L’intenable position des Arabes israéliens

La Presse.ca – (Nazareth, Israël) – Sommés par leurs compatriotes juifs de se joindre au deuil national, les Arabes israéliens oscillent entre empathie à l’égard des victimes du 7 octobre, soutien à la cause palestinienne et crainte du délit d’opinion.

 

Depuis le 7 octobre, Youssef Zyadney fait figure de héros national en Israël. Ce chauffeur de taxi installé dans la ville arabe de Rahat, dans le sud d’Israël, non loin de la bande de Gaza, a sauvé à lui seul une trentaine de participants au rave où le Hamas a fait 260 victimes. « J’ai déposé des clients au festival la veille ; je devais venir les récupérer le lendemain midi. Mais à 7 h du matin, j’ai reçu un appel paniqué de leur part. Des terroristes attaquaient les environs, ils me suppliaient de venir les chercher. J’ai foncé à leur rencontre », raconte d’un ton humble ce père de sept enfants.

La pluie de roquettes qui s’abat sur le pourtour de la bande de Gaza ne suffit pas à le dissuader. Pas plus que les coups de feu retentissant aux alentours. Youssef Zyadney accède aux abords de la fête, remplit son minibus d’une trentaine de jeunes fêtards apeurés, pour certains grièvement blessés, et met le pied au plancher.

L’héroïsme de cet Arabe israélien de 47 ans lui a valu une pluie de louanges. Mais aussi de nombreuses insultes. Peu après son exploit, un anonyme lui a téléphoné pour l’accuser d’avoir trahi la cause palestinienne. Sur les réseaux sociaux, des centaines d’internautes lui font le même reproche en arabe.

« Certains s’étonnent qu’un Arabe israélien comme moi ait risqué sa peau pour sauver des vies juives. C’est idiot : je n’ai fait que mon devoir en sauvant des êtres humains qui comptaient sur moi. Peu importe leur religion. Israël est mon pays et ils sont mes concitoyens. » Youssef Zyadney

 

Unité de façade

 

Les Arabes israéliens, qui représentent 23 % des 9 millions d’habitants du pays, descendent pour la plupart des habitants musulmans ou chrétiens n’ayant pas fui leurs terres lors de la création de l’État d’Israël en 1948. Depuis l’attaque du Hamas, la population juive scrute dans leur comportement le signe qu’ils partagent le traumatisme provoqué par le pire massacre de Juifs depuis la Shoah.

C’est en partie le cas. Selon un récent sondage, 77 % des Arabes israéliens sont opposés à l’offensive du Hamas et 85 % dénoncent la prise d’otage de civils. Les partis arabes siégeant à la Knesset ont unanimement condamné les attaques terroristes. Alors que la Cisjordanie connaît presque chaque jour des manifestations anti-israéliennes teintées du drapeau vert du Hamas, les grandes villes arabes d’Israël affichent un calme plat. Si aucune manifestation anti-israélienne n’y a été recensée, les rassemblements de soutien aux victimes du Hamas sont tout aussi rares.

PHOTO VÉRONIQUE DE VIGUERIE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le souk de Nazareth est vide à cause de la guerre. Ci-dessus, quelques Arabes israéliennes s’y promènent, le 21 octobre.

 

« La période actuelle est très difficile pour les Palestiniens d’Israël », dit en soupirant l’imam de la mosquée blanche de Nazareth, la plus grande ville arabe d’Israël. « Nous sommes partagés entre la rage de voir notre peuple mourir sous les bombes israéliennes à Gaza et notre condamnation de l’attaque terroriste du Hamas, qui a tué de nombreux civils innocents. » Le même inconfort se retrouve dans chaque ruelle de la vieille ville de Nazareth. Beaucoup d’Arabes israéliens refusent de parler à la presse.

« Les Palestiniens d’Israël n’ont jamais connu une véritable liberté d’opinion », confie sous le couvert de l’anonymat un jeune ingénieur informatique.

« Dévier du discours dominant a toujours été risqué. Et depuis le 7 octobre, l’ambiance vire carrément au maccarthysme. » Un jeune ingénieur informatique sous le couvert de l’anonymat

Ce spécialiste en intelligence artificielle au look branché affirme avoir été licencié de sa start-up quelques jours plus tôt pour avoir liké une simple publication en hommage aux victimes civiles de Gaza sur le réseau social LinkedIn. « Des collègues juifs avec qui je travaillais depuis des années ont subitement changé de visage et obtenu mon renvoi, s’émeut-il. Ce licenciement est bien entendu abusif, mais je ne porterai pas l’affaire en justice. Aucun juge ne me donnera raison. Israël ne veut entendre que ses bons Arabes, ceux qui abondent dans le sens de la parole officielle. »

Son cas est loin d’être isolé. Appliquant une politique de « tolérance zéro », les forces de police auraient interpellé depuis le 7 octobre des dizaines d’Arabes israéliens en raison de leurs prises de position sur les réseaux sociaux. À Nazareth, la chanteuse Dalal Abu Amneh, célèbre dans tout le monde arabe pour ses reprises de chansons traditionnelles palestiniennes, a passé deux jours en garde à vue pour avoir écrit sur Facebook qu’il « n’y a de vainqueur que Dieu », suivi d’un drapeau palestinien. La publication a été interprétée par les autorités comme une incitation à la violence.

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Théophile Simon
Collaboration spéciale
Source : La Presse.ca (Canada)

 

 

 

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