Viols, agressions, chantage : les violences sexistes et sexuelles minent aussi le cinéma africain

Alors que la plupart des pays du continent criminalisent le harcèlement, l’impunité prévaut, laissant peu de place à la parole des femmes et à la justice.

Le Monde – « Quand tu es une femme dans le cinéma, les hommes veulent coucher avec toi pour te dominer et te contrôler. Si tu refuses, ça devient violent. » Ce constat, Kady Traoré le dresse après vingt ans de carrière. Connue en Afrique pour ses rôles dans des films et des séries populaires (Traque à Ouaga, Super flics), la quadragénaire, également réalisatrice, brise le silence.

Pour la première fois, ce visage familier des écrans burkinabés et ivoiriens dit publiquement avoir été victime de deux tentatives de viol dans l’exercice de son métier. « J’ai souffert de m’être tue si longtemps pour préserver mon image. Je parle pour retrouver ma fierté », annonce-t-elle.

Kady Traoré évoque une première agression, en 2017, lors du Festival international de Carthage, en Tunisie, commise par un journaliste ivoirien. « Mon groupe et moi avions dîné avec lui. Dans la soirée, il a tapé à la porte de ma chambre d’hôtel. Je l’ai fait entrer puis il m’a jetée sur le lit. Je me suis débattue et il s’est enfui. »

 

Deux ans après, elle affirme avoir subi une nouvelle tentative de viol. L’auteur serait un célèbre réalisateur qui lui avait fait des avances dans le passé. « On s’est retrouvé à un festival à l’étranger pour présenter le film sur lequel j’avais travaillé. Un soir, alors qu’il donnait une fête, il m’a sauté dessus dans un recoin de la maison. Je me suis défendue en le mordant. Il a déchiré ma robe et mes dessous. » Kady Traoré n’a pas porté plainte, par peur, dit-elle, que « que [sa] parole ne soit pas accueillie par les policiers ».

« Prédation sur les comédiennes »

Alors que, aux Etats-Unis et dans certains pays européens, le mouvement #metoo a ouvert la voie aux dénonciations des violences masculines dans le cinéma, et que l’ancien producteur Harvey Weinstein a de nouveau été jugé coupable, lundi 19 décembre, d’agressions sexuelles, en Afrique francophone, ces voix demeurent inaudibles.

C’est le cas d’Azata Soro, dont le visage a été lacéré par le cinéaste Tahirou Tasséré Ouédraogo, qu’elle accuse également d’agressions sexuelles – il a été condamné en novembre 2017 à dix-huit mois de prison avec sursis pour « coups et blessures volontaires » et au paiement des frais de santé. Contrainte à l’exil en France pour sa sécurité et ses soins, elle a tenté, en 2019, de fédérer les femmes du cinéma francophone autour de #mêmepaspeur pour les encourager à dénoncer leurs bourreaux. Menée avec le soutien de plusieurs actrices comme Aïssa Maïga ou Nadège Beausson-Diagne, qui a elle-même confié avoir été agressée par deux cinéastes africains dans sa carrière, la campagne n’a pourtant pas donné lieu à une déferlante.

 

« #mêmepaspeur n’a pas pris car, contrairement à ce qui se passe dans les pays occidentaux, en Afrique, il y a peu de conséquences judiciaires pour les agresseurs. Il m’est arrivé d’accompagner des victimes de violences physiques au commissariat pour porter plainte. Les policiers leur ont parfois ri au nez ou leur ont demandé de laisser tomber et de rentrer chez elles. En plus d’exposer son intimité, dénoncer, c’est affronter des hommes qui ont la justice avec eux, car ils sont souvent plus puissants que vous », juge Osvalde Lewat.

Cette cinéaste et romancière camerounaise, l’une des premières à avoir documenté, dès 2005, le travail du gynécologue et prix Nobel de la paix (2018) Denis Mukwege auprès des femmes violées dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), estime urgent d’ouvrir un débat sur le consentement.

« Ceux qui ont le pouvoir – réalisateurs et producteurs – sont en position d’exercer une véritable prédation sur les comédiennes. Et cela dans un contexte culturel où l’attente sociale d’un homme dominant est très forte. Quand une actrice couche pour un rôle, c’est rarement par désir. La réflexion sur le consentement reste marginale dans notre secteur », explique Osvalde Lewat en invitant à s’inspirer des pays d’Afrique anglophone où une plus grande vigilance règne à l’endroit des violences sexuelles.

« Grande gueule »

Longtemps chasse gardée des hommes, le septième art africain s’est tardivement féminisé. Il a fallu attendre les années 2000 avec le développement du numérique et le foisonnement des écoles de formation pour qu’émerge une nouvelle génération d’actrices, de techniciennes, de scénaristes et de réalisatrices. Depuis quelques années, le boom des séries télévisées attire aussi de plus en plus de jeunes femmes, qui découvrent un univers marqué par des rapports de force.

 

A 25 ans, la réalisatrice Cornélia Glèlè ne mâche pas ses mots. Assistante de production, cette militante féministe béninoise a créé le Festival international de films de femmes de Cotonou. Elle juge que sa « grande gueule » l’a protégée des agressions violentes. Sans pour autant l’épargner du harcèlement sexuel, diffus sur les plateaux, selon elle. « Ce sont toujours des remarques sur le physique sur un ton faussement comique. J’ai déjà entendu de la part de techniciens : “Tu me plais, j’adore tes fesses.” Ou alors : “Tes seins ont une forme de citron ou de cacao ?” »

C’est ce climat « malsain » qui a poussé Kady Traoré à arrêter le métier d’actrice, en 2014.  « Si tu te plains qu’un cinéaste t’appelle tout le temps, qu’il est dominant avec toi sur le plateau, on te répond qu’il te fait la cour. Il y a l’idée qu’un non va devenir un oui à force d’insister. Un jour, un homme qui me harcelait m’a demandé : “Si tu m’embrasses, ça t’enlève quoi ?” »

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Coumba Kane

Source : Le Monde

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