En Côte d’Ivoire, le fétiche maléfique était bien contaminé par une bactérie

A Kpo-Kahankro, des dizaines d’enfants et de bébés sont tombés malades, et beaucoup meurent. Les scientifiques ont enquêté, mais pour les villageois, ça ne fait aucun doute : le phénomène est mystique.

Le Monde – Une véritable psychose s’est emparée de Kpo-Kahankro. Dans ce village baoulé de 2 000 âmes, comme il en existe tant sur la route qui relie Yamoussoukro à Bouaké, dans le centre de la Côte d’Ivoire, le mal a frappé à deux reprises, en décembre 2022 puis en février, toujours pendant la nuit. Convulsions, vomissements, diarrhées… Des dizaines d’habitants sont touchés. Selon le décompte du chef de village, 21 sont morts – 16, d’après les autorités. Des enfants en bas âge pour la plupart.

« On nous dit que c’est fini, mais comment savoir ? Ça peut revenir dans un mois, ou une semaine », s’inquiète Brou Elisabeth Angan, en faisant sécher des anacardes (noix de cajou) sur une bâche. Debout, son mari, Kwamé Yéboué, égrène les morts. « Celle-là a perdu un enfant, dit-il en montrant une femme. On a aussi eu un mort ici. Deux autres là-bas… »

« Ça a commencé la nuit du 2 décembre [2022], aux environs de 3 heures du matin, se souvient le vieil homme en arpentant le petit bourg écrasé de soleil. On est venus nous réveiller parce qu’une jeune mère appelait ses voisins. Elle disait que son enfant était souffrant, qu’il vomissait, qu’il convulsait. » Le médecin d’un village voisin ne peut rien faire. L’enfant meurt dans son sommeil, peu après son retour à Kpo-Kahankro.

 

Au village, la détresse se répand : enfants et bébés tombent malades les uns après les autres pendant la nuit. Les symptômes sont les mêmes dans chaque foyer. Grâce à un député qui accepte de leur envoyer une ambulance, plusieurs villageois sont transportés jusqu’au CHU de Bouaké. Cinq d’entre eux y mourront.

Les premiers soupçons portent sur une injection de vitamine A. « Des agents de santé communautaires venaient juste de piquer les enfants, explique Brou Elisabeth Angan. On y a beaucoup réfléchi, on s’est dit que ça ne pouvait être que ça. » Mais les responsables du village et les forces de l’ordre mènent l’enquête, et la théorie ne tient pas : deux des six victimes n’avaient pas reçu d’injection.

A Noël, l’affaire semble terminée. Les autopsies n’ont rien donné. « Et puis la nuit du 20 au 21 janvier, raconte Kwamé Yéboué, ça a recommencé. Et cette fois, c’était pire. On a eu quinze morts» Le CHU de Bouaké doit consacrer une aile entière aux 40 malades de Kpo-Kahankro, celle jadis consacrée au Covid-19.

La panique gagne la population. Beaucoup fuient. Dans les villages voisins, l’accueil est hostile. « Certains nous chassaient, raconte le représentant des jeunes de Kpo-Kahankro, Paul Kouassi N’Guessan. Ils disaient qu’on allait les contaminer. » Les cultures et les champs d’anacardes sont laissés à l’abandon. « Notre économie en a beaucoup pâti », rapporte M. N’Guessan, lui-même maraîcher.

 

Rituel de protection

 

Pour les villageois, ça ne fait aucun doute : le phénomène est mystique. A force de tourner et retourner l’histoire, on se rappelle qu’un notable de Kpo-Kahankro a fait venir chez lui un féticheur pour accomplir un rituel de protection, en décembre. Après la cérémonie, un objet a été enterré à l’entrée de sa maison. Il a été déterré pour un second rituel à la mi-janvier puis enseveli à nouveau.

Tout converge vers ce fétiche, affirment les responsables du village à l’équipe de médecins et de gendarmes venus enquêter sur place. « Le corps médical et le corps habillé [les forces de l’ordre] ne nous croyaient pas, soupire Paul Kouassi N’Guessan. Ça a failli créer des palabres [querelles] entre nous. Ils me disaient qu’ils étaient scientifiques, je leur disais qu’on était africains. Les forces mystiques existent en Afrique, il ne faut pas les négliger»

Les enquêteurs acceptent finalement de creuser devant la maison du notable. Ils déterrent un « canari » : deux moitiés de calebasses remplies d’eau, de terre, d’herbes et de racines, et hermétiquement scellées. « Un vrai bouillon de culture », résume Joseph Bénié Bi Vroh, directeur de l’Institut national de l’hygiène publique (INHP), joint au téléphone par Le Monde Afrique.

Dans le liquide contenu dans le fétiche, les chercheurs découvrent un germe, le Clostridium botulinum. « C’est une bactérie qui existe dans la terre et la poussière, encapsulée sous forme de spore. Mais dans des conditions de faible concentration d’oxygène, elle produit des toxines botuliques extrêmement dangereuses, même à petite dose », explique le scientifique.

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(Abidjan, correspondance)

Source : Le Monde

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