La fabrique des migrations – Les candidats au départ, des vaches à lait très prisées

Afrique XXI Série (2/4) · Qu’est-ce qui pousse des milliers d’Africaines à s’exiler alors que les dangers de la route sont connus, tout comme les terribles conditions de vie dans certains pays « d’accueil » ? Dans cette série du magazine ZAM déclinée en quatre épisodes, cinq journalistes décryptent les mécanismes de la migration. Ce deuxième épisode s’intéresse au « business » de l’exil.

« Il peut prier pour votre visa », promet l’apôtre Goodwin, du haut de sa tribune dans le centre évangélique Zoe Ministries, situé sur les rives du lac Victoria, juste à côté de Kampala, la capitale ougandaise. « Beaucoup ont déjà été aidés. Ils ont voyagé, ils travaillent aux États-Unis. Vous n’avez qu’à apporter des offrandes et il fera des miracles pour vous. »

Les milliers de personnes rassemblées ici en ce mardi soir attendent que le « prophète » Elvis Mbonye, qui porte une robe blanche et des oreillettes, et dont les miracles de prospérité découleraient de sa connexion directe avec Dieu, accomplisse précisément cette tâche. Avec impatience, ils écrivent leurs prières et les placent, avec des billets de banque, dans des enveloppes qu’ils remettent ensuite à des disciples de passage. Dans cette congrégation de la classe moyenne, les « bénédictions » ne sont pas données : les billets de bronze coûtent l’équivalent de 85 dollars (79 euros), les billets d’argent 185 dollars, les billets d’or 210 dollars et les billets de platine 275 dollars.

Les fidèles hurlent et applaudissent lorsque le prophète monte sur scène, lève les yeux au ciel et commence à prier. « J’y crois ! », déclare avec ferveur une jeune femme à côté du reporter de ZAM, Emmanuel Mutaizibwa. Son nom est Grace Zawedde. « Je crois que je vais pouvoir aller aux États-Unis. » Ses yeux brillent.

Un autre mardi, quelques mois plus tard, une femme monte sur scène pour affirmer que les offrandes qu’elle a déposées aux pieds du prophète (qui, selon le site Religion Unplugged, pèserait aujourd’hui 115 millions de dollars) ont porté leurs fruits. Non seulement son visa a été avancé de dix mois, juste à temps pour qu’elle puisse s’envoler vers l’Amérique, affirme-t-elle, mais elle a aussi immédiatement trouvé un emploi. Au milieu des acclamations qui fusent, personne ne lui demande ce qu’elle fait alors à Kampala.

 

Suicide suspect à Douala

 

À Douala, au Cameroun, deux jeunes femmes viennent de rentrer, traumatisées et sans le sou. Elles racontent à Elizabeth BanyiTabi, membre de l’équipe de ZAM, que l’homme qui leur avait promis un voyage aux États-Unis les a abandonnées à Lagos, au Nigeria. Elles ont eu beaucoup de mal à revenir, disent-elles en pleurant. Elles indiquent avoir fait confiance à l’homme parce qu’il était bien habillé, bien soigné, et qu’il s’exprimait bien. Il leur avait dit qu’il était médecin aux États-Unis et qu’il voulait vraiment les aider à avoir un avenir meilleur. Elles lui avaient versé, chacune, un acompte de 1 million de francs CFA, soit environ 1 523 euros, pour obtenir le visa promis.

Quelques semaines plus tard, un scandale éclate à Douala. Le vice-consul de France, Christian Hué, est retrouvé pendu dans une chambre de sa villa : un suicide, apparemment, alors que l’on évoque une affaire de faux visas. Des sources officieuses ont indiqué aux médias locaux que M. Hué avait illégalement délivré près de 500 visas Schengen (Union européenne) après avoir subi un « chantage à l’information sensible » de la part d’un homme d’affaires camerounais « qui a des antécédents de fraude ». L’homme a été arrêté le 13 septembre 2023 à l’aéroport de Douala, à son retour de France : il est accusé d’avoir facturé à ses clients 6 000 dollars par visa, ce qui lui aurait rapporté près de 3 millions de dollars. Les médias ont établi un lien entre cet homme et des cercles influents, proches du gouvernement, ainsi qu’avec le groupe français Bolloré, très présent au Cameroun. Mais il a été libéré peu après son arrestation.

Ni la police ni le consulat français n’ont commenté l’affaire jusqu’à présent, mais la délivrance de visas pour la France au Cameroun, déjà en baisse après une série de manifestations anti-françaises dans la région, semble s’être tarie. « Les derniers événements n’ont pas arrangé la situation », confirme à Elizabeth BanyiTabi un diplomate français qui a requis l’anonymat.

 

Des complices haut placés

 

Des personnes bien informées, des fonctionnaires ou encore des agents d’organisations travaillant pour les migrants et les réfugiés ont bénéficié de la lucrative exploitation financière des candidats à l’exil. Un rapport de 2023 du Bureau de surveillance et de lutte contre la traite des personnes du département d’État américain mentionne « la corruption et la complicité des fonctionnaires dans les crimes de traite » comme des « préoccupations importantes » au Cameroun, tandis qu’une enquête récente du projet Museba a révélé l’implication de fonctionnaires de l’État camerounais et d’agents du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) dans une escroquerie consistant à vendre de faux papiers de réfugiés à des candidats à l’émigration.

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Source : Afrique XXI – (Le 01 décembre 2023)

 

 

 

 

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