Ahmed Ould Sidi Baba, Président du RDU : «Ni Moktar Ould Daddah, ni Moustapha Ould Saleck, ni Mohamed Khouna Ould Haïdalla, ni Sidi Ould Cheikh Abdallahi n’ont fait fortune par l’exercice du pouvoir»

Ahmed Ould Sidi BabaAhmed Ould Sidi Baba est l’homme qui a fondé la toute première formation politique de l’ère démocratique: le RDU; et c’est un témoin privilégié des successifs régimes politiques mauritaniens. Entretien.

Est-ce vrai que le président Maâouiya Ould Sid’Ahmed Taya ne vous aurait pas prêté une oreille attentive lors de la prise en compte des résultats du forum entre la majorité et l’opposition, dont le RDU a été l’initiateur en 2005?

Effectivement. Je dois rappeler que l’objet de ce forum était de créer un climat de dialogue entre les leaders de la classe politique de la majorité et de l’opposition; un dialogue politique qui aurait pu éventuellement enraciner les valeurs de la démocratie pluraliste dans lesquelles les hommes et les femmes politiques des deux bords auraient cohabité, avec une perspective d’alternance au pouvoir à travers des élections transparentes et libres.

C’est ainsi que nous avions demandé aux différents partis politiques de se retrouver autour d’une table et de discuter. Et je vous avoue que nous n’avions pas beaucoup d’espoirs que le PRDS du président Maâouiya y prenne part. Les responsables de ce parti ont finalement participé avec toutes les autres formations politiques de la Majorité comme de l’Opposition, sauf celle du président Messaoud Ould Boulkheir. Et nous avions créé cinq commissions, entre autres, une commission politique, une autre économique et une chargée de la presse.

Certaines étaient présidées par les membres de l’opposition, d’autres par ceux de la majorité. Nous avions travaillé pendant un mois pour arriver à des conclusions consensuelles sur un certain nombre de points: la réduction du mandat présidentiel à 5 ans, le statut de l’opposition, la libéralisation des ondes, l’accès des leaders de l’opposition aux médias d’état, etc. Après la fin du forum dans la deuxième quinzaine du mois de juillet 2005, nous avons demandé une audience au président de la République, et une délégation composée des présidents des commissions, entre autres, Bâ Boubacar Alpha, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, Aïssata Kane et Cheikh Saad Bouh Kamara, est allée présenter les résultats du dialogue à Maâouiya.

Nous avions formalisé une concertation régulière entre les formations politiques de la majorité et celles de l’opposition. Les partis devaient se rencontrer périodiquement pour échanger leurs points de vue sur la situation du pays. C’était une manière de donner la possibilité à l’opposition d’être un partenaire à part entière dans l’exercice du pouvoir. Il est vrai que le président Taya nous a répondu qu’il était occupé pour l’instant à lutter contre le terrorisme. Malgré mon insistance, il est resté intraitable sur sa position. Pourtant, je devais aller rencontrer les leaders de l’opposition pour pouvoir engager ce dialogue nécessaire entre la majorité et l’opposition. Il m’a dit en guise de nouvelle réponse: «On verra ça plus tard!». Je suis ainsi sorti du Palais de la République convaincu que nous n’avions pas trouvé une oreille attentive. Trois ou quatre jours après, Maâouiya a été renversé!

L’histoire semblait se répéter après une situation similaire avec Moktar Ould Daddah…

La même chose s’était passée effectivement, avec le président Moktar Ould Daddah. Deux ou trois semaines avant le coup d’état du 10 juillet 1978, nous étions venus le voir pour lui demander de désigner un Premier ministre, de renvoyer son gouvernement d’alors et de s’ouvrir ainsi au pluralisme politique. Il avait laissé entendre que c’était pratiquement impossible pour une société comme la nôtre, avec des Mauritaniens du Sud et du Nord. J’ai compris qu’il voulait conserver ses quatre ministres d’état dont moi-même comme des Premiers ministres.

Certes, j’avais milité pour la nomination de ces quatre ministres d’état, mais le président devait désormais choisir un seul comme Premier ministre! Et sur le champ, je lui ai dit que je ne voyais que Sall Abdoul Aziz à ce poste. Bref, il avait proposé qu’on en discute au sein d’une commission. Je dois dire que j’avais d’ores et déjà vu certains de mes amis avant d’aller voir le président Moktar. Et deux d’entre eux étaient convaincus que la Mauritanie ne pourrait jamais devenir un état pluraliste démocratiquement.

Quels sont les points communs et les points de divergences de tous les Chefs d’État qui se sont succédé à la tête de la Mauritanie?

Je vous préviens tout de suite que je ne parlerai pas du tout de l’actuel président. Je ne parlerai que ceux qui l’ont précédé. Je suis absolument convaincu que tous les présidents qui se sont succédé à la tête de la Mauritanie, de Moktar Ould Daddah jusqu’à Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, étaient animés de très bonnes intentions. Et que -tous les Mauritaniens doivent quand même le reconnaître- ils ont quitté le pouvoir les mains complètement vides.

Donc, ils ne se sont pas enrichis au pouvoir. Ni Moktar Ould Daddah, ni Moustapha Ould Saleck, ni Mohamed Khouna Ould Haïdalla n’ont fait fortune par l’exercice du pouvoir. Cela est un point commun. Je crois qu’ils ont également un autre point commun: c’est qu’ils étaient tous nationalistes et animés de très bonnes intentions. Mais les bonnes intentions et le nationalisme ne suffisent pas, il faut aussi avoir la vision, la culture démocratique… Mais je dois dire que la Mauritanie peut s’enorgueillir du fait qu’elle a eu à sa tête pendant un temps des gens qui avaient au moins une qualité, qui est l’honnêteté personnelle au plan matériel.

