Coke en stock (VII): en Mauritanie, même avion, même procédé

Et de trois déjà ? Pensez donc : à peine remis des trois premiers vols, voilà déjà que déboule le quatriéme, sur le modèle du second. A nouveau un petit bimoteur bourré d’essence, qui atterrit cette fois en Mauritanie.

 

En fait, on effectue un petit retour en arrière, car cette affaire là date de la mi-2007. Mais comme les autres, elle est emblématique du phénomène, qui relie les barons de la drogue de Colombie à des pays africains, d’une manière tellement répétitive que l’on soupçonne derrière une seule et même organisation supra-nationale.

Comme dans les exemples précédents aussi, le pouvoir local se retrouve éclaboussé. Cette fois dans des proportions encore plus importantes. D’autres pays vont être impliqués via leur ressortissants, dont la France.
Non décidément, on a bien mis le pied dans une gigantesque fourmilière… celle du renouveau de Cartels de la drogue a qui on semble avoir donné un sacré coup de pouce logistique, avec cette nuée d’avions qui s’abat sur l’Afrique comme un nuage de sauterelles. Et comme avec elles, leur cortège de morts.

Nouadhibou, et son célèbre cimetière des bateaux… tant photographié, tant montré, avec en retrait son petit aéroport monopiste, dans l’axe de la mer, et véritablement au bord de l’eau. L’endroit idéal pour celui qui vient d’une longue route à travers l’Atlantique. Un endroit parfait choisi en mai 2007 déjà, par les trafiquants colombiens.

Car, un an avant l’arrivée du Cessna de George Aritstizabal Archilla en Sierra Leone, le même type d’avion s’est posé à Nouadhibou, dans les mêmes circonstances et avec les mêmes leurres grossiers apposés sur le fuselage. Le pionnier de la nouvelle aéropostale de la drogue, c’était bien lui ! A noter qu’Archilla avait cité la Guinée Bissau, en 2007 également, preuve que d’autres vols ont eut lieu.

Dans la nuit du 1er au 2 mai 2007, en effet, la tour de contrôle de Nouadhibou, avait reçu le même message que celle de Lungi. Un Cessna 441 Conquest était en difficulté et demandait à se poser en toute urgence. L’appareil à peine posé, les trois hommes à bord le vident de ses bagages en soute avant et arrière : une vingtaine de cartons, déposés à même le tarmac.

L’arrivée inattendue d’une voiture de police les fait aussitôt remonter à bord, et redécoller aussi sec devant les yeux étonnés des pandores mauritaniens. On retrouvera quelques jours après l’avion posé en plein désert, aux confins de Taziast, à 125 km au sud de là, réservoirs à sec.

C’est à Taziast que se trouve la Red Back Mining, la société canadienne qui exploite le minerai de fer mauritanien (et de l’or, car il y en a également). Avait- il cherché à rejoindre une entreprise, qui, justement, utilise des avions similaires pour ces besoins propres, dont la sécurité des transferts d’or ? La piste mériterait d’être développée.

Lors de sa visite du site d’Areva au Niger, notre ministre Alain Joyandet voyagera en Beech King Air 100 : « Parti de Niamey, notre Beechcraft Superking achemine jusqu’au site surgi du néant Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie, et Aïchatou Mindaoudou, la ministre des Affaires étrangères de l’équipe Tandja. Alain et Aïchatou se connaissent, se tutoient et parlent entre ciel et terre du désensablement du fleuve Niger. » note Issikta.

Car là où ça se corse tout de suite, c’est non seulement sur la personnalité en fuite du responsable mais sur l’incroyable organisation du réseau. L’avion était effectivement arrivé directement du Vénézuela, mais son chargement devait être transféré au Maroc, dans deux hélicoptères restés en front de mer, dont un hélicoptère de location français revenant d’une opération humanitaire au Sénégal.

Imparable ! Quant au principal trafiquant recherché, on l’a bien perdu mais on a retrouvé la trace de son 4×4. Il a été retrouvé quelques près d’Inal qui se trouve à 222 kilomètres de Nouadhibou. Juste à côté de la frontière marocaine : pour sûr, pour les enquêteurs, l’homme a traversé la frontière…à pied. Confirmation dès le mois de juillet qui suit : à Agadir, la police arrête une bande de malfrats dont le chef transporte sur lui 18 kg de cocaïne.

