(Idées) Israël doit sortir de la légende pour passer au réel

Pour répondre à M. Marek Halter (Le Monde 19/08/11)* qu’il soit permis de rappeler (d’appeler à la lecture) et prendre appui sur l’ouvrage de Sylvain Cypel : les Emmurés, la société israélienne dans l’impasse, Paris, La Découverte,2005.

 

 

On parlera d’Israël en dehors du conflit israélo-arabe quand cet Etat acceptera de sortir de la légende pour tenir son rang dans l’histoire des Nations. Et l’on sait de tout temps que les légendes nourrissent les impostures; et donc pour parler, enfin, « autrement » d’Israël il faut que ce dernier accepte de mettre un terme à trois impostures majeures qui empoisonnent sa propre existence: une imposture historique, une imposture nationale et une imposture politique.

Au regard de l’Histoire, il convient de rappeler que la résolution 181 de l’ONU, dès le 29 novembre 1947, recommandait un plan de partage de la Palestine en deux Etats indépendants, l’un « arabe » et l’autre « juif ». Dès l‘origine, dans l’esprit de ceux qui ont voulu et contribué à la création de l’Etat d’Israël, ce dernier devait s’inscrire au côté d’un « Etat arabe » à naître qui ne s’écrivait pas encore  » palestinien « . En aucun cas, la résolution de l‘ONU n’était une décision octroyant un droit à l’existence d’un Etat juif envers et contre tous. Au mépris insolent de la lettre et de l’esprit de la résolution 181 Israël s’est octroyé dès le départ et d’autorité les terres des « absents » soit environ 60% de son propre territoire, avant de procéder dès juillet 1948 ( !) à l’expulsion de 82% des Palestiniens vivant sur les territoires dévolus à ces derniers par l’ONU mais convoités avant d’être « annexés » par Israël. A l’expulsion s’ajouteront les destructions physiques de 400 sur 500 villages palestiniens. Il fallait une terre « nettoyée » de son passé pour accréditer la légende d’une terre « neuve » originelle. Les accords d’Oslo n’étaient donc qu’une mise en conformité du droit et des faits, dont les gouvernements israéliens successifs depuis l’assassinat de Itzhak Rabin n’ont eu de cesse de parjurer la signature et de remettre en question ce qui était acquis ou accessible…on est toujours trahi (et ici,en outre, tué) par les siens. Voilà pour l’imposture historique.

L’imposture nationale est tout entière contenue dans le fait que l’histoire nationale d’Israël occulte ces faits, et a donc créé et alimenté la « légende » de l’agression « arabe » pour justifier une politique continuelle de conquête de territoires au nom d’une légitime défense pervertie. Cette tromperie délibérée du peuple israélien a conduit ce même peuple à accepter de consentir des sacrifices humains, politiques et financiers hors de proportions avec ce que le droit à l’existence exigeait. Israël n’était pas menacé mais bien menaçant, provoquant l’hostilité régionale dont il se proclamait néanmoins haut et fort la victime. Au fond personne ne contestait les frontières d’origine de l’Etat d’Israël sinon Israël lui-même, et Sylvain Cypel rappelle judicieusement les propos tenus par Ben Gourion dès 1948 sur cette question : « (..) Nous nous emparerons de la Galilée occidentale et des deux côtés de la route vers Jérusalem (alloués par le plan onusien de 1947 à la future Palestine) et tout ça deviendra partie de notre Etat, si l’on en a la force. Alors pourquoi s’engager (sur des frontières) ? ». Les cartes reproduites se passent de commentaires et disent presque tout du torpillage délibéré du processus de paix par Israël.

Enfin, les responsables israéliens ont pris la responsabilité d’inscrire dans les mentalités une culture d’apartheid. Or cette culture ne discrimine plus désormais seulement les Arabes, mais désormais les juifs entre eux, au sein même de la société civile. Les vagues successives de « nouveaux » arrivants sont de moins en moins intégrés, parfois leur venue a été parfaitement intrusmentalisée notamment aux fins de colonisation des territoires occupés, qui demeuraient insuffisamment habités pour légitimer une occupation militaire. Le mouvement « d’indignés » qui réveille la société civile israélienne aujourd’hui est la manifestation citoyenne d’une saturation face à des inégalités croissantes, à des fossés sociaux qu’Israël creuse en son sein, derniers avatars de cette culture d’apartheid qui n’est au fond qu’une perversion du sionisme fondateur…soit une imposture politique que ne veut plus subir (taire?) le peuple israélien.