Je dois dire que, pour moi, Moktar avait une autre dimension. Car il symbolisait la totalité de toutes les valeurs de civilisation de notre pays. Il était une autre personnification de ces valeurs. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle il a eu tant de succès et tant d’autorité en Afrique comme dans le monde arabe. Ce n’est pas forcément le cas de ceux qui l’ont suivi. Certains n’ont même pas eu le temps. D’autres ont eu au moins à cœur de symboliser la souveraineté nationale, de la personnifier parfois peut-être à l’excès même allant jusqu’au chauvinisme, jusqu’au retrait presque de notre pays de grandes organisations. Mais en tout cas, tous ont été animés de bonnes intentions.

Le nationalisme et les bonnes intentions ne suffisant pas, les évènements de 1989 sont-ils à mettre sur le compte du manque de vision de Taya?

Il ne faut pas faire une lecture simpliste des événements de 89. J’ai été témoin de ces douloureux événements de 89, parce que j’étais le président de l’association des maires de Mauritanie à l’époque. Je sais que le président Taya avait tout fait pour convaincre son homologue sénégalais Abdou Diouf de ne pas renvoyer les Mauritaniens ou les Sénégalais d’origine mauritanienne et que lui-même n’allait pas renvoyer les Mauritaniens supposés d’origine sénégalaise.

C’est le président Diouf qui a tenu à faire ça. Les événements de 89 ont commencé à partir d’une querelle entre agriculteurs et éleveurs comme il y en a presque tous les ans tous les hivernages entre les agriculteurs et les éleveurs. Ce qui s’est passé c’est que les passions se sont déchaînées suite à la bastonnade généralisée contre les boutiquiers et autres mauritaniens installés au Sénégal. Donc c’est cette bastonnade qui a été l’élément déclencheur des douloureux événements de 89. Et je crois personnellement que certains membres de l’entourage d’Abdou Diouf, Jean Collin notamment, avaient pensé dans leur imagination nationaliste que c’était l’occasion favorable pour bouter dehors les petits commerçants mauritaniens pour que les sénégalais prennent leurs places.

Ainsi bon nombre de Mauritaniens dépouillés de leurs biens ont regagné leur pays. En Mauritanie, ils ont dit tout ce qu’ils ont subi en terre sénégalaise. Évidemment, il y a eu une réaction. Quant aux problèmes des déportés, je vous avoue également que le président Taya avait tout fait pour convaincre Abdou Diouf de laisser les populations mauritaniennes, qui vivent au Sénégal en place et que lui laisserait les populations sénégalais vivant en Mauritanie en place. Cela n’a pas été respecté. Et il y a eu des choses atroces. Ces événements ont été l’occasion pour certains de prendre les biens d’autres. Donc, ce n’est pas aussi simple que ça, car il y a eu des torts des deux côtés et même au sein de nos États par les forces de l’ordre. La grande réunion sous le règne du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, a permis des avancées notoires vers la solution de ce problème. Les événements de 89 sont beaucoup plus complexes qu’on ne le croit.

Quelle solution pour le règlement définitif du passif humanitaire?

Ce qui est étonnant chez les Mauritaniens, c’est que les phénomènes se produisent et les gens restent accrochés à leur passion. Vous savez, il y a eu cette très grande réunion de réconciliation nationale du temps de Sidi Ould Cheikh Abdallahi – que j’avais d’ailleurs présidée- pour traiter le problème de retour des déportés et du passif humanitaire. Je me souviens que je faisais partie de ceux qui pensaient qu’on n’allait pas arriver à un consensus.

Mais Dieu merci nous y sommes arrivés. Cette grande réunion a abouti à des conclusions consensuelles. Mais le coup d’État intervenu contre le président Cheikh Abdallahi est venu interrompre ce processus. Le problème des déportés avait pourtant été traité, et la décision de faire revenir tous les Mauritaniens dans leur pays et de les rétablir dans leurs droits, adoptée. Celui du passif humanitaire allait également être résolu, et la conviction établie qu’il ne s’agissait pas d’aller vers les règlements de compte et des jugements, mais qu’il fallait trouver d’un côté le pardon et de l’autre des réparations. Une commission a été créée pour faire ce travail. Je crois qu’il faut reprendre le travail là où il a été interrompu par le coup du 6 août 2008.

Actuellement au sein de la COD, j’ai fait une proposition qui consiste à créer une commission permanente de vérité et de réconciliation, qui va reprendre ce dossier et chercher à l’appliquer tel qu’il a été accepté par les différentes parties. Elle devrait faire des rapports ponctuels pour dire où est ce qu’on en est. Cette commission devrait également prendre en compte l’éradication des séquelles de l’esclavage. Car, il faut plusieurs années encore pour en finir avec ce problème. Cette commission devrait rendre compte aux autorités, tout comme les parlementaires, de l’évolution des choses dans ce domaine.

Êtes-vous pour ou contre l’extradition du président Taya devant la Cour Pénale Internationale?

Je ne crois pas que cela ferait avancer les choses dans le bon sens. Parce que le jugement des individus est toujours très aléatoire. Et je suis complément convaincu que Maâouiya n’a jamais donné l’ordre de tuer ou d’exécuter les gens. J’ai même eu des témoignages de personnes qui m’ont affirmé qu’il (Maâouiya Ould Sid’Ahmed Taya-ndlr) était le premier désespéré après avoir appris la nouvelle des tueries. Pour dire que certains gens, qui se croyaient plus royalistes que le roi, ont agi en son nom pour faire des choses que le roi n’a même pas ordonné de faire.

 

Propos recueillis par El Madios Ben Chérif

 

Source: Noor Info

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