C’est Sidi Mohamed Ould Haidalla, recherché par Interpol. En fait, c’est tout sauf un inconnu : c’est le fils de Mohamed Khouna Ould Haidalla, l’ancien président du pays, arrivé au pouvoir en 1980 grâce à un putsch et renversé de la même manière en 1984 ! En France, peu de choses dans la presse sur l’hélicoptère et ses pilotes emprisonnés : on est en pleine élection présidentielle !!

Le père de Sidi Mohamed Ould Haidalla fait alors un appel « poignant » au roi du Maroc, le 11 novembre 2008, pour libérer son fils au nom des droits de l’homme : « J’ai appris avec consternation que mon enfant […] a été sauvagement brutalisé, ligoté et transféré dans une autre prison de la même ville », se désole son père. Qui en appelle à tous ses homologues en fonction ayant « des relations particulières avec le souverain marocain et […] à toutes les organisations des droits de l’homme pour intervenir auprès du roi afin que cessent les mauvais traitements » à l’égard de son fils.

Rien n’y fera : le 31 octobre 2008 il est condamné à 7 ans de prison, un verdict confirmé le 8 avril 2009 par la cour d’appel d’Agadir. Reste un autre volet passionnant dans son histoire : la justice belge avait aussi lancé un mandat d’arrêt international à l’encontre de Mohamed Ould Haidalla, lors du démantèlement d’un trafic de cocaïne ayant notamment comme point de passage le port d’Anvers.

On sait que cet endroit est un peu la Floride de l’Europe du nord : on en a confirmation. Mais en prime, on apprend que les deux pilotes de l’avion posé à Nouadhibou n’étaient pas vénézuéliens mais… belges. L’affaire a bien des ramifications internationales ! Pour les pilotes, on a aussi quelques pistes possibles. Celle des pilotes de Viktor Bout, dont la base était Ostende, et une vieille connaissance. Nous y reviendrons.

A bord de l’appareil, il y a 33 bidons de plastique blanc de 90 litres, tous vides. Ils contenaient le kérosène pour la traversée. L’avion présente sur ses flancs un maquillage grossier en auto-collant au dessus de ses marquages d’origine, avec un numéro imaginaire. C’est un Conquest 441, l’appareil du même type que celui de Sierra Leone, et surtout à bord le même équipement élaboré de transvasement d’essence.

La cabine a été entièrement démontée pour faire place aux bidons. C’est bien une organisation unique qui se charge de tous ses envois, sur un ou deux modèles de transfert. Le vol de Lungi avait donc eu un précédent : celui de Nouadhibou, qui réalisait donc en fait une première véritable. Et une belle prouesse également ! Du Mermoz on vous déjà dit !

L’enquête policière va vite retrouver le commanditaire de l’opération : un mystérieux informateur de la police avait averti les autorités de l’imminence d’une telle opération. Ce qui explique la rapidité de l’intervention et la fuite précipitée des trafiquants. Les 629,150 kilos de cocaïne colombienne découverte ont été commandées par un homme, à propos duquel Interpol lance un mois à peine après (le 20 juin) un avis de recherche. Et c’est Sidi Mohamed Ould Haidalla, le destinataire présumé du chargement du Conquest.

On a retrouvé chez lui 5 voitures, plus de 1,1 million de dollars, pas moins de 150 téléphones portables derniers modèles, deux appareils (un hélicoptère et un avion à hélice). C’est bien un réseau mafieux véritable, très bien organisé. Cinq personnes ont déjà été arrêtées.

Deux Mauritaniens ; Abdallahi Ould Mohamed Hemet, un douanier, El Kory Ould Haidalla, et un Marocain, El Hacen Drari dit « Chrif », mais aussi deux français : Edy Pagès et à Jean-Pierre Vivenot, deux pilotes d’hélicoptère… leur cas a été évoqué ici.

Un des hélicoptères appartiendrait en fait à Claude Alezra, le chargé de mission au ministère sénégalais de la santé ! Tout est imbriqué et il n’est pas toujours facile de s’y retrouver, car les trafiquants ignorent les frontières, eux. A noter qu’en France, le sort des deux pilotes du pays n’intéresse personne.

