A Gaza, des familles entières décimées dans les bombardements israéliens : « Mon fils, ma nièce et un autre enfant sont encore sous les décombres »

En réponse à l’attaque menée par le Hamas contre l’Etat hébreu, l’armée israélienne bombarde massivement l’enclave palestinienne depuis samedi soir. Selon un bilan provisoire, 1 200 Gazaouis ont été tués.

Le Monde –   Lundi 9 octobre, en fin d’après-midi, Gaza subit des bombardements intensifs des avions de chasse israéliens depuis presque vingt-quatre heures. La famille Abou Dan est terrée chez elle, dans le camp d’Al-Bureij, dans le centre de l’enclave. Chacun vérifie son téléphone pour s’assurer qu’aucun message de l’armée israélienne n’a été envoyé leur intimant d’évacuer leur maison. « Il n’y a eu ni tir de sommation ni SMS, rien. Tout d’un coup, une bombe est tombée, puis deux », raconte Ahmed Abou Dan au téléphone – Gaza est inaccessible depuis samedi.

Ce Palestinien de 43 ans est le seul rescapé de sa fratrie qui, comme c’est souvent le cas à Gaza, habitait le même immeuble. Son fils, son père, ses deux frères et une partie de leur famille ont été tués. Quatorze personnes en tout, dont quatre enfants et deux adolescents. L’une de ses nièces était enceinte.

« Jusqu’à présent, j’ai enterré dix martyrs, mais quatre sont encore sous les décombres. Je remue ciel et terre. On a extrait la famille de mon frère. Mais mon fils, Walid, 22 ans, est toujours sous les gravats, ainsi que ma nièce Amira, 16 ans, et l’un des enfants d’une autre nièce, il avait 7 ans, je crois. Est-ce que ce n’est pas une infamie de les avoir tués ? », demande-t-il, le souffle saccadé de colère. Le lendemain, les corps retrouvés sous les gravats ont été inhumés à la hâte – une humiliation de plus. « Ce n’était pas des funérailles, on les a pris, on les a enterrés et on est partis. Pendant ce temps-là, les bombes continuaient d’exploser », relate-t-il.

Le jour de la frappe sur l’immeuble de la famille Abou Dan, dans le camp d’Al-Bureij, et sur les localités alentour, vingt-sept personnes, dont quinze mineurs, ont été tuées, selon le décompte d’Al-Mezan, du Palestinian Center for Human Rights (PCHR) et d’Al-Haq, trois ONG palestiniennes de défense des droits humains. Ahmed Abou Dan se sait miraculé : « C’était très violent : le bombardement a détruit notre bâtiment, qui fait 35 mètres de haut. Imagine-toi, un immeuble de quatre étages qui s’effondre sur toi. J’habite au troisième. Les deux murs me sont tombés dessus. J’étais terrifié. Qu’est-ce qu’on peut ressentir à ce moment-là ? De l’effroi. De l’effroi ! J’ai récité ma profession de foi. »

 

Chaque déplacement peut être fatal

 

Onze autres de ses proches ont survécu, dont sa femme qui a la hanche fracassée. Il débite son récit d’une traite, mû par l’émotion. Dans leur rue, seule leur maison a été bombardée. Ahmed ne se l’explique pas : son frère était ouvrier en Israël, il avait donc un permis pour sortir de Gaza, impossible à obtenir si les services de renseignement israéliens avaient le moindre doute sur ses antécédents sécuritaires ou ceux de sa famille. Ahmed lui-même s’était rendu deux fois à Jérusalem, où son fils se faisait soigner pour un problème aux cervicales. L’armée israélienne, interrogée par Le Monde à ce sujet, n’a pas répondu.

Israël a lancé ses premières bombes sur Gaza, samedi, après l’attaque du Hamas, le mouvement islamiste au pouvoir dans l’enclave, qui a fait 1 200 morts dans l’Etat hébreu. Depuis dimanche soir, les frappes n’ont quasi pas cessé, du ciel, de la mer et de la terre, sur l’ensemble du petit territoire où vivent, reclus, 2,3 millions d’habitants. Selon un bilan provisoire, 1 200 Gazaouis ont été tués. Comme les Abou Dan, plusieurs familles ont été en partie anéanties dans des bombardements qui touchent des immeubles d’habitation – à l’instar des Abou Qouta, à Rafah, qui ont perdu dix-neuf des leurs durant le week-end.

