Entre l’Algérie et le Niger, la prison à ciel ouvert d’Assamaka

Depuis 2014, l’Algérie multiplie les expulsions vers le Niger de migrants subsahariens dans des convois plus ou moins officiels, et sans aucune humanité. Abandonnés dans le désert, ils doivent marcher plusieurs heures pour atteindre le village d’Assamaka, où, livrés à eux-mêmes, ils survivent comme ils peuvent.

Afrique XXI – Des files de migrants s’étendent sur une centaine de mètres au milieu du désert nigérien. Ils attendent aux portes du commissariat d’Assamaka. Depuis une dizaine d’années, ce village proche de la frontière entre l’Algérie et le Niger est le réceptacle des migrants d’origine subsaharienne expulsés par l’Algérie. Ces derniers n’ont parfois d’autre choix que d’y rester sans aucune solution et d’errer dans les rues de cette petite localité perdue au milieu du désert.

Entre le 1er janvier et le 1er avril 2023, l’ONG Alarme Phone Sahara, qui vient en aide aux migrants dans la zone sahélo-saharienne, a comptabilisé 11 336 personnes expulsées de l’Algérie vers le Niger. Début mai, plus de 5 000 d’entre elles étaient bloquées à Assamaka, selon les autorités nigériennes.

Depuis 2014, l’Algérie est devenue une machine à expulser1. Terre d’immigration pour de nombreux Subsahariens, ce pays a longtemps fermé les yeux sur un phénomène dont tout le monde semblait s’accommoder : ces migrants venaient faire les travaux dont ne voulaient plus les jeunes Algériens. Puis tout a changé après un drame : le 2 octobre 2013, 92 migrants (des Nigériens pour la plupart) sont retrouvés morts dans le désert, à quelques kilomètres de la frontière nigéro-algérienne. Ils faisaient partie d’un convoi de 112 personnes, dont une majorité de femmes et d’enfants venus de la région de Zinder, dans le sud du Niger2.

Après cette découverte macabre, les deux États ont multiplié les contrôles sur la route et ont passé un accord (tacite) en décembre 2014 permettant à l’Algérie de renvoyer les femmes et les enfants nigériens entrés clandestinement sur son sol.

« Cet accord devait permettre à l’Algérie de renvoyer vers le Niger les citoyens nigériens se trouvant en situation d’irrégularité », rapporte l’ONG Alarme Phone Sahara. Mais la réalité est aujourd’hui bien différente. Si, durant les premières années qui ont suivi la signature de l’accord, la plupart des rapatriés étaient des femmes et des enfants (dont beaucoup étaient originaires de la région de Zinder), au fil du temps, les cibles de la police algérienne ont changé. Elle a commencé par expulser des hommes nigériens puis, à partir de 2017, des ressortissants d’autres pays que le Niger – des Ouest-Africains pour la plupart, mais aussi des Syriens, des Palestiniens ou encore des Bangladais. Beaucoup sont de jeunes hommes, voire des mineurs3, et certains d’entre eux ne devraient pas être expulsés – soit parce qu’ils sont en situation régulière en Algérie, soit parce qu’ils possèdent une attestation de réfugié délivrée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

À partir de 2018, on assiste, selon les mots d’un responsable de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) en poste à Niamey à l’époque, à « une véritable chasse à l’homme noir » dans les villes algériennes. Le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme des migrants, Felipe González Morales, s’en inquiète en octobre 2018.

À l’issue d’une mission au Niger, il dénonce le « mode opératoire » choisi par les autorités algériennes. « Ces expulsions collectives de l’Algérie vers le Niger constituent une violation flagrante du droit international, notamment du principe fondamental de non-refoulement et des garanties d’une procédure régulière, et doivent cesser immédiatement », assène-t-il. Sans suite. Les autorités nigériennes ont beau dénoncer la dérive d’Alger, rien n’y fait. En février 2017, l’actuel président, Mohamed Bazoum, alors ministre de l’Intérieur, demande à l’Algérie de cesser ces expulsions. Là aussi sans succès.

Une politique « raciste »

Le 12 février 2023, un convoi arrive au « Point zéro », un no man’s land situé à la frontière algéro-nigérienne où les autorités algériennes jettent les migrants, en plein désert. Sur les 899 personnes arrivées ce jour-là, Alarme Phone Sahara a recensé une majorité de Guinéens et de Maliens et une seule personne de nationalité nigérienne. Parmi eux, un grand nombre d’hommes, mais aussi des femmes parfois enceintes, des enfants et des personnes âgées. Certains ont été dépouillés de leurs biens lors de leur arrestation. Isolés au milieu du désert, parfois en pleine nuit, toutes et tous se retrouvent sans eau ni nourriture, et doivent parcourir 15 kilomètres à pied pour rejoindre le village d’Assamaka. Un chemin où l’on peut se perdre. En les abandonnant ainsi, le gouvernement algérien les met en danger de mort.

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Shaï Pauset

Journaliste indépendante, engagée sur les questions de migrations, d’exil et de droits humains

Source : Afrique XXI

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