Changements de régime constitutionnel et coups d’État militaires en Afrique subsaharienne : enjeux sécuritaires et politiques

L’Afrique subsaharienne est actuellement confrontée à des bouleversements politiques marqués par des changements de régimes constitutionnels opérés à travers des coups d’État militaires. Des pays tels que le Tchad, le Mali, le Burkina Faso et plus récemment le Niger constituent le nouveau théâtre de ces événements.

Rappelons que le Soudan détient le record du nombre de coups d’État et de tentatives de prise illégale de pouvoir en Afrique, avec un total de 17 putschs, dont six réussis. D’autres pays comme le Burundi, le Ghana, la Sierra Leone et le Burkina Faso ont également fait l’objet d’une dizaine de coups d’État et de tentatives, dont au moins la moitié a abouti au renversement du régime en place.

La Mauritanie occupe la cinquième place sur cette triste échelle des coups d’État, ayant subi sept tentatives, dont cinq réussies. Cet état de fait chaotique a amené le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, à parler d’« épidémie » de coups d’État après le putsch au Soudan en octobre 2021.

Dans chaque prise illégale du pouvoir, les militaires ont justifié leurs interventions en invoquant leur patriotisme ou des raisons sécuritaires, notamment en réponse à la montée du terrorisme dans la sous-région, un phénomène qui a gagné en ampleur depuis la déstabilisation de la Libye avec l’opération « Harmattan », qui a débuté en mars 2011.

Les interventions de la communauté internationale, en particulier celles de la France dans cette région de l’Afrique, ont souvent été sollicitées par les gouvernements africains eux-mêmes. Cependant, elles ont été confrontées à des difficultés pour éradiquer le fléau du terrorisme, suscitant ainsi un sentiment de méfiance envers les intentions réelles de la France parmi les populations locales. Les relations historiques entre l’ancien colonisateur et ces pays, ainsi que les politiques paternalistes, ont également contribué à cette méfiance. Le manque de cohérence dans les positionnements de la France est également à souligner.

Après le décès du dirigeant tchadien dans des circonstances troubles, Idriss Deby, en avril 2021, son fils a été installé à la présidence par intérim par l’armée régulière. L’opposition et la société civile dans ce pays continu à parler de « coup d’État dynastique » et pourtant cet homme est reçu en grande pompe à l’Élysée, dans d’autres palais présidentiels européens et même en qualité d’émissaire pour solutionner la crise actuelle au Niger.

Les putschistes contemporains ont habilement exploité les incohérences de la communauté internationale afin d’obtenir le soutien de certaines factions de la population, tel qu’observé au Mali et au Burkina Faso. Le colonel A. Goita du Mali a entrepris d’importantes initiatives en vue d’amorcer des changements et fixer des objectifs vers un nouveau cap…la Russie. D’ailleurs lors du dernier référendum organisé au mois de juin 2023, la langue française a été officiellement reléguée au statut de langue de travail. Cette mesure symbolique témoigne de la volonté de rupture avec la France.

Les causes immédiates de ces coups d’État dans la sous-région sont souvent à rechercher dans des raisons égoïstes, l’appât du gain ou la préservation des acquis. Le récent coup d’État au Niger, mené par le chef de la garde présidentielle, a eu lieu quelques heures après son limogeage par le président Mohamed Bazoum. Ce mode opératoire rappelle le coup d’état de Mohamed Ould Abdel Aziz en Mauritanie en 2008.

Cependant, pour comprendre véritablement les causes profondes sous-jacentes de ces coups d’État, nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion et une analyse approfondies.

Ces causes sont souvent liées à des conditions communes à de nombreux pays africains, telles que la pauvreté et les performances médiocres en matière de développement.

Lorsqu’on examine les données économiques de la Banque mondiale, on constate que le PIB de pays comme le Burkina Faso, la Guinée, le Mali, le Soudan et le Tchad est inférieur à 20 milliards de dollars. En comparaison, le PIB des États-Unis atteint 20 000 milliards de dollars en 2022.

