Mali, un désastre français

(Crédit photo : anonyme)

Des ruines de l’Etat malien vient de surgir un document de trois pages classé « très sensible ». Il s’agit d’une note remise en février dernier au président Amadou Toumani Touré. Elle s’intitule : « La Mauritanie et l’appui secret aux rebelles d’Azawad ». A sa lecture, l’ancien général a dû comprendre que sa fin était imminente. Ses services de renseignement l’avertissent, avec force détails, des contacts étroits noués entre les Touregs, qui viennent de repartir sur le sentier de la guerre, et le régime voisin d’Ould Abdel Aziz.

Le tout nouveau Mouvement national pour la Libération de l’Azawad ( MNLA), recevrait une « aide matérielle » de Nouakchott. Des véhicules chargés d’équipement militaire ainsi qu’un soutien logistique. Une manne qui s’ajoute à son armada venue d’une Libye à feu et à sang. Des missiles sol-air, des mortiers, des canons prélevés dans les arsenaux de Kadhafi et, surtout, des soldats capables de s’en servir, desTouaregs maliens qui ont déserté par centaines l’armée du Guide dès juillet 2011.

Après un demi-siècle de lutte, les hommes bleus n’ont jamais été aussi proches de réaliser leur rêve : un Etat entre le Sahel et le Sahara. Au moment où des représentants du MNLA ouvrent un bureau d’information à Nouakchott, d’autres sont reçus à plusieurs reprises au Quai-d’Orsay. Une simultanéité qui ne doit, sans doute, rien au hasard.

La Mauritanie, grande alliée de la France dans la région, n’aurait pas prêté main-forte aux indépendantistes touaregs, sans l’aval, même tacite, de son mentor.

Et l’intégrité du Mali? Les dangers de contagion?

A Nouakchott, comme à Paris, une raison justifie une telle prise de risque. Le MNLA, toujours selon la note secrète, s’engagerait à combattre Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Une priorité pour la Mauritanie et la France, qui reprochent au président Touré sa mollesse envers les djihadistes.

Dans cet immense territoire en proie à tous les trafics, les rebelles touaregs peuvent réussir là où il a échoué, estime-t-on dans les deux capitales.

Un mois et demi plus tard, le scénario a viré au cauchemar.

Voilà Touré renversé par un putsch, son armée en débâcle et le drapeau noir des djihadistes qui flotte sur Tombouctou.

Stupéfaction en Occident et au Sahel : les insurgés touaregs, considérés comme les meilleurs remparts contre Aqmi, combattent aux côtés des islamistes.

Après avoir subi l’un de leurs pires revers en Afrique, les autorités françaises avouent leur impuissance.

« On a un vrai problème, lâche un haut responsable. Les Maliens sont incapables de reconquérir ce qu’ils ont perdu. Et envoyer l’armée française? Personne n’y songe. La Françafrique, c’est fini! ».

La France condamne le putsch, mais  « mollement et avec retard » – regrette le sénateur centriste Joël Guerriau – comme si elle hésitait.

Contrairement à « ATT », la junte ne se dite-elle pas prête à dialoguer avec les rebelles?

Trop tard. Mise au ban de la communauté internationale, soumise à un embargo économique total de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’OUest (CEDEAO), elle se révèle incapable de freiner la progression des insurgés. Après Kidal, Gao et la « Perle du désert », Tombouctou, tombent à leur tour. Mais pas aux mains du MNLA.

Les trois cités du Nord se retrouvent sous la coupe d’un groupe islamiste radical, quasi inconnu, Ansar Dine, « les protecteurs de la religion ». Son chef, Iyad Ag Ghali, a été l’un des acteurs de la rebellion touarègue des années 1990.

« ATT », profitant de ses liens au sein d’Aqmi (son cousin Hamada Ag Hama dirige l’une de ses katiba) a recouru à ses services pour négocier la libération de plusieurs otages.

Au passage, l’homme a empoché une partie des rançons et renforcé son assise locale.

Nouveau seigneur de Tombouctou, il impose la charia, fait fermer les bars, coupe les mains des voleurs et accueille en grande pompe Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar, les deux émirs algériens d’Aqmi.

Depuis, acculés, les putschistes ont fini par rendre le pouvoir.

Le président de l’Assemblée national assure l’intérim. A la tête d’une armée disloquée, il devrait appeler à l’aide les troupes de la CEDEO. Ces dernières, fortes de 3000 hommes, ne pourront pas reconquérir le Nord, même avec l’aide logistique promise par Paris et Washington.

Reste le MNLA.

Faute de mieux, les autorités françaises continuent de tabler sur le mouvement touareg pour « faire le ménage ».

Au prix d’une reconnaissance de l’indépendance de l’Azawad, proclamée le 6 avril et rejetée par toute la communauté internationale ? Voire d’une guerre civile et d’une somalisation de la région?

Aujourd’hui, même si des tensions apparaissent entre différentes fractions, tout s’entremêle.

En une décennie, les djihadistes se sont enracinés au nord du Mali. Ils ont pris femme, noué des alliances.

A coups d’argent et de prêches, l’islamisme a gagné une partie des rebelles.

« On n’a pas cru à cette étrange collusion entre Touaregs et Aqmi, regrette un ancien ambassadeur. On a sous-estimé la menace. »

« Ce serait une guerre fratricide, prévient le porte-parole du MNLA, Moussa Ag Assarid. Ag Ghali est un touareg de Kidal. Mais s’il ne dépose pas les armes, nous le considérons comme un ennemi ».

 

Christophe Boltanski et Sarah Halifa-Legrand

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Source : Le Nouvel Observateur, n°2475, du 12 avril 2012

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