Hydrocarbures: Du gasoil, mais à quel prix ?

Depuis le début de l’année 2011, une demi-douzaine de hausses des prix des carburants ont été constatés. Si les consommateurs râlent, c’est sans savoir que malgré ces micro-hausses, la réalité des prix de ces carburants est loin d’être appliquée, au détriment des sociétés d’hydrocarbures qui supportent l’importante différence,

 

 

et qui sont menacées d’étouffement par cette imposition des prix par l’État et par un système de correction des prix qui n’est plus respecté dans ses textes, alors même les marges de manœuvre du budget de l’état restent limitées.

La plupart des pays émergents subventionnent les produits pétroliers afin de préserver le pouvoir d’achat des populations, durant la période de hausse des prix du brut. Notamment à travers le système dit de la «marge corrective» inauguré dans les années 80. Ce système est fondé sur la fluctuation permanente et cyclique, du prix du baril du brut: Quand le prix augmente, l’État bloque les prix ou les ajuste légèrement, et quand il baisse l’Etat insère un montant dit de correction des prix pour rembourser les différences subies par les distributeurs. La différence supportée au début par les distributeurs est en définitive payée par le consommateur. A terme, les paiements s’équilibrent, sans intervention financière du budget de l’Etat, par le jeu des fluctuations permanentes des cours.

«Aujourd’hui, tous les experts sont d’accord pour dire que le pétrole va être de plus en plus cher. Mécaniquement, gasoil et essence seront plus chers. Et on veut faire croire aux mauritaniens, qu’ils sont dans une bulle, déconnectés du monde en leur fournissant des carburants à un prix défiant tellement la concurrence qu’il y a un trafic de ces carburants entre la Mauritanie, le Sénégal et même le Mali» dit d’emblée un directeur d’une des sociétés locales de distribution.
La facture pétrolière mauritanienne a augmenté de 30% en 2009. Elle augmentera du même taux en 2011, passant de 460 à 600 millions de dollars, sans augmentation de la quantité utilisée. Une étude en avril 2011 indiquait un prix à la pompe de 293 ouguiyas, au lieu de 371,6. «Cela correspond à une perte sèche prévue sur 2011 de l’ordre de plus de 21 milliards d’ouguiyas; et ceci rien que pour le gasoil» constate cette étude.

«Il y a une structure économique des prix qui est internationale. On ne peut pas soustraire toute l’économie de la Mauritanie à cette réalité mondiale. On fait croire au citoyen une réalité qui n’est pas du tout celle-ci. D’autant que l’état n’a pas les moyens de subventionner une telle facture de 600 millions de dollars, qui pèse sur la balance de paiements nationale» estime un analyste financier d’une des banques nationales. L’état n’aurait objectivement plus les moyens de subventionner les hausses de prix permanentes. A terme, les sociétés distributrices risquent fortement d’être défaillantes, car en réalité, il est difficilement envisageable que le Trésor leur rembourse leurs dus dans des délais raisonnables, ce qui constituerait pour elles un important manque à gagner, qui compromettrait vraisemblablement leurs engagements auprès des banques.
Ne pas appliquer une stricte réalité des prix, quand dans le même temps on ne prend pas en compte le remboursement des différences subies par les sociétés peut fragiliser le circuit économique. «Il ne faut pas occulter une possible faillite des distributeurs d’hydrocarbures; le cas de la NAFTEC qui en est une confirmation doit servir d’alarme. Si les distributeurs ne peuvent tenir leurs engagements bancaires, c’est la catastrophe. Il y a une réelle interaction entre les distributeurs et les banques locales qui garantissent et financent toutes les importations de produits pétroliers. Toute faiblesse de ceux-ci entrainera une cascade de conséquences pour toute l’économie mauritanienne, les banques et la monnaie nationale en premier.» estime l’analyste.

Trois scénarios en vue

Lors de sa rencontre avec les médias et les représentants de l’opinion nationale, le Président de la République a clairement répondu aux questions relatives aux prix des produits pétroliers. Il s’agit des prix du marché international qui sont imposés à tous. Les prix locaux sont maintenus à un très bas niveau comparé à la réalité de ces coûts et des prix des pays voisins. Les distributeurs subissent une différence de 56 UM par litre de gasoil vendu. L’Etat va prendre la charge de 12 milliards d’ouguiyas pour faire face à cette différence. « Mais il faut se rendre à l’évidence que la réalité des prix va être appliquée à terme, même si ce sera de manière progressive » assure un distributeur local.

