Nouvelle convention de pêche entre la Mauritanie et le Chine: Le péril jaune

chalutier-1Vingt-cinq ans ! Un quart de siècle d’énormes avantages fiscaux et de passe-droits mirobolants, avec des garanties juridiques appuyées: tel apparaît la convention obtenue, par la compagnie chinoise Poly-HonDone pelagic Fishery Co.,

auprès du gouvernement mauritanien, représenté par Sidi Ould Tah, ministre des Affaires économiques et du Développement. S’agit-il de sécuriser un nouveau programme spécifique de développement durable, assurant un transfert de technologies et de compétences, sans incidences environnementales particulières? Non pas. C’est, très prosaïquement, un nouvel avatar du pillage de nos ressources halieutiques, quasiment sans compensations, sinon secrètes. On va pouvoir se rendre compte, à l’énumération des avantages accordés, que celles-ci ne doivent pas être quelconques…
Tout commence par l’attribution gracieuse d’un terrain de six hectares, à Nouadhibou, où l’investisseur chinois s’engage à construire un «complexe industriel», comprenant un ponton d’accostage, un quai de débarquement, deux unités de traitements des produits de la pêche, une fabrique de 100 tonnes/jour de glace, un frigo de 6.000 tonnes, une unité de fabrique de farine de poisson, un laboratoire de contrôle interne, un chantier naval de construction de pirogues artisanales, une base-vie et, en bout de priorités, un centre de formations et de recyclage. Le tout pour un investissement de cent millions de dollars US, pouvant être ramené à quatre-vingt – une éventuelle réduction dont la production ne fera, certainement pas, les frais…
C’est au vu des probables «grandes retombées socio-économiques, […] nombre d’emplois et valeur ajoutée générés, importantes entrées de devises», et sans une quelconque appréciation des effets pervers, tout aussi probables et non moins grands – destruction d’emplois, impacts environnementaux – que va s’articuler l’impressionnant panel des avantages fiscaux et autres passe-droits accordés à l’entreprise chinoise: liberté de choix de ses fournisseurs; liberté d’importation – assortie, pour les matériaux de construction, les machines, les outils et équipements de pièces de rechange, les engins, les véhicules, le matériel ré-exporté par les sous-traitants (certainement chinois), les matières premières, diesel, lubrifiants, alimentation des expatriés et produits semi-finis nécessaires à la production, de toute taxe d’importation – des matériels, équipements de production, matière d’emballage, assaisonnement, pièces de rechange et autres produits, pièces détachées et matières consommables, quelle qu’en soit la nature et la provenance; liberté d’exporter toute sa production suivant les circuits de son choix, les produits manufacturés exonérés de toute taxe d’exportation; liberté, enfin, de fixer ses prix et de conduire sa politique commerciale. Durant vingt-cinq ans. Un quart de siècle de petite enclave chinoise en territoire mauritanien, fonctionnant, le plus possible, en vase clos, et consacrée au pillage de nos ressources halieutiques.