En termes de ressources humaines, la proportion de la population totale employée par les armées africaines est plus faible que sur les autres continents : seulement 0,2 % de la population, contre 0,44 % aux États-Unis et 0,39 % dans les pays européens. Dans l’ensemble, les forces armées africaines souffrent d’un manque de ressources, ce qui se traduit par un déficit d’équipement et de fournitures de base. Nous avons tous en mémoire les images de certaines forces armées africaines de la sous-région s’exerçant aux tirs en utilisant leurs bouches pour imiter le son des fusils, ce qui témoigne de cette réalité. De plus, les armées africaines souffrent généralement d’un manque de professionnalisme.

Dans la sous-région, les forces armées africaines contemporaines sont actuellement confrontées à des défis majeurs liés à la lutte contre des insurrections d’envergure transnationale. Ces mouvements incluent Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, une série d’insurrections liées à Al-Qaïda et de plus en plus à l’État islamique au Sahel et au Sahara, ainsi que l’insurrection d’al-Shabaab dans la Corne de l’Afrique. Ces missions complexes et coûteuses s’ajoutent à la responsabilité principale de l’armée, qui est de défendre les intérêts étatiques et assurer la sécurité nationale.

En outre, ces forces militaires sont souvent étroitement liées aux gouvernements qu’elles servent, ce qui entraîne une politisation allant à l’encontre des idéaux de professionnalisation militaire. Dans de nombreux pays africains où la tendance à la domination personnalisée est présente, l’armée ou ses composantes sont souvent chargées de protéger les dirigeants contre un renversement, ce qui les rend redevables à un individu ou un parti plutôt qu’à l’État et à la nation.

Notons également, dans les politiques et les manipulations des institutions dans lesquelles les gouvernants africains excellent, que les événements en cours au Sénégal contre l’opposant Ousmane Sonko sont de nature à susciter un ras-le-bol généralisé et à créer un terreau fertile pour l’avènement des militaires dans la sphère politique sénégalaise.

 

Pour contrer cette tendance inquiétante, des perspectives multidimensionnelles peuvent être envisagées.

S’il est clair qu’on peut rétablir l’ordre par la force, gouverner un Etat fait appel à d’autres compétences.

Rôle des institutions sous-régionales : Les organisations africaines doivent agir de manière décisive pour faire face aux coups d’État et appliquer sérieusement leurs menaces d’intervenir militairement afin de restaurer l’ordre constitutionnel. Un coup d’État réussi dans un pays peut inciter d’autres tentatives dans la région. On observe que les pays sous sanction économique et politique font cause commune et se soutiennent mutuellement à coup de communiqués diffusés à la télévision publique.

La CEDEAO est en grave danger. Cette institution considérée par les putschistes et par bon nombre des populations de la sous-région comme le bras armé de la politique impérialiste de la France et de l’Occident de manière générale est menacé de « dislocation » conformément au terme utilisé par le communiqué de la Guinée en réaction aux menaces d’intervention au Niger de la CEDEAO

Lors du dernier sommet Russie-Afrique de juillet 2023, des tensions ont émergé entre le Président du Sénégal, Macky Sall, et le Capitaine burkinabé, Ibrahima Traore, mettant en évidence la diversité des intérêts des pays africains qui ne parlent pas d’une seule voix. En effet, le Burkina est confronté à des sanctions sévères de la part de la CEDEAO, tout comme le Mali. C’est pourquoi, lors de son discours, Ibrahima Traoré a exprimé son désaccord envers ses « aînés », les qualifiant de mendiants et opposant ainsi sa génération aux autres chefs d’État plus âgés. Malgré cela, le Capitaine Traoré et son homologue, A Goita, ont reçu une aide sous la forme d’un don de 50 000 tonnes de céréales gratuites de la Russie, tout comme le Zimbabwe, la Somalie, l’Érythrée et la Centrafrique. Ceci souligne la complexité des relations interafricaines et la diversité des positions nationales au sein du continent.