Face à cela, trois scénarios se dessinent selon les acteurs de ce secteur. Soit on applique la «vérité des prix» conformément à la réalité internationale, soit l’état continue à subventionner par une réduction des recettes douanières ou directement de son budget. C’est le troisième scénario qui est suggéré par le président de la République, qui consisterait à faire rembourser par le Budget de l’Etat le montant des différences subies par les Distributeurs. Un montant de 12 milliards d’ouguiyas a été annoncé. C’est un grand pas pour l’état qui affiche ainsi sa volonté de préserver l’équilibre économique national. Mais, s’agissant d’une hausse des prix pétroliers, dont personne ne peut mesurer les limites, le maintien de cette politique s’avère difficilement concevable, eu égard aux limites propres aux ressources de l’Etat et aux besoins incommensurables du développement national.

Dans la constitution des prix du gasoil, l’état impose déjà en taxes et droits divers, près de 21,3%. La troisième voie consisterait donc à réduire certaines charges, et certains prélèvements fiscaux et douaniers, tout ceci conjointement à une augmentation de la charge du consommateur mauritanien, «qui doit apprendre à vivre avec un niveau de prix plus élevé mais bien inférieur à la réalité» martèle un cadre d’une des sociétés de distribution.

Au Sénégal, depuis la crise de 2006, qui avait vu les stations non ravitaillées, le gouvernement a pris l’engagement d’appliquer la stricte réalité des prix. «Elle s’est rendue compte de l’impasse financière dans laquelle la décision contraire allait menacer les sociétés et qu’il valait finalement mieux un produit cher, que pas de produit du tout» explique un fournisseur local. Ainsi, le prix du gasoil coûte l’équivalent de 476 UM aujourd’hui à Dakar, soit 821 FCFA. Au Mali, l’État a choisi de ne pas répercuter la totalité de l’augmentation des prix internationaux, avec un prix fixé à 610 FCFA, soit 366 ouguiyas le litre. La hausse des prix a été contenue au prix d’une quasi-suppression des taxes étatiques.

 


Responsabiliser le consommateur

Pour des raisons politiques, les autorités publiques tardent à annoncer la réduction ou la fin des subventions. Inévitablement on y arrivera. D’autant plus que de telles subventions déresponsabilisent les consommateurs qui ne sont pas incités à adopter des comportements pour consentir des économies en énergie. «Les Mauritaniens doivent mieux utiliser le carburant. Seulement, face aux subventions qui ne leur font pas ressentir le difficile contexte de l’approvisionnement en énergie, ils n’en voient pas l’utilité. La crise leur semble lointaine. C’est pour cette raison, par exemple, que le FMI et la Banque Mondiale ne soutiennent pas les subventions dans ce domaine» assure un membre de la commission nationale des hydrocarbures. Aujourd’hui, le prix à la pompe devrait se situer autour de 368 ouguiyas le litre de gasoil, au lieu des 312 en vigueur. Jusqu’à présent ce sont les distributeurs qui supportent la différence.

«Politiquement on ne peut pas continuer comme ça. Il faut faire prendre conscience aux mauritaniens qu’ils doivent changer de comportement. Les mettre face à la réalité, les sensibiliser. On ne peut pas protéger un consommateur inconscient» estime un distributeur local.
«Le citoyen lambda mauritanien, par les temps qui courent, préférerait voir ces dizaines de milliards servir à stabiliser les prix des denrées alimentaires, qu’à garantir la liberté de circuler des plus aisés» continue-t-il.
Le manque de communication des autorités sur la question peut laisser perplexe.
Il n’y a aucune communication de l’état sur la hausse des prix. Il y a eu une demi-douzaine de micro hausses des prix pour ne pas heurter le consommateur, mais la fréquence de ces hausses donne au consommateur l’impression de se faire avoir, alors que c’est très loin d’être le cas. Du coup, l’état alimente très maladroitement la contestation sociale. Il vaut mieux à mon sens, 50 ouguiyas d’augmentation en une seule fois, qu’en 10! et il devra bien expliquer un jour aux consommateurs l’impérative nécessité d’augmenter les prix» développe le distributeur. Cette affaire semble être en grande partie une affaire de communication et de sa gestion.

Mamoudou Lamine Kane

 

Source  :  Noor Info le 15/08/2011

 

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