Après 40 ans derrière les barreaux en Israël, le plus ancien détenu politique palestinien est sorti de prison

Membre du Fatah, l’homme de 66 ans, Palestinien citoyen d’Israël, avait initialement été condamné à mort en 1983 pour avoir tué un soldat israélien.

 Le Monde – Keffieh sur les épaules et crâne rasé, debout dans la grande tente dressée vers l’entrée du village d’Ara, dans le nord d’Israël, Karim Younis avait l’air un peu perdu, derrière ses lunettes rectangulaires, jeudi 5 janvier, dans la soirée.

Un flot continu de voisins, militants et anciens prisonniers se pressait autour de lui pour l’embrasser, prendre quelques photos, lui glisser un mot ; toutes les cinq minutes, il répondait aussi de bonne grâce au téléphone qu’on lui tendait. Après quarante ans dans les prisons israéliennes, le plus ancien détenu palestinien est désormais libre, mais ne s’appartient pas encore tout à fait.

« Je ne peux exprimer ce que j’ai en moi et ce que je ressens. Aujourd’hui, j’ai humé l’air et j’ai vu le soleil », avait-il décrit quelques heures plus tôt, à son arrivée dans le village. L’ex-détenu s’est d’abord recueilli sur la tombe de ses parents – sa mère est décédée en mai 2022 – avant de rejoindre ceux venus le féliciter. « Chaque histoire de prisonnier est l’histoire de tout un peuple, et je suis fier de faire partie de ceux qui se sont sacrifiés pour la Palestine », leur a-t-il dit.

Un « héros, combattant de la liberté »

Karim Younis a été condamné à mort en 1983, pour avoir, avec deux de ses proches, Sami et Maher Younis, enlevé et tué un soldat israélien, Avi Bromberg, en 1980, sur le plateau du Golan, occupé par Israël. Sa peine a été commuée en prison à perpétuité, puis, en 2012, réduite à quarante ans. Les Palestiniens font valoir leur droit à résister à l’occupation israélienne « par tous les moyens disponibles, y compris la lutte armée », référence à la résolution 37/43 de l’ONU en 1982. Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a félicité, jeudi, un « héros, combattant de la liberté ».

Les autorités israéliennes ont tenté de limiter les célébrations autour de sa libération. « En attendant que le gouvernement ne passe une loi imposant la peine de mort aux terroristes, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour m’assurer qu’ils quittent la prison avec honte », a prévenu le nouveau ministre de la sécurité nationale, le suprémaciste juif Itamar Ben Gvir. Jeudi matin, avant l’aube, Karim Younis avait été extrait de sa cellule de la prison de Hadarim et transporté jusqu’à Raanana, dans le centre du pays, où les services de sécurité l’ont déposé. Il a dû demander à des passants de lui prêter leur téléphone afin de pouvoir joindre sa famille et rentrer chez lui. Dans l’après-midi, la police a fait annuler un cortège prévu dans son village.

 

Cette affaire est particulièrement symbolique, car, contrairement à l’immense majorité des quelque 4 650 prisonniers « sécuritaires » palestiniens en Israël, Karim Younis n’est pas issu des territoires occupés. Descendant de Palestiniens restés sur leurs terres en 1948, à la création de l’Etat hébreu, lorsque plus de 700 000 Palestiniens ont été chassés de chez eux, il détient donc la nationalité israélienne. La famille du soldat qu’il a tué a exigé que sa citoyenneté lui soit retirée, ainsi qu’à son cousin, Maher, qui finit de purger sa peine de quarante ans de prison et devrait sortir dans deux semaines.

L’impuissance des dirigeants palestiniens

Le ministre de l’intérieur israélien, Arié Deri, a transmis la demande au procureur général, affirmant envoyer « un message important » à « ceux qui sont devenus des symboles pour leurs actes terroristes ». Une législation adoptée en 2018, prévoyant la déchéance de nationalité en cas de « défaut de loyauté » n’a encore jamais été appliquée à des citoyens israéliens, mais l’Etat hébreu a révoqué, en 2021, le statut de résident du Franco-Palestinien Salah Hamouri à Jérusalem.

Par la longévité de sa peine, Karim Younis incarne la « soumoud, la résilience palestinienne, explique Rahaf Mansour, 18 ans, venue de Majd Al Krum, à une heure de route, pour saluer le prisonnier libéré. C’était important pour moi d’être présente aujourd’hui, envoyer un message à l’occupation : nous sommes là, et vous ne pourrez pas nous dégager ». « Je suis fier, poursuit Fouad Younis, un voisin de 21 ans, qui vit à Ara. On a grandi en entendant répéter son nom. »

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Source : Le Monde

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