Menacés mais passionnés, les journalistes fixeurs en Afrique racontent leur métier

Méconnus, ils sont nécessaires dans le processus de fabrication de l'information. Rencontre avec plusieurs d'entre eux, de la Somalie à la RDC en passant par la Sierra Leone et la Zambie.

 Slate – Sur le continent africain, les sujets ne manquent pas: urgence climatique, terrorisme, phénomènes migratoires, présence d’investisseurs chinois et indiens, ingérence russe, etc. Pour réaliser des reportages qui seront ensuite diffusés dans des médias européens, les journalistes envoyés spéciaux travaillent régulièrement avec des fixeurs. Ils ne bénéficient pas de statut officiel, mais les fixeurs peuvent être considérés comme des journalistes, s’ils n’exercent pas déjà ce métier dans leur pays d’origine.

Derrière ce terme, apparu lors de la guerre du Golfe en 1991 et qui vient de l’anglais «to fix», qui signifie «arranger, préparer», il y a une tâche aux multiples facettes. Ils sont les traducteurs, les informateurs, les chauffeurs et surtout les yeux et les oreilles des journalistes étrangers sur le terrain. Sans eux, impossible de faire vite, difficile de faire bien.

Qui sont-ils? Quels sont leurs profils? Mais surtout, comment vivent-ils personnellement ce métier? Contrairement aux journalistes étrangers qui peuvent rentrer à tout moment chez eux, eux ne peuvent pas partir.

«Je pense toujours à ma sécurité en premier, c’est primordial»

En Afrique, des conflits armés sont toujours en cours, qu’il faut continuer de médiatiser. Notamment au Soudan, au Tigré –région autonome du nord de l’Éthiopie– ainsi qu’en République démocratique du Congo (RDC), dans la province du Nord-Kivu. Lorsque des médias européens envoient des reporters au Nord-Kivu (situé à l’est de la RDC), Moses Sawasawa, photojournaliste de 24 ans, aide parfois des journalistes étrangers à obtenir des accréditations.

Âgé de 24 ans, Moses Sawasawa est photojournaliste et fixeur en République démocratique du Congo (RDC). | DR

Correspondant de l’agence de presse américaine Associated Press (AP), Moses Sawasawa collabore régulièrement avec The Guardian et Libération. Conscient des risques, Moses Sawasawa est l’inverse d’une tête brûlée. Après avoir analysé la situation dans la province, il a déjà refusé de travailler avec certains médias et journalistes étrangers.

En avril 2023, lorsque les rebelles du M23 quittent le village de Bunagana, au Nord-Kivu et à la frontière avec l’Ouganda, après près de dix mois d’occupation, des dizaines de journalistes étrangers lui écrivent, mais il refuse toutes les propositions de collaborations. «Je pense toujours à ma sécurité en premier, c’est primordial. La plupart des journalistes étrangers font leur reportage et le publient une fois rentrés chez eux. Tout ça peut retomber sur la tête du fixeur, alors qu’eux n’ont plus grand-chose à craindre», détaille-t-il.

Interpellé plusieurs fois, il a déjà vu son matériel détruit sous ses yeux, mais il continue d’exercer son métier par vocation, dans un pays où la liberté de la presse n’existe que sur le papier. Parmi les sujets qui l’ont marqué, Moses Sawasawa se souvient péniblement d’une matinée du mois de mai dernier, durant de terribles inondations au Sud-Kivu, qui ont engendré au moins 400 morts, 5.000 disparus et 3.000 familles sans-abri. «Tu te sens inefficace, mais tu essaies de bouger ton doigt pour appuyer sur le déclencheur de l’appareil photo, sans rien dire, avoue-t-il. Devant tous ces corps déchirés et déshabillés, tu réalises que ton appareil pèse presque cent kilos.»

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Paul BoyerÉdité par Émile Vaizand

Source : Slate (France)

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