MAURITANIE: Les subventions étrangères nuisent à l’industrie laitière locale

(Des femmes du village d’Ari Hara, dans la région mauritanienne de Brakna, avec des sachets de yaourt sucré à boire produits par leur coopérative. Crédit photo : Jaspreet Kindra / IRIN)

En Mauritanie, des femmes jouent le rôle de pionnières dans l’industrie laitière naissante et tentent d’inciter les Mauritaniens à soutenir les petits producteurs locaux. Mais elles doivent faire face à la concurrence féroce du secteur laitier européen, fortement subventionné.

Ari Hara, une coopérative de femmes du village du même nom, transforme le lait en yaourt sucré et le distribue dans les magasins de Boghé, la ville la plus proche, à 350 km au sud-est de Nouakchott. Depuis sa création en 2009, la coopérative a permis à ses membres, qui pratiquent l’agriculture et l’élevage, de subvenir aux besoins alimentaires de leur famille pendant les périodes de sécheresse.

« Je me rappelle encore l’époque où je pouvais acheter 50 kg de riz pour la maison avec mon propre argent », s’est souvenue Ramata, l’une des membres de la coopérative, avec un grand sourire.

Les femmes pourraient augmenter leurs ventes si elles avaient la possibilité de vendre leurs yaourts dans des villes plus éloignées. Mais pour ça, il faudrait que les routes soient en meilleur état et elles auraient besoin d’une camionnette réfrigérée. L’organisation non gouvernementale (ONG) locale Association mauritanienne pour l’auto-développement (AMAD) a collecté environ 30 000 dollars pour permettre aux membres d’Ari Hara de mettre sur pied leur coopérative, mais l’ONG ne dispose pas de fonds suffisants pour les aider à se développer.

Or, selon les experts, ce n’est pas seulement Ari Hara qui doit étendre la vente de ses produits laitiers, mais le pays tout entier.

Le marché mauritanien est inondé de produits laitiers importés d’Europe et vendus à bas prix.

Soixante pour cent des habitants dépendent d’une manière ou d’une autre de l’élevage pour vivre et le secteur contribue pour près de huit pour cent au PIB du pays. Pourtant, selon un rapport commun des ONG Intermon Oxfam, ACORD et AMAD, 65 pour cent des besoins en lait de la Mauritanie sont couverts par l’importation.

« L’idéal serait que le gouvernement identifie les villages ayant la capacité de produire assez de lait pour mettre en place de telles entreprises », a dit Sy Moussa, de l’AMAD, qui continue à apporter un soutien technique à Ari Hara.

« La population devrait aussi acheter du lait et des produits laitiers mauritaniens », a ajouté M. Moussa.

Créer une industrie laitière

Nancy Abeiderrahmane, une ingénieure britannique mariée à un Mauritanien, a créé Tiviski, le premier produit au lait de dromadaire d’Afrique, à Nouakchott en 1987. À l’époque, on ne trouvait pas de lait frais sur les marchés de Nouakchott. On ne vendait que du lait en poudre ou pasteurisé à ultra-haute température (UHT), importé d’Europe ou d’ailleurs.

« Elle n’aimait pas l’idée de faire du lait avec de la poudre importée, comme le faisaient les autres. Elle a vu des éleveurs qui vendaient leur lait en dehors de la ville. C’était du lait frais de bonne qualité. Elle s’est dit qu’elle devait les aider à vendre ce lait aux habitants des villes », a raconté Maryam Abeiderrahmane, la fille de Nancy, qui dirige maintenant Tiviski.

« Elle a dû se battre pour trouver des fonds et, finalement, la Caisse centrale de coopération économique lui a prêté environ un million de francs français [environ 195 000 dollars]. »

Mais l’argent n’était pas la seule difficulté. La collecte du lait était peut-être encore plus problématique, car les éleveurs ne pouvaient pas fournir du lait tout au long de l’année, encore moins en période de sécheresse. En solution à ce problème, Mme Abeiderrahmane a créé une ONG appelée l’Association des producteurs laitiers de Tiviski (APLT), qui offre à crédit des aliments bon marché pour le bétail et en déduit le montant de la vente du lait. L’APLT offre également des soins vétérinaires et des médicaments, ainsi que des services liés à l’hygiène et à l’alimentation des animaux.

