La différence entre Camus et Sartre, c’est que l’un savait écrire et l’autre pas

L'essai «Oublier Camus» voudrait faire passer ce dernier pour un affreux misogyne doublé d'un colonialiste féroce. C'est omettre que contrairement à Sartre, l'œuvre de Camus vaut avant tout par l'éclat de son écriture.

Slate – Il aura fallu la parution d’un seul essai sur Camus, Oublier Camus par Oliver Gloag, pour que renaisse la guerre de tranchées qui opposa l’auteur de L’Étranger à celui de La Nausée, j’ai nommé l’illustre Jean-Paul Sartre. Dans son essai que je n’ai évidemment pas lu, Olivier Gloag entend déboulonner Camus, notamment par l’accusation faite qu’il fut selon lui un fervent défenseur du colonialisme et un homme coupable de misogynie répétée…

C’est son droit de l’écrire.

N’étant nullement qualifié pour juger de la pertinence de ces attaques même si elles me semblent pour le moins outrancières, je me garderai bien de participer à la polémique d’autant plus qu’en toute honnêteté, je ne vois guère où se situe son intérêt. Pout tout dire, que Camus fut oui ou non un défenseur de l’Algérie française m’intéresse tout autant que de savoir s’il préférait prendre du café ou du thé au petit déjeuner. La question a son importance mais je crois avoir en horreur ce genre d’accusations où, à des fins idéologiques, on essaye à tout prix de faire coïncider ses principes avec les actes d’un homme impuissant à se défendre.

Et où l’on tente, à l’aide d’une dialectique douteuse, de faire émerger une vérité qui du temps de l’auteur incriminé répondait à une toute autre logique, dans une déclinaison de la pensée contingente aux circonstances de son époque, forcément ambivalente et constratée. Doublé d’une obsession quasi maladive de réparer des torts parmi cette flamboyance de la repentance qui apparaît à celui qui la professe comme une exaltation de sa propre justesse, de sa gloire innée.

L’opposition fondamentale entre Sartre et Camus consiste à ce que le premier était philosophe là où l’autre n’était que romancier, le malheur et la source de tous les malentendus étant que les deux voulurent être les deux à la fois. Camus philosophait comme seul un romancier sait le faire, c’est-à-dire faiblement, avec le sentiment pour raisonnement, tandis que Sartre écrivait des romans avec la sécheresse et la platitude du philosophe, d’une langue morne où l’esprit commandait au processus de création.

L’un avait donc du cœur, l’autre de l’esprit, et l’on a rarement sinon jamais vu les deux aller du même pas. Ce que le cœur prétend, l’esprit le réfute et ce que l’esprit avance, le cœur s’en méfie. Ces deux-là ne devraient jamais essayer de se confondre; malgré tous les efforts, leur vision du monde et le rendu qu’ils en font ne s’accorderont jamais.

N’était point versé dans cette discipline, j’ignore si la philosophie de Sartre a quelque valeur. Par contre, je sais que la langue de Camus possédait cet éclat qui accompagne toujours les romanciers de qualité, cette chose inexprimable mais qui saute aux yeux pourtant, une élégance du langage, une musicalité, une poésie, un style quoi.

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Source : Slate (France) – Le 29 septembre 2023

 

 

 

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