Dilemme de l’imam en Guinée

Au jardin des vanités, la piété de Mamadou Galouwa, surnommé « imam Fatwa », se mesure à la longueur de ses attributs, barbe, boubou, chapelet : « Tout chez lui était long, surtout ses prières. »

Pourtant, s’il fait fonction de hadji, il n’en possède pas le titre, faute d’avoir accompli le pèlerinage à La Mecque. Ladji Oumarou, un octogénaire riche et libidineux, « avare jusque dans ses mots », lui propose le billet d’avion qu’il ne peut s’offrir en échange de sa fille de treize ans, Hèra. Dilemme de l’imam : sacrifier son enfant et son rêve de postérité ou perdre sa fonction et l’influence qui s’y rattache. Aux yeux de l’imam, Hèra, fille et matricide, sa mère étant morte en couches, porte le poids de cette double indignité. Elle devra en payer le prix. Promise à un vieillard, elle sera d’abord cédée à Bouna, l’aubergiste proxénète, après avoir été cousue à vif par un cordonnier.

Violence, vengeance, haine, vie et mort, sur fond de révolution guinéenne des années 1970, traversent l’univers de Libar M. Fofana, dont Le Diable dévot est le quatrième roman. Après Le Fils de l’arbre, N’körö et Le Cri des feuilles qui meurent, tous parus chez Gallimard qui fête cette année les dix ans de sa collection « Continents noirs », ce dernier ouvrage porte lui aussi l’empreinte de l’expérience du régime dictatorial qui a meurtri la famille de l’auteur et l’a contraint à l’exil.

Les personnages féminins de Fofana sont des victimes sacrificielles. Maciré la prostituée, excisée deux fois par vengeance, partage le sort d’Hèra. L’une se sacrifie pour ses enfants, l’autre pour son père. Femmes Courage en lutte pour la justice et pour recouvrer leur dignité. Et l’on retrouve ce thème récurrent des romans de Fofana, le salut par le savoir, Hèra lisant en cachette les livres interdits. Seule Yarie, la tante cupide, commère manipulatrice et « grande prêtresse de la médisance », est l’envers féminin de la cruauté des hommes. Si ces derniers détiennent le pouvoir, au-delà des certitudes, des convenances et de l’idée reçue selon laquelle « on n’aimait pas les prostituées, on s’en servait », certains font preuve de dévouement et de tendresse. Guarangué, le cordonnier repenti, rachète sa lâcheté en se mettant au service des jeunes femmes. Morlaye, l’ancien client de Maciré, qui « avait le bras et l’autorité d’un garçon qui savait manier la clé à molette », leur offre son amitié avant de s’avouer son amour pour Hèra. Victime d’abord, la jeune fille deviendra actrice de sa propre vie en se vouant à la défense des cas désespérés.

Chez Fofana, l’écriture est un sixième sens. Dépouillée, elle cible le mot juste, le mot choc qui restitue au langage sa force évocatrice. L’obscénité immonde de la prostitution est mise à nue de façon tout aussi magistrale que la posture-imposture grotesque du bigot. Néanmoins, ce réalisme incisif et brutal emprunte parfois à la symbolique du conte, dans lequel le héros par son courage et sa pugnacité triomphe toujours de l’adversité. L’innocence n’est pas vaine et la sagesse populaire renvoie dos à dos le diable et le dévot. Parce que Hèra signifie « bonheur », au-delà de l’horreur, le rire est salvateur et l’optimisme toujours présent.

Marie-Joëlle Rupp

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