Au Quai Branly, Kehinde Wiley, le portraitiste américain qui peignait les puissants d’Afrique

En exposant des tableaux en majesté de dirigeants, dont des autocrates, l’artiste dit vouloir renvoyer l’Europe et la France à leur passé colonial et esclavagiste.

Le Monde  – « C’est une exposition compliquée, difficile à digérer. La complexité est dans les œuvres et dans l’exposition. » Ce sont les derniers mots du peintre Kehinde Wiley à la fin d’une longue conversation à propos de « Dédale du pouvoir », au Musée du quai Branly, à Paris : une suite de portraits de chefs d’Etat africains d’aujourd’hui. Complexe en effet, elle suscite la perplexité en raison du style même des œuvres, et prête à la controverse en raison de la présence de quelques dictateurs.

Elle se compose de onze tableaux de très grand format, dix hommes plus Sahle-Work Zewde, actuelle présidente de la République d’Ethiopie, seule femme de cette galerie. Elle s’y trouve en compagnie d’Alassane Ouattara, président de Côte d’Ivoire, ou d’Alpha Condé, ancien président de Guinée. Les toiles sont disposées au fil d’un dédale, conformément au titre, murs noirs et angles nombreux. Chacune dispose ainsi de son coin. On y avance dans la pénombre, d’un tableau à l’autre, tous vivement éclairés et colorés selon les habitudes de Wiley, qui pratique, depuis ses débuts, une peinture figurative détaillée et chamarrée.

Portrait de Sahle-Work Zewde, présidente de l’Ethiopie, par Kehinde Wiley.

L’artiste est né en 1977 à Los Angeles d’une mère afro-américaine et d’un père nigérian. Son œuvre se consacre tout entière à la représentation de femmes et d’hommes d’ascendance africaine, anonymes ou illustres, qu’il peint en reprenant les techniques et les compositions de la peinture européenne de la Renaissance au XIXe siècle, de Van Eyck ou Bellini jusqu’à Reynolds ou Ingres. Ainsi est-il devenu, depuis une dizaine d’années, l’un des peintres les plus en vue de la scène internationale. Sa toile la plus connue est son portrait de Barack Obama, réalisé en 2018.

Cette œuvre a joué un rôle dans la gestation du projet dont « Dédale du pouvoir » est la conclusion. « Désormais, je suis le gars qui a peint ce portrait, et ça m’a aidé. » Aidé, car ces onze toiles ne sont pas des commandes passées par les modèles. Le processus a été tout autre – et long. « J’ai commencé en 2012, onze ans en tout, une grande partie de ma vie, mais ça en valait la peine. » Le principe premier était celui de l’invitation : proposer à ces chefs d’Etat de poser pour lui. « Je ne les ai pas choisis. Je les voulais tous. Certains ont jugé le projet inquiétant, d’autres intéressant et ont accepté. »

La galerie Daniel Templon a accompli « un travail déterminant » de courriers, courriels, relances et rendez-vous. Il dit ignorer combien de sollicitations ont été tentées. Une douzaine de réponses ont été positives, mais il n’y a que onze toiles réunies car l’un des modèles – le roi du Maroc Mohammed VI, selon nos informations – a refusé que son portrait soit exposé.

Pour tous, la méthode a été la même. Wiley a constitué un répertoire de portraits pris dans l’histoire de l’art européen : assis, debout, à cheval, dans un intérieur orné, sous un arbre ou sur un rivage, avec ou sans insignes du pouvoir, en costume royal ou plus simple, etc. Il appartenait aux modèles de choisir dans ce registre comment leur effigie serait traitée. Ce qui fait dire à l’artiste qu’il s’agissait « d’une expérience et d’une provocation » à la fois : « Voir comment ils se situent par rapport au pouvoir et à sa représentation. »

Portrait de Nana Akufo-Addo, président du Ghana, par Kehinde Wiley.

Portrait de Nana Akufo-Addo, président du Ghana, par Kehinde Wiley.

Une fois leur choix fait, il n’y avait plus qu’à exécuter l’opération picturale, en se fondant sur les images prises lors de la rencontre, images dont Wiley réglait soigneusement compositions, accessoires et éclairages, si l’on en croit le film diffusé en fin de parcours. Etant donné les dimensions des toiles et l’abondance des détails, Wiley, comme à son habitude, s’est appuyé sur une équipe d’assistants. I

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« Dédale du pouvoir ». Musée du quai Branly-Jacques-Chirac, 37, quai Branly, Paris 7e. Jusqu’au 14 janvier 2024, du mardi au dimanche de 10 h 30 à 19 heures, jeudi jusqu’à 22 heures. De 9 € à 12 €.

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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