Petite enclave chinoise en Mauritanie
Car, ainsi que le signalent les professionnels de la pêche, dans un communiqué condamnant la convention, «l’attribution de dizaines de licences de pêche de fond (chalutiers, caseyeurs, palangriers, fileyeurs et divers pêcheries expérimentales) vient accroître, dangereusement, la pression sur la ressource céphalopodière, déjà surexploitée, à hauteur d’au moins 35 %, selon les conclusions de l’ensemble des chercheurs présentées durant les groupes de travail de l’IMROP, y compris le plus récent, organisé le mois de décembre 2010, à Nouadhibou, en présence des experts internationaux». Et les professionnels de relever, également, les risques sociaux générés par cette nouvelle intrusion dans le tissu, fragile, de l’exploitation des ressources halieutiques mauritaniennes : «l’ouverture de la pêche artisanale et côtière aux marins chinois constitue une atteinte grave aux intérêts vitaux de cette frange sensible des travailleurs mauritaniens. Les artisans mauritaniens commencent à peine à mauritaniser certaines pêcheries, face à leurs frères africains, après plusieurs années d’efforts soutenus. L’introduction massive et incontrôlée des Chinois, avec des embarcations sophistiquées, va tuer, dans l’œuf, cette timide croissance observée, ces derniers temps, au niveau du segment de la pêche artisanale».
Et ce n’est pas tout. Les avantages concédés aux Chinois, du point de vue fiscal, sont particulièrement remarquables. Exonération de l’Impôt Minimum Forfaitaire (IMF); déduction annuelle de 20% des investissements, pendant cinq ans, sur le bénéfice imposable; réduction de 50% de la Taxe de Prestation de Service (TPS), sur le coût des opérations bancaires contractées auprès des institutions nationales; exemption totale de patente ou tout autre impôt pouvant s’y substituer, de la contribution foncière sur propriétés bâties, établie sur la propriété, la détention ou l’occupation des éléments immobiliers et mobiliers, corporels et incorporels, affectés à l’activité; exonération des droits d’enregistrement et de timbres divers; exonération de l’Impôt sur le Revenu des Capitaux Mobiliers (IRCM) prélevé, par l’entreprise, sur les dividendes distribués aux non-résidents. Sans parler des détaxations sur les importations du personnel chinois de l’entreprise… vingt-cinq ans durant. Un quart de siècle de passe-droits inouïs.
Mais, me direz-vous, l’entreprise chinoise ne s’est-elle engagé à produire 2.463 emplois permanents? De fait, les cinq premières années, 30% de effectifs totaux de l’encadrement ou de maîtrise – on devine, aisément, qu’il s’agira, en priorité, de sa tranche supérieure – et 20%, par la suite, seront constitués de chinois, sans besoin d’autorisation ni permis de travail. L’engagement à former professionnellement les ressortissants mauritaniens que l’entreprise aura à employer ne précise absolument rien du cadre, de la durée et du contenu de cette formation, éventuellement réduite, donc, à sa plus simple expression, celle des stricts besoins de la production. Bref: on voit mal en quoi ce point pourrait constituer l’argument décisif, justifiant l’énormité des avantages accordés à l’entreprise chinoise. Faudrait-il chercher du côté de l’autre accord, signé avec le ministre de l’Energie et du Pétrole, Wane Ibrahima Lamine – on en reparlera plus loin – ou des mystérieux avenants annexés à la convention, que les parlementaires n’ont pu consulter mais qui constituent «partie intégrante» de l’ensemble et sont «revêtus de la même force juridique»?

