Grand remue-ménage dans les rangs des diplomates chargés de la politique africaine de la France

Le jeu de chaises musicales au sein du ministère des affaires étrangères marque la volonté d’ouvrir un nouveau chapitre après les crises à répétition au Sahel et le recul de l’influence française dans la région.

Le Monde – Une fois encore, Christophe Bigot est loin de Paris. Le 12 décembre, le directeur de l’Afrique et de l’océan Indien (DAOI) du ministère des affaires étrangères est à New York pour participer à des discussions sur la Somalie aux Nations unies, lorsque son remplacement par l’actuelle ambassadrice de France au Nigeria est annoncé, en quelques lignes, dans le compte rendu du conseil des ministres : « Mme Emmanuelle Blatmann, ministre plénipotentiaire, est nommée DAOI ».

Au Quai d’Orsay, les collaborateurs de Christophe Bigot n’ont pas été informés et lorsque ce dernier rentre à Paris, il fait comme si de rien était. Le 14, il remonte dans un avion, direction Djibouti avec la cheffe de la diplomatie française Catherine Colonna. Sitôt rentré, le diplomate part en vacances, sans dire un mot à ses équipes de son remplacement par Emmanuelle Blatmann, prévu pour le 15 janvier.

Ce jeu de chaises musicales au ministère des affaires étrangères est plus qu’une banale valse de hauts fonctionnaires. Si le ministère assure que ce n’est pas une « sanction », le remplacement de Christophe Bigot, acteur clé de l’élaboration et du déploiement de la stratégie française en Afrique, marque la volonté d’ouvrir un nouveau chapitre après la succession des coups d’Etat au Sahel et le recul de l’influence française dans la région.

Ancien de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), ex-ambassadeur au Sénégal et ex-envoyé spécial au Sahel, le diplomate de 58 ans, était reconnu pour sa compétence depuis son arrivée à la direction Afrique en 2020, mais aussi critiqué par une partie du Quai d’Orsay pour sa gestion des dernières crises et ses absences – il a réalisé plus de dix missions à l’étranger depuis septembre. C’est celle d’août, lorsque le directeur choisit de ne pas reporter ses congés malgré le coup d’Etat au Niger, qui a précipité son départ de la direction Afrique.

Un tournant pour la France au Sahel

Quelques jours après la chute du président Mohamed Bazoum, l’un des derniers alliés de Paris dans la lutte antiterroriste au Sahel, les ministères se retrouvent en effet quasiment vides. Il s’agit pourtant de gérer un tournant pour la France. Après le Mali et le Burkina Faso, le Niger est le troisième pays de l’ancien « pré carré » à passer aux mains de militaires hostiles à la France en trois ans seulement.

Sitôt à la tête de l’Etat, le général Abdourahamane Tiani suit la voie tracée par ses homologues en treillis au pouvoir à Bamako et Ouagadougou. Il surfe sur le sentiment antifrançais, se tourne vers la Russie de Vladimir Poutine et dénonce les accords qui le lient à Paris, notamment en matière militaire. Puis, fin août, la junte exige l’expulsion de l’ambassadeur de France Sylvain Itté et le départ des quelque 1 500 soldats déployés dans le pays pour lutter contre les groupes djihadistes.

Emmanuel Macron engage un bras de fer avec les militaires. « Notre politique est simple, déclare-t-il le lundi 28 août, à l’ouverture de la 29conférence des ambassadeurs français à l’Elysée. On ne reconnaît pas les putschistes, on soutient un président qui n’a pas démissionné, aux côtés duquel nous restons engagés. Et nous soutenons une solution diplomatique, ou militaire quand elle le décidera, de la Cedeao [Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest]. »

La France reste fidèle au président déchu, prisonnier des putschistes, mise sur une intervention des pays de la région pour déloger Abdourahamane Tiani et ses hommes et refuse d’obéir à leurs injonctions. Il maintient son ambassadeur et ses militaires, tenant une ligne bien plus ferme que les Américains, qui refusent durant plusieurs semaines de qualifier le coup de force de « coup d’Etat », les autres pays Européens se font discrets.

« Emmanuel Macron écoute… parfois »

Emmanuel Macron, lui, multiplie les déclarations, avec un franc-parler qui froisse plusieurs capitales de la région. Dans plusieurs ambassades françaises en Afrique, les diplomates assistent circonspects au déroulement de la séquence. « Nous n’avons quasiment jamais été consultés, nous apprenions les décisions de Paris à la télévision, comme tout le monde », regrette aujourd’hui un des ambassadeurs en poste en Afrique de l’Ouest.

Plusieurs présidents du continent, eux, sont appelés quasi quotidiennement par le chef de l’Etat français, mais la ligne semble brouillée : « Emmanuel Macron écoute… parfois », soupire le conseiller d’un président africain. Le face-à-face entre Paris et Niamey se solde par un échec pour la France : fin septembre, Sylvain Itté quitte Niamey en catimini, tandis que les soldats français finissent par faire leur paquetage – les derniers devraient avoir quitté Niamey le 22 décembre.

Cet été-là, « nous avions peu d’interlocuteurs à Paris pour faire passer des messages », se souvient un diplomate européen. Car pendant cinq mois, le bureau du conseiller Afrique du président est lui aussi resté vide. Signe de la crise qui s’est emparé des africanistes du Quai d’Orsay, le président ne parvient pas à trouver un remplaçant à Franck Pari, parti fin juillet diriger le bureau français à Taïwan. « La situation sur le continent est devenue tellement compliquée pour nous, que tout le monde se dit que c’est une fonction à emmerdes, dit l’ambassadeur précédemment cité. Le prochain conseiller Afrique a pour mission de mettre fin au bazar. »

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Source : Le Monde

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