIS COMME UN MENDIANT MODERNE»

«La société ne conçoit pas les personnes handicapées comme il se doit, renchérit Souleymane Sow. On les voit comme une personne à qui l’on va donner une boîte pour qu’elle aille mendier. Or les personnes handicapées ont des ressources!».

«Quand j’étais petit, des parents m’ont parlé comme ça, témoigne Ousmane Ba, non-voyant. Ils m’ont dit que je n’avais qu’à aller mendier, que je gagnerais beaucoup d’argent». Ousmane a préféré suivre son propre chemin, entre scolarité cahotique et tentatives d’auto-entreprise, avant d’accomplir une formation de standardiste-réceptionniste en Tunisie. Il est aujourd’hui affecté à l’hôpital Sabah (le centre de cardiologie), mais est en réalité au chômage puisque l’établissement ne dispose pas d’un standard… «Mais ça ne m’arrange pas. Je préfère me fatiguer pour gagner mon salaire. Là je suis comme un mendiant moderne, et je ne peux rien réclamer».

UNE DISCRIMINATION QUI NE DIT PAS SON NOM

«Les préoccupations des personnes handicapées sont les mêmes que celles de personnes valides, résume Souleymane Sow: être éduqué, être soigné, avoir un emploi». C’est aussi simple que cela.

Simple? A vrai dire, pas tant que ça. «Ici on ne rejette pas la personne handicapée, mais on ne la considère pas à l’égal des autres. C’est un facteur limitant pour accéder à certaines situations ou certaines promotions, de manière imperceptible mais réelle. Quand on demande, il n’y a jamais de problème, mais au moment de passer à la pratique il y a toujours un problème». Technicien supérieur en biochimie, Tambo Camara sait de quoi il parle, pour s’être plusieurs fois vu proposer des emplois subalternes en raison de son handicap. Ousmane Ba, lui aussi, s’est vu refuser dans un précédent emploi le droit d’effectuer certaines tâches dont on l’estimait incapable.

De manière générale, «les employeurs sont souvent réticents à engager des personnes handicapées, constate Cheikh Sidiya Sanghott, directeur de la Maison des Sourds. Il faut les convaincre, il y a beaucoup de préjugés dans notre société». Toutes les entreprises n’ont pas l’ouverture d’esprit de Pizzorno, qui emploie douze personnes handicapées.

A LA MAISON DES SOURDS

Permettre l’accès à l’emploi des personnes handicapées, c’est précisément la vocation de la Maison des Sourds, qui a ouvert ses portes en 2008 dans le quartier de Sebkha, grâce au financement de l’ONG hollandaise Silent Work. La première promotion compte 26 élèves, actuellement en deuxième année de formation dans les ateliers de menuiserie, boulangerie, arts plastiques et couture. Une salle d’informatique et des cours d’alphabétisation en langue des signes leur sont également offerts.

Avec la précieuse collaboration d’Aïcha Mint Aly Bourrou, la directrice de l’école des sourds dont le visage est bien connu des téléspectateurs mauritaniens puisque c’est elle qui interprète pour les sourds le journal de la TVM, la Maison des Sourds forme également une dizaine de personnes extérieures en langue des signes. «Il n’y a pas assez de gens qualifiés, alors nous formons de futurs formateurs», explique Cheikh Sidiya Sanghott. Et de prendre l’exemple d’une classe pour enfants sourds ouverte à Kaédi et tenue par un enseignant à la retraite, qui ne connaît toutefois pas la langue des signes.

Parmi les projets de la Maison des Sourds figurent également l’aide au placement de ses futurs diplômés dans des entreprises privées et, pour ceux qui souhaiteraient voler de leurs propres ailes, la mise en place d’un fonds de microcrédit afin de les appuyer dans la création de leur entreprise.

UN FAUTEUIL POUR ALLER A L’ECOLE

Si certaines problématiques, comme l’accès à l’emploi, sont partagées par toutes les personnes handicapées, d’autres sont spécifiques selon le type de handicap. C’est la communication pour les sourds-muets, on vient d’en parler. Pour les personnes à mobilité réduite, la préoccupation de base consiste à trouver un moyen de se déplacer. «Un fauteuil roulant d’occasion coûte dans les 30-40’000 UM, explique Mohamed Camara. C’est cher, beaucoup de parents ne peuvent pas payer ça pour leur enfant. De plus ça s’use vite, et le problème en Mauritanie c’est qu’on ne trouve pas facilement des pièces de rechange».

A ce problème, l’ADSM apporte une solution: l’association a ouvert en 2003, avec l’appui de Handicap International relayé ensuite par d’autres ONG, un atelier de fabrication et de transformation de fauteuils roulants, aujourd’hui situé à El Mina. En ce moment le directeur Sylly Camara et les deux employés, Amadou Ly et Diallo Abbass, travaillent à l’adaptation de cinquante fauteuils pour enfants achetés au Maroc. Ils seront équipés d’un pédalier et d’une tablette amovible pour les écoliers, puis distribués à des enfants handicapés. «Il y a tellement d’enfants ici qui ne vont pas à l’école parce qu’ils n’ont pas de fauteuils», observe Tambo Camara. L’ONG souhaite également former les futurs bénéficiaires à l’utilisation des fauteuils et même accompagner leur entrée à l’école: «Parfois les enfants sont l’objet de moqueries, on les maltraite et ils finissent par abandonner l’école».

Hélas, l’ADSM a plus d’ambitions que de moyens pour les réaliser. Plusieurs projets reposent actuellement dans ses tiroirs, en attente d’un financement: trouver un nouveau local pour y installer définitivement son atetier de fauteuils roulants; assurer la prise en compte des personnes handicapées dans la sensibilisation au VIH/Sida; créer un Centre de formation et de télétravail des personnes handicapées et des jeunes diplômés sans emploi; etc.

Mais ces projets sont coûteux. Or «les personnes handicapées ne constituent pas des priorités», constate Tambo Camara, même s’il a à coeur de souligner que «nous sommes plutôt plus écoutés maintenant qu’avant», comprenez depuis l’accession au pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz.

UN FESTIVAL INTERNATIONAL DES PERSONNES HANDICAPEES.

Néanmoins, on l’a compris, le plaidoyer doit continuer. C’est l’objectif du Festival international des personnes handicapées (ou Handifestival International), dont la 2e édition se tiendra à Nouakchott du 1er au 4 décembre prochains – le 3 décembre étant la Journée internationale des personnes handicapées.

C’est en participant à d’autres festivals, au Sénégal notamment, avec son Groupe musical des personnes handicapées que Mohamed Camara a eu l’idée d’organiser une manifestation semblable en Mauritanie. Le programme, entre débats et culture, vise toujours le même but: «Montrer aux autorités et à la population que les personnes handicapées peuvent faire quelque chose, qu’elles ne sont pas seulement destinées à la mendicité».

Ou comme le dit Ousmane Ba: «Être aveugle ne signifie pas que tu dois être exclu. Tu peux être aveugle et avoir des idées que les voyants n’ont pas».

Claire Jeannerat

Source  :  CItyMag via NoorInfo le 20/11/2012{jcomments on}

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page