Un quart de siècle de passe-droits
Il est fort à parier que ceux-ci renforcent, encore, l’impression de déséquilibre global, en faveur de l’opérateur chinois, au détriment de la nation mauritanienne toute entière et c’est, probablement, vers d’autres accords, encore mieux tenus sous le boisseau, entre les Etats chinois et mauritanien qu’il faudrait chercher la clé de toute cette affaire. On se souvient que, sous Ould Taya, un deal analogue avait pourvu la Mauritanie en armes chinoises. Or, Poly technologies, le groupe chinois dont Poly-HonDone pelagic Fishery Co.est une des filiales, était, avant 1998, un des principaux exportateurs d’armes et de technologies de la Chine. L’entreprise, fondée dans le courant des années 80, par le fils d’un prévôt de l’Armée Populaire de Chine (APL) est, actuellement, dirigée par le gendre de Deng Xiaoping, Il est assez probable que ses liens, avec Ould Abdel Aziz, très préoccupé, à cette époque, par l’équipement du BAtaillon de SEcurité Présidentielle (BASEP), se soient fondés à la fin de ces années 80. Dix ans plus tard, le groupe fit peau neuve mais ses éléments liés au commerce des armes auraient été conservés par la Division générale des armements de l’APL, nouvellement fondée, où ils ne peuvent pas facilement être assujettis à un contrôle civil.
Désormais connue sous le nom de China Poly Group (Groupe Poly Chine), Poly s’est diversifiée en un vaste conglomérat, actif dans le tourisme, la construction des infrastructures, l’immobilier, les mines, les ressources renouvelables, les travaux publics et la pêche. Les entreprises nouvellement indépendantes sont fortement motivées, sur le plan économique, à poursuivre les ventes d’armes, puisque leurs dirigeants sont, maintenant, responsables des profits et des pertes de l’entreprise. Bon nombre des gestionnaires de Poly et d’entreprises affiliées sont d’anciens militaires ou des parents, qui entretiennent, toujours, des liens étroits, avec les hautes personnalités officielles, ce qui rend ces entreprises difficiles à contrôler. Wang Jun, le président de Poly, est aussi le chef de la China International Trade and Investment Corporation (société internationale chinoise de commerce et d’investissement), ce qui lui offre un éventail particulièrement élargi d’opportunités, dans tous les domaines commerciaux et financiers.
Les ventes d’armes font partie intégrante de la politique économique chinoise et aident à amortir et sécuriser les investissements réalisés en Afrique, dans le domaine des matières premières, renouvelables ou non. C’est, en quelque sorte, le pendant négatif des réalisations appréciables de la Chine en Afrique (investissements en infrastructures, hausse des prix des matières premières tirée par la demande chinoise). Sur le long terme, ces ventes d’armes peuvent se révéler dommageables, pour la sécurité en Afrique, surtout que l’ambition chinoise est de devenir le premier exportateur d’armes, à l’horizon 2020. Le gouvernement central chinois ne veut pas, seulement, contrôler les livraisons et ventes d’armes mais, aussi, avoir son mot à dire, dans la manipulation des conflits, sur le continent africain (livraison d’armes chinoises au Soudan, par exemple, pour des intérêts dans le pétrole). Les hélicoptères de combat, utilisés lors des exactions contre les civils, au Darfour, étaient de marque chinoise et utilisaient, comme base, les plateformes pétrolières de la China National Petroleum Corporation, une joint-venture sino-soudanaise. En fait, il faut bien comprendre que les opportunités d’exploitation des matières premières en Afrique – notamment dans la bande saharo-sahélienne – découlent de l’habilité à manipuler les conflits locaux, après les avoir, éventuellement, suscités. Générer l’instabilité, avant d’offrir son aide à la contraindre et d’imposer, plus tard, son diktat…