Plus personne n’ose s’aventurer dehors pour se ravitailler. Chaque déplacement, même d’une rue à l’autre, peut être fatal. Les sauveteurs de la protection civile sont débordés. Quatre secouristes ont été tués, a annoncé, mercredi, le Croissant-Rouge palestinien. Ahmed Abou Dan a sollicité ces équipes pour qu’ils sortent son fils des décombres, mais, au milieu du chaos, « ils se concentrent sur les gravats d’où leur parviennent des cris, là où des personnes sont encore vivantes ».

 

« Tués dans leur sommeil »

 

Jaber Washah bute un peu sur ses mots. La nuit a été terrifiante. A 3 heures du matin mercredi, ce militant d’une organisation de défense des droits humains a été réveillé par des explosions qui ont frappé quatre maisons et immeubles autour de chez lui, dans le même quartier que les Abou Dan. Le Gazaoui de 73 ans a fui comme il a pu avec sa mère âgée de 94 ans et sa sœur handicapée, dans la crainte qu’un autre bombardement atteigne leur maison. « Les gens étaient chez eux, ils ont été tués dans leur sommeil », raconte-t-il.

En fin de matinée, une dizaine de corps avaient été sortis des décombres, mais beaucoup étaient encore ensevelis, et les rues commençaient seulement à être un peu déblayées. Quatre familles ont été frappées, dont quatre enfants, rapporte Jaber Washah. Rien que dans la Wasta, ce gouvernorat du centre de la bande de Gaza, quarante-neuf personnes, dont quinze mineurs, ont été tuées dans ces bombardements nocturnes, rapportaient Al-Mezan, Al- Haq et le PCHR, qui faisaient état d’autres raids extrêmement violents dans le camp de Jabaliya, dans le nord, mais aussi dans la ville de Gaza, à Khan Younès et à Rafah, dans le sud.

« Les équipes de secours de la protection civile n’ont pas encore réussi à atteindre certaines maisons, faute de moyens », témoignaient les ONG, soulignant que, dans plusieurs cas, le nombre de victimes était encore incertain.

L’armée israélienne frappe « de manière indiscriminée et le fait intentionnellement », selon Jaber Washah. « Les gens ont peur des tapis de bombes, quand on commence par un bâtiment et que tout le voisinage suit dans la même lignée. Tout le monde est sur le qui-vive. Certains habitants, à Al-Bureij, ont été prévenus que leur maison allait être bombardée et, jusqu’à maintenant, finalement, ils ne sont pas ciblés. D’autres ne reçoivent aucun avertissement et sont frappés », explique-t-il.

Des milliers d’habitations sont en ruine. L’université islamique, en plein cœur de Gaza, a été en grande partie détruite, des institutions, des ambulances, ont été frappées, ainsi que des écoles et des bâtiments de l’UNWRA, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens, qui accueille l’immense majorité des 338 000 Gazaouis ayant fui les bombes. L’ONU a annoncé, mercredi 11 au soir, que onze des employés de l’agence avaient été tués depuis le début de l’offensive. L’armée israélienne qui, lors des précédentes guerres, insistait sur les objectifs visés par les bombardements, semble cette fois mettre l’accent sur les destructions provoquées lors de ses briefings. « Ils sont dans la vengeance après ce qui s’est passé le 7 octobre », pense Jaber Washah.

Aucune aide d’urgence

 

« Les jours qui viennent vont être terribles. On n’a ni abri, ni lit, ni même un oreiller avec nous. Je suis encore vêtu du même pantalon déchiré et de la chemise que je portais quand j’ai échappé aux bombes. Toutes mes économies, mes affaires, sont sous les ruines », résume Ahmed Abou Dan. Sa famille avait emménagé dans l’appartement il y a six mois à peine. Ces deux derniers jours, comme beaucoup d’autres rescapés, il dort à l’hôpital, où il espère trouver un peu plus de sécurité. Mais le système de santé aussi est sur le point de craquer. L’unique centrale électrique de Gaza s’est arrêtée de fonctionner mercredi, à 14 heures, faute de carburant. Mercredi soir, la plus grande partie du territoire était plongée dans le noir.

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(Jérusalem, correspondance)

 

 

 

 

 

Source : Le Monde 

 

 

 

 

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