Sénégal – À Ziguinchor, « avec Sonko jusqu’à la mort ! »

Afrique XXI – Reportage · En avril, l’écrivain sénégalais Elgas s’est lancé un défi durant un bref séjour dans la ville dont Ousmane Sonko est le maire : réaliser une radioscopie de sa popularité. Mélangeant éléments de reportage et réflexions personnelles, il propose de décrypter le « phénomène Sonko » depuis le prisme casamançais.

Ziguinchor, avril 2023.

Sa vieille Renault 12 toussote et crache de la fumée noire à chaque accélération. Demba1 est pourtant souriant et prolixe. Il n’en fait guère un drame. Si la carapace de cette voiture n’a plus fière allure et qu’elle est destinée à la casse, son propriétaire est reconnaissant envers ce tas de ferraille d’avoir été l’instrument de son ascension sociale. Mécanicien depuis ses 16 ans, il a eu le nez creux quand il en avait 30 : retaper une carrosserie que l’on pensait irrécupérable, y abriter un moteur qui semblait l’être encore plus, et faire des deux un curieux attelage qui pourtant roule. De l’abnégation, de la suite dans les idées, et deux coups de peinture jaune et noire plus tard, sans doute une touche de baraka, et le voilà propulsé au rang social d’au-dessus : chauffeur de taxi.

Quand je monte à bord, en avril 2023, il fend ce qu’on appelle l’« avenue des 54 mètres » à Ziguinchor, artère principale de la ville chef-lieu de la Casamance, à l’extrême sud du Sénégal. Demba raconte avec nostalgie et bonheur les mille et une vies de cette voiture, les 150 000 F CFA (228 euros) qu’il réussit crânement à gagner chaque mois, les deux femmes qu’il a épousées depuis ce salaire régulier. La discussion dans l’habitacle, alors qu’on se dirige vers le quartier Escale, roule sur des banalités : le Casa Sports, équipe de football phare de la ville, les routes cahoteuses à cause des pavés posés sans soin, les nouveaux chantiers prometteurs de la cité. Sous son rétroviseur intérieur pendent deux clichés en miniature, deux portraits du maire de la ville, Ousmane Sonko. Le détail ne manque pas d’attirer l’œil. Habituellement, le rétroviseur est la place de choix dévolue aux photos de marabouts, guides spirituels prisés. Se faire une place dans ce soleil immortel, ce n’est pas un petit exploit.

« Que penses-tu d’Ousmane Sonko ? » je lui demande, question que je me suis promis de poser à tous mes interlocuteurs lors de ce voyage. Je n’ai pas de doute sur ce qui va suivre. Sonko est le maire de la ville, mais il est aussi le leader et le fondateur du Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité́), et le principal opposant au président, Macky Sall. Réponse gourmande : « Avec Sonko, jusqu’à la mort ! C’est notre seul espoir. » Le visage est barré d’une détermination sans faille, un calme assuré résonne dans sa voix. « Pour Sonko, je suis prêt à mourir. » Le propos ne semble nullement surjoué ou mensongé, ni émaner d’un délire passager. Demba a 40 ans, quatre enfants, des projets, et pas vraiment un profil de kamikaze. Mais il est un inconditionnel, il défend son leader. Lui qui n’a jamais voté de sa vie, le voici désormais prêt à défier cet immobilisme : il s’est inscrit sur les listes électorales et n’attend plus que le sacre de Sonko, qu’il accompagnera de son vote.

 

Un puits d’énergie et d’espoir

 

Des Demba, Ziguinchor en regorge, ai-je pu noter le temps d’un court séjour. De tous les âges, de toutes les conditions, de toutes les ethnies. Forces vives fédérées par un désir ardent, celui de voir leur champion arriver au pouvoir. Peu importe à qui l’on parle, les tonalités sont les mêmes, ou presque : un mélange d’euphorie, de conviction, de soutien viscéral que rien ne semble pouvoir ébranler. Leurs détracteurs y voient un zèle propre à la grammaire messianique, l’emprise du gourou sur ses admirateurs. Eux répondent sans trembler : non ! Ce n’est pas une impulsion, c’est un choix, rationnel et conscient. C’est une conviction qui prend sa source dans un puits d’énergie et d’espoir, qui les porte et les anime. Ils ne sont pas des pions aveugles et écervelés, et font du mépris à leur égard un carburant, un supplément d’âme combattante.

Cette popularité se mesure à l’œil nu à Ziguinchor, ordre du jour formel ou informel : cour d’une maison, banc à palabres, terrasse où l’on scrute et défie le temps, partout, l’écho de cette notoriété retentit. Dans cette ville meurtrie par la guerre indépendantiste qui a fait rage dans les années 1980 et 1990, où les stigmates de la désaffection colorent encore les rues, les conciliabules qui se forment sous les manguiers sont souvent unanimes : peu de désaccord ou de discorde, le nouvel édile de la ville est le véhicule d’un espoir qui vient jeter dans le regard des habitants un rai de lumière et de rêve malgré le rude quotidien.

Dans le quartier de Néma 2, longtemps grand oublié du cadastre, la frénésie immobilière a changé le décor. Les bâtiments sortent fièrement de terre, lotissements superposés dans un vaste foutoir, comme une poussée de champignons qui change le décor et affecte un semblant de vitalité économique. Dans l’un d’eux, bâtiment sec et nu qui a tout d’un hangar à l’abandon, le propriétaire pakistanais n’a pas daigné s’embarrasser de décorations. Des travailleurs journaliers y cousent des sacs de noix de cajou pour 100 F CFA l’unité. Presque exclusivement des femmes. Elles monnayent leur talent de couture contre un maigre salaire, dans cette cour où le soleil pique sans répit. Étape essentielle dans ce circuit industriel de transformation de la noix de cajou, qui puise sa matière première dans la forêt casamançaise et bissau-guinéenne, pour aller s’achever au Brésil ou en Inde, entre autres pôles de transformation.

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Elgas

Elgas est docteur en sociologie, journaliste et écrivain sénégalais.

 

 

Source : Afrique XXI

 

 

 

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