« Djadja » cause bien français ou pourquoi Aya Nakamura représente la pluralité de la France

The Conversation  – Aya Nakamura, chanteuse franco-malienne à l’aura internationale – elle est l’artiste francophone la plus écoutée au monde –, a été la cible de propos racistes de la part de membres de l’extrême droite, suscitant l’ouverture d’une enquête par le parquet de Paris il y a deux jours.

Cette polémique enfle depuis quelques semaines après une déclaration d’Emmanuel Macron concernant la participation de la chanteuse plusieurs fois primée (dont les Victoires de la musique 2024) à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques où elle interpréterait une chanson d’Édith Piaf.

Cette hypothèse a suscité des réactions de la droite et de l’extrême droite, surtout du parti « Reconquête » et d’un groupuscule d’ultradroite « Les Natifs » qui a déployé une banderole : « Y’a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas le marché de Bamako », faisant référence au refrain de sa chanson phare, « Djadja ».

Un sondage réalisé le 10 mars par Winimax RTL révèle que 63 % des Français seraient opposés à l’idée que la chanteuse puisse interpréter Édith Piaf lors de la cérémonie d’ouverture des JO. Les arguments avancés sont les suivants : les Français n’aiment pas ses chansons (73 %) ; elle ne représente pas la musique française (73 %), et encore moins la jeunesse (60 %). D’autres Français déplacent la polémique sur le terrain linguistique ; c’est le cas du député RN du Nord, Sébastien Chenu qui considère qu’Aya Nakamura ne valorise pas la langue française ou de Marion Maréchal qui déclare qu’elle « ne chante pas en français. Ce n’est ni notre langue ni notre culture. »

Pourtant, le premier titre de la chanteuse, « Djadja », sorti en avril 2018, est devenu le « tube de l’été » en traversant les frontières belges, suisses, autrichiennes, allemandes, etc.

Aux Pays-Bas, « Djadja » a pris la tête des ventes, ce qui était une première depuis 1961 où Édith Piaf avait réussi cet exploit avec « Je ne regrette rien ». Le clip de « Djadja » a cumulé 951 millions de vues sur YouTube. Depuis, la chanteuse a atteint plus de 9 millions d’auditeurs par mois et est l’artiste française la plus écoutée sur Spotify.

Pourquoi Nakamura ne peut donc pas, selon certains, « représenter la France » aux JO ? Maltraiterait-elle à ce point la langue française ?


La langue est identitaire

 

On sait comme la langue est identitaire. Si la France s’enorgueillit de sa francophonie – en témoigne l’inauguration en octobre 2023 de la Cité internationale de la langue française –, elle se réjouit de ce que ce concept instaure une barrière imaginaire entre le français du dehors – « exotique »- et le français du dedans – assimilé à la langue de Molière.

En ce sens, Aya Nakamura aurait toute latitude pour chanter en français à Bamako, mais le faire à Paris, dans une cérémonie qui engage l’image de la France, devient pour certains, une hérésie.

Les textes d’Aya Nakamura sont en effet parsemés de mots issus d’autres contextes linguistiques. On pense ainsi à des termes bambara (« djadja ») ou de l’argot ivoirien (« tchouffer »), mais aussi le verlan à partir de mots français (« tit-pe ») ou anglais (« de-spi » pour « speed ») ou encore quand elle a recourt à des expressions argotiques très contemporaines (« bails », « seum », « afficher quelqu’un », « c pas mon délire », « genre »). Elle utilise aussi des structures qui tordent la syntaxe (« donne-moi douceur » ; « il me voulait cadeau »). Or ces usages s’inscrivent dans une dynamique linguistique qui ne lui est pas spécifique.

Comme tous les poètes, écrivains et chanteurs, elle « invente » une « outre-langue », c’est-à-dire une langue neuve pour réveiller la langue commune. Le pseudonyme « Piaf » (petit oiseau) d’Édith Gassion vient aussi de l’argot et on sait que la chanteuse populaire, comme bien d’autres (France Gall) n’a pas boudé son plaisir de couper ou mixer les mots (« chand » < « marchand » ; « cré » < sacré ; cézigues < ces zigues) ni de jouer sur les consonances et rythmes (« padam padam »).

« Daronne », argot du XVIIIᵉ siècle

 

Partout, à côté d’une langue académique, il existe des parlers populaires créatifs, fondés sur des néologismes lexicaux ou sémantiques et divers jeux de langage. Le sens d’un mot comme « daronne » qui, dans le parler des jeunes, signifie « la mère » n’a pas été inventé dans les cités. Au XVIIIe siècle, il existait déjà. Au XIXe siècle, il a le sens de « patronne de bar », avant d’être repris par le milieu prolétarien du XXe siècle pour désigner la mère.

On retrouve, par ailleurs, dans les textes de la chanteuse, des mots du créole ou du français antillais (« boug » ; « bail » qui vient de « bagay » > « bahay »> « bail », en créole : « chose ») ; « dachine », « parler sur quelqu’un »), des mots anglais, espagnols, etc. La musique – le rap en particulier – est un puissant brasseur de langues et de mots d’ici et d’ailleurs.

La langue française est fécondée par les mots venus des terres qu’elle a colonisées, mais aussi par ceux de l’anglais et de l’espagnol « globalisés ». Elle colonise aussi les mots des chansons d’ailleurs : en témoigne le titre « Deja vu » de plusieurs chansons différentes (celles de Post Malone, Justin Bieber, Olivia Rodrigo, Beyoncé, Shakira), écoutées par plusieurs millions d’auditeurs dans le monde.

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Professeure de linguistique hispanique et romane, Sorbonne Université

 

 

Source : The Conversation

 

 

 

 

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