Peine de mort : aux États-Unis, l’année des exécutions « bâclées »

Avec un total de dix-huit mises à mort, le recul de la peine capitale s’est confirmé dans le pays en 2022, mais son application a souvent été marquée par des incidents. La première exécution de 2023 est programmée dès le 3 janvier, dans le Missouri.

Le Monde  – Depuis plus de vingt ans, la peine de mort est en recul aux Etats-Unis. L’année 2022 a confirmé la tendance : dix-huit exécutions ont été enregistrées, soit le plus petit nombre depuis 1991, à l’exclusion des deux années de pandémie (dix-sept en 2020 et onze en 2021).

Pour la huitième année d’affilée, moins de trente personnes y ont été exécutées, contre 98 en 1999, l’année record, explique le Centre d’information sur la peine de mort (Death Penalty Information Center, DPIC), l’organisme de référence sur la question, dans son rapport annuel. Six Etats seulement (sur les vingt-sept où la peine capitale est légale) ont procédé à des exécutions : le Texas et l’Oklahoma (cinq chacun), l’Arizona (trois), le Missouri et l’Alabama (deux chacun), ainsi que le Mississippi (une).

Les condamnations à mort sont également en recul. Malgré les surenchères sur la sécurité qui ont marqué la campagne pour les élections de mi-mandat (midterms) en novembre 2022, le recours à la peine capitale n’a pas progressé, relève le DPIC. En 2022, les jurys américains ont prononcé vingt condamnations à la peine capitale, soit le nombre le plus bas jamais enregistré (hors pandémie). Le « record » date de 1998, avec 295 condamnations.

 

Les partisans de l’abolition se gardent cependant de pavoiser : 2022 restera comme « l’année des exécutions bâclées », déplore le DPIC. Sur vingt mises à mort programmées, sept – soit plus d’un tiers – ont été marquées par des incidents qui ont probablement causé une souffrance supplémentaire au condamné. En cause : l’incompétence des auxiliaires chargés de l’exécution et des protocoles défaillants ou mal mis en œuvre. « Alors que le soutien à la peine de mort diminue, nous observons un comportement de plus en plus extrême et irresponsable de la part des Etats qui veulent l’appliquer », a expliqué au New York Times le directeur du DPIC, Robert Dunham.

Un « carnage »

La figure emblématique de ces botched executions (« exécutions bâclées ») restera celle de Joe Nathan James, 50 ans, condamné en 1999 dans l’Alabama pour l’assassinat d’une ancienne compagne. Le 28 juillet, le détenu a enduré la mise à mort la plus longue depuis que la peine capitale a repris aux Etats-Unis, en 1976. Trois heures ont été nécessaires au personnel de la prison d’Atmore pour réussir à poser l’intraveineuse permettant d’injecter le cocktail de substances létales.

Commencée à 18 heures, l’exécution n’a été déclarée terminée qu’à 21 h 27. Quand les témoins et les journalistes ont été autorisés à entrer dans la salle d’observation, à 21 heures, le condamné était inconscient et il n’avait prononcé aucune des dernières paroles que sont invités à délivrer ceux qui vont mourir. Une autopsie réalisée par l’ONG Reprieve a montré des veines perforées, des lacérations dans les bras, probablement le résultat du travail d’un personnel non qualifié. Un « carnage », selon l’expression du magazine The Atlantic.

 

Deux autres condamnés de la même prison d’Atmore ont fait l’expérience d’une boucherie similaire, mais leur vie a été épargnée. Le 22 septembre, le personnel n’a pas réussi à installer la perfusion dans les veines du condamné Alan Miller, 57 ans, avant l’expiration de l’autorisation de procéder à l’exécution.

Le 18 novembre, Kenneth Smith, 160 kilos, n’a pas pu être exécuté. Il a affirmé que les bourreaux avaient cherché ses veines pendant plus d’une heure, y compris avec une large aiguille sous la clavicule, et étaient allés jusqu’à le suspendre en position verticale ligoté à un brancard. « Kenny, c’est pour ton bien », lui a dit l’officiant. Le détenu, que son avocat décrit comme « le seul homme à avoir survécu à une exécution » aux Etats-Unis, a porté plainte contre l’Etat. L’Alabama s’est engagé à ne plus jamais tenter de lui infliger d’injection létale. Dans cet Etat du Sud, qui est pourtant l’un des champions de la peine capitale et au premier rang du pays pour le nombre de condamnés rapporté à la population, la gouverneure, Kay Ivey, a préféré ordonner une pause dans les exécutions et une réévaluation du protocole.

Toujours 2 414 condamnés en attente

Dans le Tennessee, le gouverneur, Bill Lee, a suspendu l’exécution du détenu Oscar Smith, une heure avant le déclenchement des opérations, le 21 avril, quand il a appris que certains tests de contaminants n’avaient pas été effectués dans la préparation du cocktail de substances létales. Les cinq exécutions prévues en 2022 ont été mises entre parenthèses. Le 28 décembre, le rapport qu’il avait mandaté a montré que l’administration pénitentiaire ne respectait pas le protocole depuis des années ; la pharmacie n’avait pas vérifié la puissance du midazolam, le premier produit injecté, censé anesthésier l’individu.

Tous les Etats qui ont procédé à des exécutions en 2022 sont dirigés par des gouverneurs républicains. Aucun gouverneur démocrate n’en a approuvé depuis 2017, lorsque le détenu William Morva a été tué en Virginie. Quatre ans plus tard, cet Etat a rejoint le camp abolitionniste, lorsque les démocrates se sont emparés de la majorité. L’année précédente, le Colorado avait pris une décision similaire et commué la peine des trois derniers condamnés.

A défaut d’abolition, qui nécessite une décision législative, les gouverneurs démocrates prennent de plus en plus sur eux de s’opposer aux exécutions dans leur Etat. Le 13 décembre 2022, à la veille de quitter ses fonctions, la gouverneure de l’Oregon, Kate Brown, a commué la peine des dix-sept condamnés en détention à perpétuité. Elle a ordonné au bourreau de démanteler le quartier de la mort, comme l’avait fait son homologue de Californie, Gavin Newsom, en 2019.

Le gouverneur du Nevada, Steve Sisolak, battu aux élections du 8 novembre 2022, pensait effectuer la même manœuvre avant son départ. Il en a été empêché par un juge, saisi par les procureurs républicains, qui a estimé qu’il n’avait pas prévenu les familles suffisamment à l’avance. Le Nevada, qui compte 57 personnes dans le couloir de la mort, n’a procédé à aucune exécution depuis 2006. Le nouveau gouverneur, Joe Lombardo, un ancien shérif, a l’intention de reprendre les exécutions avant l’expiration du stock de substances pour les injections létales.

Trente-sept Etats – sur cinquante – ont maintenant soit aboli la peine capitale, soit n’en ont pas fait usage depuis plus de dix ans. Vingt-quatre n’ont plus de détenu dans leur couloir de la mort. Il reste néanmoins 2 414 condamnés à mort dans le reste du pays, dont cinquante et une femmes, qui continuent d’attendre le dénouement de leur sort.

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Source : Le Monde 

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