Cette crise sera un test pour la CEDEAO et déterminera sa survie ou sa disparition, à l’image de la SDN qui a donné naissance à l’ONU.

Réexamen des politiques publiques des armées : Il est nécessaire de revoir les politiques publiques en mettant l’accent sur la formation et la professionnalisation des forces armées. Il s’agit de promouvoir une culture de défense de la patrie et de la république plutôt que de l’appétence pour le pouvoir. Des investissements doivent être orientés vers des projets de défense et de sécurité véritablement destinés à protéger les citoyens et à éviter tout détournement de fonds publics.

Équilibre des pouvoirs : Les dirigeants africains passent leur temps à rechercher un juste équilibre entre le renforcement de l’armée pour qu’elle soit efficace et l’adoption de tactiques pour éviter qu’elle ne devienne trop puissante et renverse le gouvernement. Des stratégies telles que le remaniement fréquent et la création de gardes présidentielles ou d’autres unités mieux formées et équipées sont mises en œuvre pour prévenir les renversements militaires dans certains pays dans l’Afrique australe.

Révision des partenariats internationaux : Il est crucial de repenser les relations avec l’Occident et de considérer les alternatives possibles. Les pays africains doivent évaluer s’ils remplacent la France par d’autres puissances, telles que la Russie, ou négocier avec différentes grandes puissances comme la Chine, l’Arabie saoudite ou encore le Qatar en plus de la France. Une approche équilibrée de la coopération avec différents acteurs mondiaux est nécessaire pour un dépassement émotionnel et éviter de tomber dans la politique de comptoir. Cette pensée binaire qui consiste à vouloir choisir entre deux pays comme partenaire privilégié pour les échanges est pauvre et dangereuse pour les pays africains. Pourquoi choisir au lieu de faire monter les enchères ? La Russie, à l’instar de la France, cherche à étendre son influence à l’international et cela passera par des partenariats avec l’Afrique.

Instauration d’une stabilité durable : L’avenir de l’Afrique subsaharienne dépend de sa capacité à résoudre ces problèmes profonds et à instaurer une stabilité politique et économique durable au profit de ses populations. Cela nécessite un engagement continu des gouvernements, des institutions régionales et de la communauté internationale pour renforcer les capacités des États, promouvoir la bonne gouvernance, combattre la pauvreté et améliorer les opportunités économiques pour tous les citoyens.

Il importe grandement d’exercer une critique aiguisée et d’exprimer des exigences rigoureuses envers les gouvernants civils, eu égard aux politiques qu’ils mettent en œuvre. Cependant, il ne saurait être question pour autant de soutenir les militaires politisés. Pléthore de contrées sur notre continent n’ont connu que l’emprise des forces militaires, et si ces dernières devaient constituer la solution, la Mauritanie, le Tchad et bien d’autres états africains jouiraient d’un développement prodigieux. Or, ces nations n’ont vécu que de brèves parenthèses où les civils ont eu le pouvoir. En Mauritanie, le pouvoir exécutif ainsi que le pouvoir législatif, cœur de la démocratie, se trouvent actuellement aux mains des militaires.

Le discours qui se plaît à glorifier les militaires ou à s’enthousiasmer simplement parce qu’un militaire a prononcé un discours enflammé à Saint-Presbourg lors du sommet Russie-Afrique témoigne du peu d’ambitions des populations. À l’heure actuelle, nombre d’Africains accordent leur soutien aux militaires, mais que feront-ils lorsque (car il ne fait nul doute que cela adviendra) d’autres militaires viendront renverser les militaires actuels ? Ce n’est point par une rupture continue des ordres constitutionnels que l’Afrique parviendra à émerger de la situation désastreuse dans laquelle elle se trouve.

La résolution de ces problèmes complexes et profonds nécessitera une approche globale et concertée, impliquant les acteurs nationaux, régionaux et internationaux œuvrant de concert pour instaurer un avenir empreint de stabilité, de progrès et de félicité pour l’Afrique subsaharienne.

 

 

Aboubacry Lam

 

 

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 01 août 2023)

 

 

 

 

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