On a donc le scénario complet de l’opération, très bien résumé ici :« Selon la police, l’appareil venait du Venezuela, via Recife au Brésil. Pour parcourir les 4 800 km séparant Recife de Nouadhibou, sans avoir besoin de faire escale, l’équipage avait désossé l’intérieur de l’avion pour y entasser 33 bidons de 90 litres de carburant et assurer le ravitaillement en plein vol.

La cargaison devait être déposée à Nouadhibou, et stockée dans une ancienne usine de pêche achetée dernièrement pour deux millions d’euros cash par le cerveau présumé de l’opération, avant d’être réexpédiée. Deux hélicoptères, arrivés la veille et pilotés par des Français, devaient assurer cette ultime étape ». La piste de l’usine de pêche est intéressante : c’est un investissement sud-africain, fait par la société Salene Fishing Limited. Une société crainte comme étant… fictive.

Sur le net, on tombe vite sur la confirmation :« Il y a deux jours, les média officiels (ou assimilés) annoncent, avec force publicité, la signature, par le ministre des pêches Hacena Ould Ely, d’un contrat d’une valeur de 120.000.000,00 $ avec l’entreprise sud-africaine « Salene Fishing Limited ». Joint par Taqadoumy, un expert économique mauritanien émet des vives doutes quant à l’existence de cette entreprise. Pour preuve, il déclare avoir effectué des recherches au niveau de la Chambre de Commerce de Pretoria, sans trouver la moindre trace de Salene Fishing Limited.

Autre élément troublant : L’agence Mauritanienne d’Information (AMI, officielle), annonce que le contrat a été signé entre Hacena O Ely et le ministre sud-africain des pêches, dont la dépêche ne donne pas le nom ; or la composition du gouvernement sud-africain ne comprend pas ce portefeuille ! » Une fausse usine de pêche en Mauritanie ? Ce n’est pas une idée neuve.

Car voilà qui nous ramène à Jean-François Mitterrand et à sa fameuse entreprise piscicole baptisée Iwik, dont les comptes étaient chez le banquier Darier & Hentsch à Genève. La banque où le compte N°219 267 PMY a reçu de Pierre Falcone,1,8 million de dollars (3 millions de francs) en quatre versements entre 1997 et 1998… l’usine n’avait jamais vu le jour !

Les usines de poisson mauritaniennes servent décidément avant tout à… noyer le poisson ! Le lien avec cette pêcherie ravive l’idée d’un trafic de drogue et d’armes, les deux étant on le sait étroitement liés.

Voici donc pour les hommes et le déroulement de l’opération, mais l’avion a lui seul a davantage à dire. Son origine est pleine d’enseignements, et rattache surtout aussi pas mal d’affaires entre elles. Tout d’abord, fort peu d’images circulent : encore une fois, on s’est bien arrangé pour ne pas montrer les détails permettant de remonter la filière.

Un document PDF de L’ONU de 2007 signé Denis Destrebecq sur l’enquête en cours nous présente l’appareil en face d’un hangar, sur une photo de très faible définition (désolé pour la qualité, elle figure en bas de cette page) sur laquelle on distingue quand même un numéro collé à la hâte et aux chiffres et lettrages de style différents. On y distingue à peine un « X » comme première lettre.).

En premier, en XA XB ou XC c’est le Mexique, ou en XT le Burkina Faso. En réalité, sous l’auto-collant, on a comme numéro N195FW, photographié ici le 1 er décembre 2007 à Valencia Arturo Michelena International, au Venezuela. L’appareil est bien vénézuelien en effet. Or le N195FW n’est pas un inconnu, loin de là.

L’avion appartient à Pedro Benavides Natera, un vénézuelien dont l’histoire est tout aussi passionnante, et dont nous reparlerons bientôt. On remarque qu’il est passé du rouge au bleu, simplement, mais que les bouts de pales d’hélices n’ont pas changé de couleur…

Mais l’histoire n’est pas terminée, elle présente un volet… sénégalais. Seydou Kane, recherché par la police mauritanienne, se fait arrêter au Sénégal et une demande d’extradition lui est assignée, quelques mois après l’arrestation dans le même pays de celui que l’on présente comme le parrain de ce gang international de trafic de drogue. Un ressortissant français, nommé Eric Mika Walter. En France, aucun écho de son arrestation.

