La fabrique des migrations – La grande illusion des « retours volontaires »

Afrique XXISérie (4/4) · Qu’est-ce qui pousse des milliers d’Africaines à s’exiler alors que les dangers de la route sont connus, tout comme les terribles conditions de vie dans certains pays « d’accueil » ? Dans cette série du magazine ZAM déclinée en quatre épisodes, cinq journalistes décryptent les mécanismes de la migration. Ce quatrième et dernier volet s’intéresse aux « projets de retour » financés notamment par l’Union européenne.

Coincé dans le désert algérien « sans rien », Uka Ifeanyi a accepté, le 14 février 2023, l’offre de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) de se réinstaller au Nigeria – une offre financée par l’Union européenne (UE) dans le cadre d’un programme visant à mener à bien des « projets de retour » pour les migrants refoulés. Après qu’il a été ramené par avion à Lagos, le personnel de l’OIM lui a demandé « de patienter trois mois pour obtenir un logement et [se] réinstaller, explique-t-il au téléphone. Mais, depuis, personne ne [l’]a appelé. »

Ce n’est pas ce à quoi Ifeanyi s’attendait, car les fonctionnaires de l’OIM l’avaient spécifiquement interrogé sur ses compétences, et lui avaient promis une aide pour lancer une petite entreprise dans sa région d’origine. « Ils m’ont demandé ce que je voulais faire et je leur ai dit que je voulais me lancer dans la plomberie, poursuit-il. Ils ont noté tout cela, nous ont donné à chacun 50 000 nairas [environ 58 euros] sur une carte bancaire et nous ont demandé de rentrer chez nous. Mais ils n’ont jamais rappelé. »

Grace Onuru, qui était bloquée en Libye après avoir plusieurs fois échoué à rejoindre l’Europe, a bénéficié de l’aide de l’OIM pour rentrer au Nigeria en mars 2023. À son arrivée à Lagos, raconte-t-elle, « les fonctionnaires de l’OIM ont demandé à chacun d’entre nous quel métier il souhaitait exercer. Je leur ai dit que j’avais une formation d’infirmière et que je voulais ouvrir un magasin de produits pharmaceutiques. » Comme Ifeanyi, elle a reçu une carte bancaire créditée de 50 000 nairas. « Cette somme devait nous permettre de rentrer chez nous au Nigeria. Ils ont promis de nous contacter dans les trois mois. Mais, six mois plus tard, personne ne m’a appelée. »

Onuru dit qu’elle a désespérément besoin d’aide : « En ce moment, je suis bloquée. Aucun membre de ma famille ne peut m’aider. » À l’exception d’une école primaire dans laquelle elle squatte la nuit, à Lugbe, un quartier d’Abuja, elle n’a aucun endroit où aller. « Je n’ai rien à manger. Je n’ai pas de travail et je n’ai personne vers qui me tourner. »

60 % des Nigérians secourus veulent repartir

On retrouve ce genre de récits dans plusieurs rapports, dont un rédigé par des chercheurs mandatés par l’Union européenne elle-même1. L’étude note qu’une majorité de migrants revenus au pays vivent encore sous des tentes, ont disparu ou sont dans une situation pire qu’avant. Tous les rapports s’accordent à dire que plus de 60 % des Nigérians qui ont été « secourus » (souvent des prisons et des centres de détention en Afrique du Nord) sont tentés de repartir. Trois anciens migrants, rentrés depuis 2017 et interrogés par ZAM, ne disent pas autre chose. Eux ont réussi à se réinstaller, avec l’aide de projets financés par l’UE. L’un a créé une ferme piscicole, un autre un salon de coiffure, et le dernier un atelier de soudure et d’électricité. Ils affirment que la plupart des personnes avec lesquelles ils étaient revenus au Nigeria – l’un d’eux a mentionné de nombreuses « mères célibataires qui étaient censées ouvrir des salons de coiffure » – sont reparties après avoir vendu leur « pécule de départ », parfois « avec l’aide du personnel de l’OIM ».

Quelles sont les raisons de cet échec ? L’OIM n’a pas répondu aux sollicitations de ZAM. Pour Osita Osemene, de Patriotic Citizen Initiatives, l’une des ONG impliquées dans le programme de réinstallation, l’OIM et le gouvernement nigérian n’ont pas fait grand-chose pour permettre aux nouveaux arrivés de se réinstaller. Il ajoute que, selon lui, le gouvernement nigérian est le principal responsable de cette situation : « Ce sont des Nigérians, notre gouvernement doit prendre ses responsabilités. L’OIM est censée continuer à les soutenir et leur donner un peu de capital pour qu’ils se lancent dans les affaires. Cela n’a pas toujours été le cas. Mais que fait le gouvernement nigérian à ce sujet ? »

Le porte-parole de l’Agence nationale de gestion des urgences (National Emergency Management Agency, Nema), Manzo Ezekiel, qui est chargé de transporter les rapatriés au Nigeria, précise que le mandat de la Nema est d’accueillir les personnes qui ont été évacuées d’Afrique du Nord par l’OIM vers le Nigeria. « Nous leur apportons le soutien financier nécessaire pour qu’ils retournent dans leur lieu de résidence, explique-t-il. La Commission nationale pour les réfugiés, les migrants et les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays est chargée de leur fournir une formation à l’entrepreneuriat ou de leur donner des capitaux pour créer des entreprises. » La porte-parole de la Commission pour les réfugiés, Khadija Imam, n’a pas répondu à nos questions.

Bloqués en Afrique du Nord

Selon une enquête du journal néerlandais The Correspondent, l’Union européenne a financé, entre 2011 et 2019, 47 projets régionaux de « facilitation des transports » destinés à aider les migrants retrouvés le long des routes migratoires dans les pays d’Afrique du Nord « à retourner volontairement » dans leurs pays d’origine, pour un coût de 775 millions d’euros. Pour le seul Nigeria, le coût s’est élevé à 68 millions d’euros. Mais même dans les cas où les projets ont été couronnés de succès, leur impact réel est douteux. Si l’OIM au Nigeria indique dans son rapport de 2021 qu’elle a aidé 3 042 migrants à « retourner volontairement » au Nigeria, ce chiffre est dérisoire par rapport au nombre de migrants nigérians qui empruntent chaque année des itinéraires illégaux dans la direction opposée : ils seraient, selon les estimations, entre 44 000 à 85 0002.

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Source : Afrique XXI

 

 

 

 

 

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