Aya Nakamura et Édith Piaf ont beaucoup plus en commun qu’on ne le croit

[TRIBUNE] - Voir l'interprète de «Pookie» reprendre les chansons de la Môme lors de la cérémonie d'ouverture des JO 2024 serait un symbole extrêmement fort.

Slate  – Au cours d’une rencontre avec Emmanuel Macron le 19 février dernier, le chef de l’État aurait évoqué avec Aya Nakamura la possibilité qu’elle chante lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024. Il lui aurait alors demandé quels artistes ou quelles chansons du répertoire français comptaient pour elle. La chanteuse aurait répondu qu’elle aimait beaucoup Édith Piaf.

Moi qui plaide pour une reconnaissance des artistes de musique urbaine par les plus hautes instances de la République, je ne peux que me réjouir d’une telle entrevue. Mais depuis l’annonce de sa participation potentielle à la cérémonie d’ouverture des JO, Aya Nakamura fait face à une vague de critiques.

Si certains s’interrogent sur sa légitimité à représenter la France lors d’un tel événement, d’autres semblent découvrir avec stupeur qu’elle est l’artiste francophone la plus écoutée au monde, enchaînant les tubes et récemment sacrée artiste féminine de l’année 2024 aux Victoires de la musique.

Ainsi, plusieurs sondages, dont celui réalisé par RMC, où les participants devaient répondre à la question «Aya Nakamura pourrait chanter Piaf aux JO: réjouissant ou navrant?», révèlent un rejet cinglant de sa nomination –92% d’opinions défavorables sur RMC.

Parmi les arguments formulés contre ce choix, on trouve le fait qu’elle «ne chante pas en français»: c’est faux! Certes, c’est un français un peu distordu, un français des quartiers, mais du français tout de même!

Quand on y réfléchit, la musique urbaine et le rap sont les dignes représentants de la chanson réaliste.

Face aux critiques, Aya Nakamura a réagi subtilement. Le 1er mars, elle a publié une vidéo légendée «Édith Piaf, qui ? Pardon ?». Le lendemain, elle a modifié la légende en un énigmatique «Édith Piaf?» : signe qu’elle y réfléchit?

L’idée est séduisante et le symbole serait extrêmement fort : montrer que la France est un pays où tout est possible, quelle que soit son origine sociale. Imaginez une jeune femme comme Aya Nakamura, issue des quartiers populaires du 93, reprenant un tube de la Môme.

Édith Piaf et Aya Nakamura ont beaucoup plus en commun qu’on ne pourrait le penser au premier abord : toutes deux issues de l’immigration, elles ont connu un succès planétaire grâce à leur musique. Leurs chansons, avec le parler populaire et argotique de leur époque, parlent d’amour, de douleur et de la vie quotidienne, avec des mots simples et directs qui touchent le cœur de leur public. Quand on y réfléchit, la musique urbaine et le rap sont les dignes descendants de la chanson réaliste.

Un autre argument vient du fait qu’elle n’a obtenu ses papiers français que depuis le 2 mai 2021, donc qu’elle ne serait «pas vraiment» française. Mais elle vit en France depuis son plus jeune âge, elle a grandi dans la culture française, a appris au sein de l’école de la République française, elle s’exprime en français: elle est française, à quoi ça rime de compter les années ?

Oui, il y a bien un problème d’assimilation et d’intégration en France, mais, selon moi, il ne vient pas surtout des immigrés ou descendants d’immigrés censés s’intégrer. Il vient aussi de l’incapacité de certains Français à assimiler et à intégrer l’idée que les descendants d’immigrés SONT français et qu’ils ne devraient pas avoir à le prouver en permanence.

C’est comme s’il fallait étaler son pedigree et faire état de sa filiation sur plusieurs générations pour avoir le droit de se réclamer français. Or le droit du sol fait partie de l’exception française, des personnes comme Robert Badinter se sont battues pour le maintenir, et le droit du sang intervient dès la génération suivante, pas au bout d’un siècle!

Persisterait-il aussi une sorte de honte vis-à-vis de notre histoire coloniale, pas encore assez digérée pour faire peuple malgré elle? Si c’est le cas, alors il est grand temps de s’en libérer et d’échapper au fantasme du «grand remplacement» afin de se représenter la France telle qu’elle est réellement, riche et diverse, dans un esprit de joie et d’optimisme.

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Salwa Lakrafi

Source : Slate (France)

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