Mme Abeiderrahmane a également dû faire face au mépris que suscite la vente de lait. « Vendre du lait était [considéré comme] quelque chose dont on devait avoir honte, car on estimait que c’était quelque chose que seules les personnes les plus pauvres et les plus désespérées faisaient », est-il écrit dans un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), qui étudiait l’exemple de l’initiative de Mme Abeiderrahmane. « Elle a dû convaincre les éleveurs de vendre, de s’organiser », a expliqué Maryam.

« Parallèlement, Tiviski a dû persuader les habitants des villes [qui préféraient les produits d’importation européens] qu’il était tout à fait acceptable de consommer du lait et des produits laitiers locaux », précise l’étude.

À l’heure actuelle, Tiviski, qui signifie « printemps » en dialecte local, collecte entre 10 000 et 20 000 litres de lait par jours chez environ 1 000 éleveurs. « La seule condition est que le lait ne contienne pas d’eau et que le contenant dans lequel il est transporté soit propre », a dit Maryam. Tiviski vend désormais également du lait de chèvre et de vache.

Le rapport du PNUD indique que le modèle de production de produits laitiers de Tiviski pourrait être reproduit à l’échelle de la Mauritanie et ailleurs dans la région afin d’améliorer les moyens de subsistance des éleveurs semi-nomades.

Incapables de rivaliser

Cependant, les produits laitiers européens continuent d’étouffer les producteurs locaux comme Tiviski.

Les producteurs pauvres de Mauritanie sont incapables de rivaliser avec le secteur laitier fortement subventionné des pays développés d’Europe et d’ailleurs, a noté l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dans son rapport Why has Africa Become a Net Food Importer? (Pourquoi l’Afrique est-elle devenue importatrice nette de produits alimentaires ?). Selon ce rapport, entre 1986 et 2007, les pays industrialisés ont subventionné leur secteur laitier à hauteur de 20 milliards de dollars au moins.

« Le gouvernement ne nous protège pas contre eux. Nous aurions également bien besoin de subventions pour le fourrage, que nous importons pour nos fournisseurs », a dit Maryam.

En Afrique de l’Ouest, les droits de douane sont limités et « les fermiers locaux sont exclus de la chaîne de valeur des produits laitiers par le lait en poudre européen subventionné », a dit la Confédération européenne des ONG d’urgence et de développement (Concord) dans son rapport de 2011.

« La production régionale ne peut donc pas satisfaire la demande du marché national. En 2006 au Burkina Faso, près d’un litre de lait consommé sur deux était importé et, en milieu urbain, cette proportion s’élevait à neuf sur dix. Le lait en poudre européen subventionné représentait la moitié des importations bon marché. Aujourd’hui, les conditions de marché inéquitables continuent de nuire à la production laitière locale », remarquait le rapport.

Afin d’atténuer l’impact de ses subventions, la Commission européenne a introduit en 1984 un quota pour limiter la quantité de lait produite, ce qui devait permettre d’éviter d’écouler les excédents sur les marchés des pays en développement. En 2008, la Commission a également interdit les subventions à l’exportation pour les producteurs laitiers, avant de les réintroduire en 2009, lorsque la production s’est effondrée et que les prix du lait ont atteint des records. Le régime des quotas devrait par ailleurs être supprimé en 2015.

« Avec les pratiques actuelles de l’Union européenne et l’adaptation du secteur aux exigences du marché, on craint sérieusement que les impacts extérieurs de la politique laitière européenne empirent », est-il indiqué dans le rapport de Concord.

Par ailleurs, le secteur laitier local doit également s’organiser et aura à cet effet un grand besoin de soutien de la part du gouvernement. Selon Anthony Bennett, spécialiste du secteur laitier de la FAO, entre 30 et 40 pour cent du lait produit localement en Afrique de l’Ouest est gaspillé ou perdu, car les éleveurs n’ont pas les connaissances ou la capacité nécessaires pour gérer leurs surplus.

Renverser cette tendance pourrait très bien permettre de sauver des vies. Jean-Bosco Mofiling, du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) en Mauritanie, a remarqué qu’aider les éleveurs à commercialiser et vendre leurs excédents de lait pourrait augmenter leur résilience et leur permettre de mieux résister aux sécheresses qui sont de plus en plus fréquentes dans la région.

Source : IRIN le 03/10/2012{jcomments on}

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