Malgré le fait que l’homme va réussir à faire déplacer pour sa défense un des ténors incontestés du barreau : Jacques Vergès en personne ! En vain, il est vrai.

Walter Eric, 27 ans (de son vrai nom Eric Walter Amegan, né le 31 octobre 1972 à Paris XIVe), a déjà reconnu devant les enquêteurs tout le circuit mis en place des petits avions provenant du Venezuela.

Mais aussi reconnu avoir rencontré personnellement un colombien, du nom « d’Edouardo« , responsable selon lui de la distribution en Europe de la drogue et son adjoint, un algérien surnommé Nabil, chargé de faire remonter la drogue vers le Nord, le Maghreb, l’Espagne et la France. Parmi les inculpés, rappelons-le, Sid’Ahmed Ould Taya, l’officier de l’organisation internationale de police criminelle Interpol, et cousin direct de l’ex-président mauritanien Maaouiya Ould Sid’Ahmed Ould Taya

On est donc bien dans un cas de figure mafieux, impliquant des membres de proches de gouvernants. Rien de terroriste, là-dedans : l’attirance des sommes phénoménales à gagner, la gangrène des pays les plus pauvres (et des plus riches aussi !). Le 13 février 2010, la Cour criminelle de Nouakchott condamnait Eric Walter à 15 ans de prison ferme avec les six Mauritaniens concernés, tous reconnus coupables de trafic international de cocaïne, apprenait-on.

Le Parquet avait requis 30 ans de prison ferme contre 23 des 32 personnes jugées. En France, pas un mot sur la condamnation d’un des ses ressortissants présenté comme l’adjoint d’un cartel colombien. Le journalisme se perd, visiblement : sous l’iceberg Walter, il y a tout un réseau international à débusquer.

Cela va-t-il s’arrêter pour autant ? Certainement pas. C’est un enjeu bien plus grand que de simples cailloux que ces pistes d’atterrissages. La Mauritanie ne manque pas de pistes attrayantes, pour des trafics discrets, telle Zoueratt, en bitume, ou Chinguetti en latérite, ou Atar, qui supporte des gros porteurs. Ou encore Tichitt, ou s’arrêtait en son temps le Paris-Dakar. (ici en 2001).

A noter qu’en 2007, lors du dernier Dakar aficain, de la drogue avait été saisie au retour du Sénégal, dans une voiture italienne : 250 kg de cocaïne en provenance du Brésil (Source : UNODC – Individual Drug Seizures database and Data for Africa) ! Déjà, à l’époque, la DGSE avait alerté : « en effet, les services secrets français sont formels : les conditions sécuritaires ne sont pas réunies entre la ville mauritanienne de Néma et Tombouctou ».

La France y était bien depuis 2007 au moins dans le secteur, Camatte ou pas : « largement contrôlé par les « émirs du désert », le Sahel connaît un regain d’intérêt de la part des Américains et des Français. Les experts militaires américains sont « arrivés » récemment au Sahel, à la faveur de la « total war » déclenchée au lendemain des événements du 11 septembre, prétextant une présence douteuse d’activistes proches d’Al Qaîda, alors que les officiers de la Dgse y sont implantés depuis longtemps déjà, s’agissant en outre de zones traditionnellement acquises à Paris, mais qui connaissent depuis 2003 une meilleure relation avec Washington, grâce aux équipements et aux aides financières fournis par celle-ci aux gouvernements de la région ».

Aucun équipement sur place, donc, mais une discrétion imbattable. Exactement ce qu’il faut à des trafiquants prêts à tout. Et comme si cela ne suffisait pas encore,d’autres pays sont sur les rangs, ce que nous découvrons demain, si vous le voulez bien. Les sauterelles, quand elles arrivent, dit-on, pas moyen de les arrêter. Ou alors, personne ne veut vraiment les attraper : « Solo los tontos cochen las moscas » comme on le dit la vieille sagesse colombienne…

Source  :  Centpapiers (Québec) le 25/10/2010

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