La tradition, un poids pour la création d’emplois en Mauritanie

La teinture au henné est devenu un commerce de plus en plus lucratif en Mauritanie, et de plus en plus de personnes s’adonnent à cet art. Mais pour beaucoup, travailler dans un salon de henné reste un rêve inatteignable.

 

Cet art est en effet strictement réservé à un groupe social spécifique, les « Maalmin », une classe d’Arabes noirs spécialisés, historiques détenteurs du monopole du secteur de la beauté des jeunes mariées.

« Les Maalmin sont connus pour être intelligents et experts dans de nombreux secteurs, parce qu’ils élèvent leurs enfants dans l’art de ce commerce dans un souci d’innovation et de motivation à la production », explique Leila Mint Mahmoud, propriétaire d’un salon de beauté au henné. Elle envisage de transformer son salon en une société, pour pouvoir embaucher plus de femmes de son groupe social.

Bien qu’aucune loi n’interdise à quiconque de travailler dans ce domaine, les traditions sociales sont strictes et n’autorisent que les seuls Maalmin à effectuer ce travail.

« Nous fournissons aujourd’hui des services sociaux que nos ancêtres exécutaient avant nous », déclare Mint Mahmoud.

Les tribus jouent un rôle fondamental dans la société mauritanienne. Elles protègent les individus et donnent aux gens des emplois et de l’argent en cas de maladie. Certains affirment même que la tribu est plus présente dans la vie des gens que l’Etat lui-même.

Sultana Mint Ahmed envisageait d’ouvrir un salon de henné, mais n’a pu passer outre les traditions de sa famille et de la communauté, dans la mesure où elle n’appartient pas à ce groupe.

« Il est important de penser à la réaction de la tribu avant de prendre une décision », ajoute-t-elle.

Selon Mariam Mint Salem, la trentaine, les travailleurs de cette classe sociale ont prouvé leur valeur au service de la société et « méritent les retombées financières du secteur de la beauté ».

Elle défend cette tradition de longue date, affirmant que « chaque pays a des particularités culturelles qui doivent être préservées ».

« Parmi les particularismes sociaux de la Mauritanie se trouve le fait que les Maalmin doivent être chargés des ornements et de la beauté des jeunes mariées et de leur henné », ajoute-t-elle.

Mais certains commencent à remettre en cause la division sociale et ethnique en Mauritanie, appelant à ouvrir ce secteur à tous les segments de la société.

« Je ne pense pas qu’il existe une quelconque justification scientifique ou morale au phénomène du monopole de la beauté en général, et du henné en particulier, exercé par une certaine catégorie sociale. Les jeunes doivent lutter contre ce type de croyance archaïque », estime Zeinebou Mint Mohamed.

Nouha, 38 ans, maitrise l’art de la décoration, mais « la division sociale basée sur la race en Mauritanie » l’a empêchée de pratiquer cette profession.

« Je suis sans emploi, et je ne connais aucun autre métier, ma seule faute est de ne pas appartenir à la classe sociale des Maalmin », explique-t-elle. « C’est la malédiction de la tradition ».

Comme de nombreux Mauritaniens, Nouha n’est pas convaincue de l’utilité de la coutume, mais « n’ose pas nager à contre-courant ».

Selon le sociologue Mohamed Ould Brahim, « la société mauritanienne a importé la division ethnique sociale des nomades dans les villes sans aucune adaptation ». Certains services ont été accordés à telle ou telle classe sociale, poursuit-il, mais aujourd’hui, des personnes continuent de vivre « dans le passé, malgré les transformations et les changements du temps et des lieux ».

« Il revient aux élites intellectuelles de sensibiliser les différentes catégories de la société aux changements d’attitudes, pour parvenir en fin de compte à modifier des habitudes qui ne sont pas cohérentes avec la nature de l’époque moderne », ajoute-t-il.

Mais les anciens de la communauté continuent néanmoins de défendre la tradition.

« Elle fait partie de l’héritage culturel que nous devons préserver. La lutte contre le chômage ne doit pas se faire aux dépens de notre patrimoine culturel », dit Mohamed Salick Ould Mohamed Vadel, 60 ans, à Magharebia.

Il ajoute qu’il préfèrerait voir ses deux filles rester au chômage que de s’en prendre aux traditions sociales pour obtenir un emploi « en échange de l’abandon des traditions de nos ancêtres ».

« C’est notre culture, nous devons la respecter », conclut-il.

Mohamed Yahya Ould Abdel Wedoud

Source :  Magharebia le 25/02/2011

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page