Les faits étant, par nature, têtus, les hommes obstinés par nécessité et l’avenir compté, il faut que cesse cette intolérable soumission à un « particularisme » d’Israël violation des fondements des Nations Unies, ceux de l’égalité et de la fraternité nécessaire des peuples. L’Autorité palestinienne a fixé un rendez-vous de paix au monde le 20 septembre prochain devant l’ONU, et il serait temps qu’Israël (pour lui-même) saisisse, à cette occasion, le destin qui ne lui est pas contesté : celui de vivre sur une terre faite d’histoire et non plus de légendes, faite par des hommes et non des bourreaux et des victimes, faite pour durer et non seulement résister. A cette seule condition, M. Marek Halter un « Israël juste » sera non plus un rêve – il faut en finir avec la légende – mais un fait en devenir.

Germain Latour, avocat

Source  :  Le Monde le 23/08/2011

 

*(note de Kassataya) : TRIBUNE de Marek Halter ( Le Monde le 19/08/2011) :

Quand pourrons-nous enfin parler d’Israël en dehors du conflit israélo-palestinien?

J’avais cru qu’on pouvait enfin parler d’Israël, comme de l’Egypte, en dehors du conflit israélo-arabe. Parler de la société israélienne, de ses rêves et des conflits qui la traverse. Or, voilà que j’apprends que des attentats terroristes ont eu lieu, près d’Eilat, encore des morts, encore des blessés.

L’œuvre des jusqu’au-boutistes qui involontairement peut-être viennent au secours du gouvernement israélien en difficulté avec sa population. Un acte cependant qui vise Mahmoud Abbas et son projet de proclamation d’un Etat Palestien dans les frontières de 1967. Car, ceux qui tuent, quelle que soit leur appartenance, veulent toute la Palestine. Comme le montrent les cartes de la région vendues à Gaza.

Khaled Mechaal que nous avons, Clara Halter et moi même, rencontré à Damas pour lui parler de Gilad Chalit nous avait prévenus : il y a parmi les Palestiniens des groupes plus extrémistes encore que le Hamas. Je soupçonne l’Iran d’avoir aidé cette attaque terroriste pour détourner l’attention des médias de la Syrie dont l’effondrement serait tragique pour Ahmanidejad.

Cela ne devrait pas nous empêcher de nous pencher enfin sur la société israélienne comme nous l’avons fait avec l’Egypte à partir de la révolte de la place Tahrir.

Israël est né d’une longue lutte armée des juifs de Palestine contre l’occupant Ottoman d’abord, Britannique ensuite. Mais pour ceux qui l’ont proclamé, Israël représentait avant tout le premier pas dans la réalisation d’un projet, un vieux projet messianique d’une société exemplaire, égalitaire et sans exploitation de l’homme par l’homme.

Théodore Herzl le fondateur du sionisme politique le dit en toute lettre dans son livre L’Etat des juifs (1896). Il y réclame déjà la journée de travail de huit heures, la syndicalisation des travailleurs, une protection sociale pour tous, l’interdiction de l’exploitation de la main d’œuvre locale ou étrangère, un même salaire pour tous et le droit de vote pour les femmes… Eh oui ! Aussi il n’est pas étonnant que la Histadrouth, la puissante centrale syndicale juive, se crée cette même année 1896, plus de cinquante ans avant la proclamation d’Israël, un événement inimaginable dans cette Palestine de la toute fin du XIXe siècle occupée par les Turcs.

Cette centrale syndicale crée à son tour un fonds d’entraide aux chômeurs et une agence pour l’emploi, mais aussi l’un des premiers théâtres dans le pays Haohel, une maison d’édition Am Oved, un quotidien Davar, un club sportif Hapoel et en 1926, Tnouva considérée comme l’une des plus grandes coopératives agricoles du monde. Quant à la Koupat Holim, la sécurité sociale, elle naît en 1933.

Aujourd’hui plus de deux millions d’individus y adhèrent. Le premier Kibboutz, Degania, voit le jour en 1907. Depuis, des centaines de ces micros sociétés collectives apparaissent dans le pays. Sociétés qui ne connaissent pas l’argent et où on partage parmi ses membres le produit du travail.

