Le hip-hop tout sourire de De La Soul

M Le MagazinePortraitEn 1987, dans la banlieue paisible de New York, trois copains bourrés d’audace et d’humour créent De La Soul et font sortir le rap du ghetto. Trente-cinq ans plus tard, le groupe est invité à jouer dans de grandes salles européennes, comme à la Philharmonie de Paris le 30 août.

L’événement a fait date. Le 8 avril, le Royal Albert Hall, la prestigieuse salle de spectacle londonienne jouxtant Hyde Park, a accueilli l’un des plus grands groupes de l’histoire du hip-hop : De La Soul. Le théâtre circulaire avait déjà reçu des artistes de rap et de R’n’B à plusieurs reprises. Ainsi, le couple Beyoncé et Jay-Z était monté sur sa scène en 2016. Mais le concert de De La Soul, formé en 1987 dans l’État de New York, a fait ressurgir une histoire plus méconnue. Celle du hip-hop des débuts, des block parties des quartiers noirs des grandes villes américaines : celle d’une musique autrefois marginale devenue le genre le plus écouté au monde.

Une histoire mise à l’honneur le 11 août à l’occasion du cinquantième anniversaire d’un événement jugé comme fondateur du mouvement : une fête organisée par le New-Yorkais DJ Kool Herc le 11 août 1973, dans le quartier de Sedgwick Avenue, dans le Bronx. Lorsque le MoMA a voulu célébrer le cinquantenaire du hip-hop, il a posté sur Twitter la photo de la pochette de 3 Feet High and Rising (1989), le premier album de De La Soul.

Trente-cinq ans après la formation du groupe, ses musiciens, qui jouent le 30 août dans une autre salle d’envergure, la Philharmonie de Paris, sont toujours admirés, applaudis pour avoir insufflé au hip-hop un sens de l’humour et une ouverture d’esprit inédits.

 

Textes décalés

 

L’ombre au tableau, c’est la mort de l’un des membres, David Jude Jolicoeur, alias « Trugoy the Dove », le 12 février, d’une insuffisance cardiaque, deux mois seulement avant le concert londonien du Royal Albert Hall. La disparition de celui qui marmonnait les premières rimes de leur tube Me, Myself and I laisse à ses compères Vincent « Maseo » Mason et Kelvin « Posdnuos » Mercer la charge de représenter le groupe.

De La Soul, c’est le mariage heureux entre un style vestimentaire (des vêtements larges piqués à leurs parents, des accessoires colorés quand d’autres préféraient le bling…) et une musique qui emprunte à tous les genres musicaux, rock psyché, pop, blues. Un trio de gamins venus de l’Etat de New York qui a redessiné les contours de la musique populaire en osant des choix musicaux et visuels rares. Et qui a influencé de nombreux musiciens.

En effet, à l’annonce de la mort de David Jude Jolicoeur, les plus grands noms du milieu lui ont rendu hommage, comme Pharrell Williams, tout juste nommé directeur artistique de la ligne homme de Louis Vuitton, sur son fil Twitter. De son côté, le rappeur et comédien Common a écrit : « De La Soul est tout pour moi. Ils m’ont pris sous leur aile, m’ont emmené en tournée et ont changé ma vie. Ils m’ont invité sur une chanson et l’ont changée à nouveau. »

Le rappeur français Disiz, qui comme eux s’est fait connaître avec un titre humoristique (J’pète les plombs), admire leur liberté artistique : « Ils s’autorisaient à sampler des choses en dehors du cadre inconsciemment validé du rap. » D’Orelsan à Vald, ils sont légion en France à s’être inspirés de leurs textes décalés.

 

La pochette de l’album « 3 Feet High and Rising » (1989).

La pochette de l’album « 3 Feet High and Rising » (1989).

 

Avec le décès de Trugoy, le concert au Royal Albert Hall, programmé avant la pandémie de Covid-19, a failli être annulé. Eux qui affirmaient dans une chanson que le chiffre « 3 est le nombre magique » ont pourtant décidé de le maintenir : « Ce qui est douloureux, c’est de perdre notre ami, pas de faire un concert sans lui », justifiait Posdnuos, quelques jours avant l’événement.

Sur scène, ce jour d’avril, les amis et admirateurs sont nombreux. Sous le portrait de Dave « Trugoy » accroché derrière la prestigieuse scène, Damon Albarn, cofondateur du groupe Blur et de Gorillaz, verse quelques gouttes de bière sur le sol, comme le font les membres des gangs quand l’un d’eux meurt, et lance à Posdnuos : « De La Soul, vous m’avez sauvé la vie ! » Quelques semaines plus tôt, il déclarait, dans une émission diffusée sur la plate-forme Apple : « Je ne pense pas que le hip-hop en serait là où il est sans eux. »

 

Drôles d’interludes

 

Si De La Soul a autant marqué les esprits, c’est que le groupe a d’emblée bousculé une musique alors toute jeune. En 1987 à New York, Public Enemy règne en maître avec des albums rageurs et engagés politiquement dénonçant les discriminations envers les Noirs. A Los Angeles, d’anciens membres de gang gonflent les muscles et font entendre leur « reality rap », que des médias comme Billboard ou MTV qualifient très vite de « gangsta rap ». Dr. Dre et quelques autres font trembler l’Amérique blanche et conservatrice.

Même ambiance en Europe : « Tous les disques de rap qu’on écoutait étaient très tendus, se rappelle le tourneur français Michael Carsenti, qui a organisé plus de 150 concerts de De La Soul en Europe. On avait l’impression d’entendre les cinq dernières minutes avant l’explosion d’une bombe. » Alors, « quand De La Soul sort son premier disque, il est innovant à tous les niveaux : musique, image, esprit. Son album est truffé d’interludes drôles qu’on écoute autant que les morceaux », se souvient la photographe française Sophie Bramly, qui a vécu à New York au début des années 1980 et a documenté les débuts de la culture hip-hop dans son livre Yo ! The Early Days of Hip Hop 1982-84 (Soul Jazz Books, 2021, non traduit).

 

Kelvin « Posdnuos » Mercer, Vincent « Maseo » Mason et David « Trugoy the Dove » Jolicoeur, devant le mythique Apollo Theater de Harlem, à New York, en 1993.

 

Michael Carsenti ajoute : « Ils souriaient sur leurs pochettes, du jamais-vu chez Public Enemy ou LL Cool J. Même dans les fringues, ils portaient des habits décontractés, notamment de Kangol [marque célèbre pour son logo de kangourou]. Même si je suis blanc, j’avais l’impression qu’ils me ressemblaient. » De La Soul va permettre au rap de la fin des années 1980 de sortir du ghetto et de s’ouvrir au reste du monde. Le trio va opérer la transition du rap vers la pop, sans jamais perdre en crédibilité.

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Source : M Le Magazine

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