Effets pervers occultés
Pour en revenir au strict domaine de la pêche, il faut noter, également, le lien, étroit, entre la démarche de Poly-HonDone pelagic Fishery Co. et celle de China Fishery Group Ltd, un des géants de la pêche chinoise. Nous n’avons pas pu établir, formellement, la participation du second, au capital du premier, mais la collusion des démarches est telle que celle-là apparaît plus que probable. Les activités de China Fishery Group comprennent la pêche elle-même, la vente de poissons et de produits de la mer, la cession de ses quotas de pêche non-utilisés, ainsi que la production de farine et d’huile de poisson. En 2008, ses ventes se sont élevées à 3,2 milliards de dollars US, ce qui équivaut à plus du tiers de la valeur de toutes les exportations de pêche de la Chine. China Fishery Group exploite une flotte d’environ quatre-vingt bateaux et vend la plus grande partie de ses captures sur le marché chinois. Elle a récemment percé, en Mauritanie, en acquérant des licences de pêche, lui permettant de maintenir en activité ses navires, pendant la saison creuse dans le Pacifique sud, où ils pêchent habituellement, et ce, sans devoir consentir de trop importants investissements.
China Fishery Group agit de concert avec un autre géant chinois, Pacific Andes, sans qu’il soit possible, une nouvelle fois, de démêler, exactement, leur degré réel d’accointance. Pacific Andes a envoyé deux de ses chalutiers congélateurs en Mauritanie, avec la possibilité d’augmenter ce nombre à cinq. Mais c’est, surtout, l’arrivée du «La Fayette», son bateau-usine vedette, qui sera approvisionné par ses propres chalutiers frigorifiques utilisant de l’eau de mer (RSW), et par d’autres chalutiers européens, provenant d’Irlande et d’Ecosse, utilisant la technique du chalutage en boeuf. Le «La Fayette» a une capacité de stockage de 300.000 tonnes. Capacité de congélation: 1.500 tonnes/jours. Aucun bateau au monde ne lui arrive à la cheville. L’Atlantic Dawn qui avait, à l’époque, défrayé la chronique, pour son impact sur la ressource halieutique mauritanienne, est une pirogue, à côté de ce nouveau Léviathan qui dispose d’une capacité cinq fois supérieure de stockage et de traitement.
Le directeur général de Pacific Andes a souligné que la société avait décidé d’augmenter fortement sa présence dans la capture et la distribution africaines, parce que «l’Afrique a un potentiel de croissance élevé, supérieure, même, à celui de la Chine». C’est dans cette stratégie d’implantation continentale que la Mauritanie, proche des marchés africains importants pour les petits pélagiques congelés, tels que le Ghana ou le Nigéria, apparaît comme une base de premier choix. Et il n’est, évidemment pas, fortuit que Poly Technologies installe, en complément des activités, en mer, de Pacific Andes, un complexe industriel de traitement, à terre… Du coup, on en vient à s’interroger sur le sens de l’autre convention, signée par les Chinois, qui les engageraient à électrifier vingt-quatre villages mauritaniens par voie solaire. Petite compensation aux faveurs accordées dans le domaine de la pêche? Ou initiation d’une nouvelle dépendance, dans le domaine des énergies renouvelables, cette fois? Lilliputien devant un géant – et il faut avoir la lucidité de reconnaître cet état de fait, entre la Mauritanie et la Chine – on n’est jamais trop prudent, dans l’examen du menu de celui-ci…
Habitués que nous étions à des rapports de domination étrangère fondée sur la violence guerrière, on aurait pu se croire, sous nos khaymas, seuls à utiliser d’autres formules d’asservissement. Les récents accords des képis qui nous gouvernent nous rappellent à l’évidence du contraire. Dans le climat extrêmement trouble de la recomposition de l’espace saharo-sahélien, en vue de l’exploitation, désormais rentable, des ressources de cette immensité, la Chine avance, à pas feutrés de tigre – et pas de papier – en jouant sur sa capacité à coordonner toutes ses activités, sans considération des effets pervers de telle ou telle, pourvu que l’ensemble lui soit, globalement et largement, profitable. Certains, en Mauritanie, en tirent et tireront encore, certainement, quelques miettes de pouvoir supplémentaire mais le peuple mauritanien? Dans vingt-cinq ans, un quart de siècle, les premiers, il est vrai, ne seront probablement plus là, pour rendre des comptes au second…

Ben Abdella



Encadré :

Ce n’est pas le fond qui manque
Le tollé provoqué par la nouvelle convention provient de ce qu’elle ne concerne pas, seulement, le pélagique, pêcherie migrante à fort potentiel d’exploitation. Des dizaines de bateaux de fond seront autorisés à concurrencer les navires nationaux et à mettre la pression sur une ressource qui fait, déjà, l’objet d’une surexploitation effrénée. Cinq chalutiers de fond commenceront à pêcher, en 2011; cinq les rejoindront, en 2012, et cinq autres, dès la réalisation de l’investissement à terre. Quatre côtiers caseyeurs qui pêchent le poulpe bénéficieront de quatre licences, cette année. Les côtiers palangriers et les côtiers fileyeurs auront droit à huit licences, en 2011, quatre, en 2012, et quatre, après la fin des travaux. Tous ces bateaux peuvent jeter leurs filets, dès septembre prochain, alors que les premiers murs de l’usine ne sont pas sortis de terre. Cent pirogues équipées – d’une valeur de 150.000 dollars l’unité, selon les Chinois – seront attribuées aux Mauritaniens, pour alimenter l’usine. Et, comme le poulpe bénéficie d’une grande valeur marchande, ces pirogues s’achemineront vers cette espèce.
En plus de ces licences, l’article 6 de la convention stipule que «les deux parties peuvent convenir de mener des campagnes de pêche expérimentale, dans la ZEE mauritanienne. A ce titre, des autorisations seront autorisées pour des navires, aux fins d’essai, en étroite collaboration avec l’institut mauritanien chargé de la recherche». Ce qui peut ouvrir la voie à toutes sortes de dérives. Les Chinois peuvent envoyer, demain, des dizaines de bateaux s’adonner à la «pêche expérimentale», remplir leurs filets et repartir, en disant que tout va pour le mieux, dans la meilleure des mers.

Source: Le calame

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