Arafat: Le quotidien du hakem

Des neuf moughataas de Nouakchott, celle d’Arafat demeure, de loin, la plus difficile à gérer. Les administrateurs envoyés dans ce faubourg doivent avoir les nerfs solides, pour ne pas craquer, parce qu’ils ne connaissent aucun répit.

Le volume de travail qu’ils abattent n’arrête de quintupler, depuis que le gouvernement de Mohamed Ould Abdel Aziz a entamé la restructuration des quartiers précaires. Car, justement, Arafat figure en tête de peloton de ceux-ci, parce que c’est un quartier bâti, dans sa majeure partie, sur la gazra. «Derrière  les boutiques qui longent les routes, c’est gazra sur gazra», explique l’actuel hakem qui consacre plus de 95% de son temps à l’épineuse question du foncier. Dans ce quartier, l’attribution des terrains a été marquée par une véritable anarchie et vous trouvez  jusqu’à dix attributions, pour un même lot. Des petits fonctionnaires de l’administration, de la police et de la garde, avec plusieurs lots arrachés à de pauvres citoyens. Et s’ajoute, à cette confusion, une régularisation fondée sur des bases peu fiables. Ainsi, les terrains de  certains attributaires sont régularisés ou occupés par d’autres personnes. «Le phénomène  atteint de très grandes proportions, dans les secteurs 7, 10 et 6 extension», révèle le hakem. Enfin, les terrains sont, souvent, délimités par les gens eux-mêmes, dans les gazras, et c’est une nouvelle source de conflits.

Depuis que le gouvernement a décidé de restructurer les quartiers précaires, par l’octroi officiel de terrains à usage d’habitation, il est apparu comme un appel d’air. Les populations rurales sont arrivées de toutes les wilayas de l’intérieur, gonflant, ainsi, les différentes gazras d’Arafat, surtout celles de Felouja et du cimetière.

Difficultés  de recenser 
Le recensement, entamé  il y a quelques mois, a suscité un vif intérêt, parmi les citoyens. On a, même, vu de hauts officiers de l’armée descendre et exercer des pressions, sur les différentes commissions de recensement, ce qui n’a pas manqué de porter préjudice aux pauvres citoyens vivant, eux, dans les gazras, depuis des années, endurant froid, chaleur et soif. «L’appétit, aiguisé, des nouveaux venus s’explique», selon le hakem, «par  la grande spéculation foncière dans la zone». En effet, si les terrains d’Arafat 5 extension, par exemple,  étaient bradés, dans les années 89/96, à 10.000 UM les 120 m2 – on disait, alors que c’était «la brousse» – aujourd’hui, ils atteignent plus d’un million. Les deux derniers hivernages,  pluvieux, de Nouakchott ont accentué le phénomène, parce que beaucoup d’habitants des 5ème et 6ème, devenus totalement insalubres, se sont rués à Arafat, pour acquérir des habitats.
Tous ces facteurs ont contribué à compliquer le recensement des  occupants des  gazras. «Comment  satisfaire tous les membres d’une seule famille, si chacun revendique son recensement à part?», s’interroge le hakem. De fait, toute personne se sentant lésée par la commission accourt chez le hakem, pour plaider sa cause. Un véritable embouteillage se forme, chaque jour, devant son  bureau. Et, pour satisfaire les doléances de ses administrés, le hakem d’Arafat demeure, en celui-ci, de 7 H 30 à 18H30. Le plus souvent debout devant sa table, il écoute, règle ou oriente chacun citoyen venu plaider sa cause. Je m’étonne: «Comment pouvez-vous gérer cette situation? – On est là pour ça, ce n’est pas aisé, mais il faut rester  à la disposition des citoyens, c’est la mission qu’on nous a assignée», répond le hakem.
La majorité des plaignants encombrant les couloirs sont des femmes qui viennent, la plupart,  exposer des différends fonciers. Qui, pour n’avoir pas été recensée;  qui, pour une délimitation; qui, pour  une régularisation;  qui, pour son terrain ou hangar arraché; qui,  pour un passage obstrué, etc. Le hakem écoute tout ce beau monde, chaque jour que Dieu fait. Lors de notre passage, jeudi dernier, vers 16 heures, l’administrateur était entouré d’une foule de femmes qui l’interpelaient, chacune à son tour. Un monsieur, déplorant leur attitude, leur lançait: «faites doucement, c’est le seul hakem, de ceux ont défilé ici, à accepter de vous écouter,  n’en abusez pas, s’il vous plaît!»
Autre gros dossier, cogéré par la moughataa et la cellule de réhabilitation du ministère de l’Urbanisme  et de l’Habitat: le tracé des routes, au niveau de la très vieille gazra du carrefour. Ce quartier a attiré beaucoup de monde dont certains ont dressé des villas, sans aucun lotissement officiel.  Plus de cent quarante rues et ruelles ont été, déjà, ouvertes; ceux qui se sont retrouvés sur ces tracés ont été déplacés et réinstallés dans les nouveaux quartiers.    
Le hakem qui se débat dans ces inextricables dossiers déplore l’absence de coopération des citoyens, censés être des alliés de l’administration, pour lui faciliter la tâche. Hélas et bien au contraire, c’est chaque jour et à tout instant qu’ils suscitent de nouveaux problèmes. Héritage de décennies inciviles?
Et ce n’est pas tout. Après ce gros plat de résistance, le hakem dispose, comme dessert, de l’état-civil dont le recensement tarde à démarrer. Sur ce plan, tout est bloqué, excepté les rares jugements délivrés par le  cadi. Il s’y ajoute les autorisations pour les cérémonies de mariage ou de baptêmes, qui faisaient la joie des policiers du commissariat d’Arafat.  N’en jetez plus, la cour est pleine !

DL

Source  :  Le Calame le 09/03/2011

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