La fabrique des migrations – Une interminable perte de connaissances

Afrique XXI – Série (3/4) · Qu’est-ce qui pousse des milliers d’Africaines à s’exiler alors que les dangers de la route sont connus, tout comme les terribles conditions de vie dans certains pays « d’accueil » ? Dans cette série du magazine ZAM déclinée en quatre épisodes, cinq journalistes décryptent les mécanismes de la migration. Ce troisième volet est consacré à la « fuite des cerveaux ».

La circulation extrêmement dense en semaine sur Zakariya Maimalari Street et Muhammadu Buhari Way, dans le quartier central des affaires d’Abuja, au Nigeria, est en grande partie due aux va-et-vient de jeunes hommes et femmes qui garent leurs voitures sur les trottoirs pour s’engouffrer dans les centres de demande de visas. Le parking réservé aux visiteurs de la société VFS Global, qui occupe plusieurs étages de l’immeuble de la Sterling Bank, sur Muhammadu Buhari Way, ne suffit plus depuis longtemps à accueillir le trop-plein de demandeurs. Il en va de même pour le parking du concurrent de VFS, TLS Contact, dont les bureaux sont situés au troisième étage de la gigantesque Mukhtar El-Yakub Plaza, sur Zakariya Maimalari Street.

Les centaines de candidats au départ sont des personnels de santé qualifiés, des experts en informatique ou encore des comptables. Ils veulent faire « japa », un mot yoruba que l’on peut traduire par « s’échapper » ou « s’enfuir ». Les raisons qui poussent à faire « japa », selon les personnes interrogées dans les files d’attente par le journaliste de ZAM Theophilus Abbah, vont du taux de chômage élevé (estimé à environ 41 % de la tranche d’âge active au Nigeria) à l’extrême pauvreté (qui touche 133 millions de personnes sur une population de 200 millions de Nigérians), en passant par la corruption et la mauvaise gouvernance d’une élite richissime. Nombreux sont ceux qui disent ne pas croire au changement – en tout cas pas dans un avenir proche.

En février 2023, des élections contestées ont une fois de plus porté au pouvoir un autocrate âgé et malade : Bola Tinubu, 71 ans, dont le premier acte a été de s’envoler pour la France afin d’y suivre un traitement médical. Ces dernières années, les manifestations en faveur de la justice sociale et des droits de l’homme au Nigeria ont été violemment réprimées.

Pour le docteur Ejike Oji, ancien conseiller du gouvernement, c’est précisément « la frustration de l’excellence » dans un système fondé sur le favoritisme plutôt que sur la compétence qui fait fuir les professionnels de santé. « Les nominations ne sont pas basées sur le mérite. Les personnes qualifiées sont écartées au profit des enfants des riches, des politiciens et de l’élite. Les personnes discriminées doivent donc trouver d’autres moyens de survie, et cela inclut le départ vers l’Europe et l’Amérique du Nord », déplore-t-il.

 

Au Zimbabwe, voter avec ses pieds

 

Parmi les milliers de jeunes gens qui font la queue pour obtenir un passeport au Makombe Building, le siège de l’état civil zimbabwéen situé en périphérie de Harare, la capitale, beaucoup s’éloignent dès que nous nous présentons comme journalistes. « Je ne veux pas avoir d’ennuis. Ils me refuseront un passeport si vous prenez une photo de moi ici », explique une femme d’une vingtaine d’années en cachant son visage.

D’autres disent au journaliste Brezh Malaba qu’ils craignent d’être arrêtés s’ils parlent. Depuis le 23 décembre 2022, date à laquelle le projet de loi sur la codification et la réforme du droit pénal (Criminal Law Codification and Reform Amendment Bill), communément appelé « projet de loi patriotique » (Patriotic Bill), a été publié dans la gazette du gouvernement, le fait de « porter délibérément atteinte à la souveraineté et à l’intérêt national du Zimbabwe » est considéré comme un crime. Cela inclut le fait de critiquer le gouvernement.

Ceux qui acceptent de s’exprimer sur leur situation personnelle ne le font que sous le couvert de l’anonymat. Leurs histoires se ressemblent toutes : ils veulent obtenir un passeport et quitter le Zimbabwe au plus vite. Ces entretiens ont eu lieu plusieurs mois avant les élections générales du 23 août 2023, ce qui signifie que beaucoup de ceux qui s’expriment dans cet article ont probablement déjà quitté le pays – votant, pour ainsi dire, avec leurs pieds.

Au Zimbabwe, la motivation économique est, plus encore qu’au Nigeria, aggravée par la répression de toute forme d’opposition, de critique ou d’activisme en faveur du changement. Le président de l’Amalgamated Rural Teachers Union of Zimbabwe (Artuz), Obert Masaraure, et ses camarades de lutte affirment qu’ils tentent depuis des années d’améliorer la situation des enseignants : « Nous avons écrit des lettres ouvertes, nous avons manifesté, nous avons essayé d’attirer l’attention des autorités. Mais l’année dernière, le gouvernement a porté contre nous des accusations de meurtre forgées de toutes pièces. »

 

« Nous ne pouvons pas avoir une vie digne »

 

L’accusation de meurtre n’est que l’une des nombreuses affaires portées par l’État zimbabwéen contre le président du syndicat. En 2019, il avait été accusé d’« incitation » à « commettre des violences publiques » et de « subversion ». Alors que l’affaire Roy Issa est en cours, Masaraure a dû comparaître à nouveau devant le tribunal le 31 mai 2023, cette fois pour un tweet dans lequel il encourageait le public à soutenir Robson Chere lors de son procès. Masaraure a également été victime d’effractions à son domicile et de passages à tabac par les forces de sécurité. Les deux hommes sont actuellement en liberté sous caution.

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Source : Afrique XXI

 

 

 

 

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