L’université hébraïque sur le mont Scopus à Jérusalem est inaugurée en 1925, vingt-deux ans avant la proclamation de l’Etat d’Israël et l’Institut des recherches Weitzmann à Rehovot, en 1939. La même année s’ouvre le plus grand centre médical au Proche-Orient, l’hôpital Hadassa.

Bref ce fut un vrai Etat longtemps avant la proclamation de l’Etat. Etat que Arafat admirait et qu’il aurait aimé reproduire du côté palestinien. Sauf que l’Etat que les juifs tentèrent de bâtir, n’était pas pour eux un Etat comme les autres. Israël devait avant tout être à leurs yeux un Etat juste. Certes les juifs n’ont pas tout réussi mais le rêve d’un voyage, c’est déjà un voyage.

Or voilà que ce voyage fut brusquement interrompu le 4 novembre 1995 par l’assassinat d’un homme grandi dans le Kibboutz Ramat-Yohanan et qui venait de signer la paix avec les Palestiniens, Itzhak Rabin. L’assassin était un jeune fanatique religieux, Yigal Amir.

LE RÊVE INTERROMPU

Au cours des quatre mille ans de l’histoire juive, l’assassinat de Itzhak Rabin n’a qu’un seul précédent : l’homicide de Guedaliah, gouverneur de Judée en 586 avant notre ère. Au lendemain de l’exil vers Babylone d’un grand nombre de Judéens déportés par le roi Nabuchodonosor, Guedaliah ben Ahikam fut désigné pour redonner un souffle au pays meurtri. C’était un esprit réaliste et fort. On l’accusa de brader le pays à l’étranger. Il fut assassiné par un opposant juif, un certain Ishmaël ben Netanya. Choqué par ce crime et encouragé par le prophète Jérémie, le peuple instaura un jeûne en souvenir du gouverneur exécuté. C’est le jeûne de Guedaliah.

Mais après l’assassinat de Rabin, nul jour de jeûne ou de commémoration. Pourquoi ? Ceux qui ont pris la place de Rabin à la tête d’Israël, tel Benjamin Netanyahu ne le crurent pas nécessaire. En bon élève de Reagan et Thatcher, ils voulurent tout d’abord transformer Israël en un pays capitaliste et libéral. Un pays « normal ». Ils ont réussi… à la Bourse. Mais la société israélienne, l’héritière des prophètes ne pouvait pas longtemps se contenter des bons points à la Bourse. Face à l’injustice sociale, il fallait qu’elle réagisse.

François Truffaut a dit un jour devant moi qu’il aimait les juifs car ils se réveillaient tout les matins en colère. J’ai fini par me demander si les Israëliens étaient encore des juifs. Leur révolte prouve que j’avais tort d’en douter.

Et la Paix dans tout cela? Les centaines de milliers de manifestants qui arpentent les rues des villes israéliennes découvriront tôt ou tard que les milliards de shekels dépensés dans la construction dans les territoires auraient suffi à construire des maisons et même des villes nouvelles dans le Neguev ou en Gallilée pour tous ceux qui n’ont pas à se loger.

Aux israéliens attachés à la Bible et qui savent que c’est à Hebron qu’Abraham avait acheté il y a quatre mille ans son premier lopin de terre au Hittite Ephron, je rappelle qu’il a acheté la Paix au roi des Phillistins, Abimelekh, près d’un puis dans le Neguev, puis d’où jaillit des siècles plus tard la ville de Beercheva, lieu où les israéliens, les descendants d’Abraham, viennent de manifester leur colère.

La coalition hétéroclite de droite composée de néo-conservateurs à la manière américaine, de juifs d’origine russe aux réflexes soviétiques et des ultra orthodoxes, aujourd’hui au pouvoir à Jérusalem, pourra-elle tenir longtemps encore face à cette colère ? A-t-elle le début d’une réponse, elle qui n’est d’accord que sur la politique étrangère et l’attitude face aux Palestiniens ? Or c’est la politique intérieure qui l’interpelle. Si le mouvement de contestation ne s’essouffle pas, ce gouvernement ne peut que sauter. Je ne vois pas ces différentes composantes trouver une réponse commune aux revendications des Israéliens. Alors, peut-être le rêve d’un Israël juste, interrompu il y a seize ans, se remettra-t-il en marche.

Marek Halter

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