Coupe du monde 2022 : au Qatar, une atmosphère de festival panarabe

Dans les tribunes des stades comme dans les rues de la capitale qatarie, la fête du football mondial se mue en retrouvailles fraternelles entre les peuples du Levant, du Maghreb et du Golfe, trop souvent séparés par les frontières et les conflits.

Le Monde  – Une marée de supporteurs en maillot rouge déferle sur les allées du Souk Waqif, le marché central de Doha. Drapeau du royaume marocain en main, ils viennent célébrer la victoire inattendue de leur équipe, dimanche 27 novembre, sur la sélection belge. « Tremblement de terre, tremblement de terre, nos salutations à tout le monde arabe », s’égosillent les fans, dans un tonnerre de youyous et d’applaudissements.

A mesure que les héros du jour slaloment entre les terrasses des restaurants et des cafés qui bordent le souk, haut lieu touristique, le cortège grossit et se transforme en une mêlée euphorique, d’où surgissent d’autres bannières, aux couleurs de la Palestine, de l’Egypte et de l’Arabie saoudite. « C’est l’union arabe ici, tous les peuples de la région sont présents », s’exclame Khadija, 35 ans, ingénieure informatique à Casablanca, un drapeau palestinien sur le dos. « Aujourd’hui, je suis marocain, il y a quelques jours, lorsqu’ils ont battu l’Argentine j’étais saoudien, et demain peut-être je serai tunisien », renchérit à l’unisson Abdallah, un fonctionnaire koweïtien.

Même si elle fait de la place à toutes les nationalités, la Coupe du monde qatarie a un indiscutable parfum arabe. Les voisins du Qatar, Saoudiens en premier lieu, mais aussi Emiratis, Koweïtiens et Omanais ont débarqué en masse dans la presqu’île gazière, en avion ou en voiture. En témoignent les effluves d’oud et de bakhour, deux fragrances ambrées très prisées dans le Golfe, qui planent dans les travées du souk ou de certaines boutiques chics de Doha.

Retrouvailles familiales

Les ressortissants qataris ont évidemment acheté des places, mais ils ne constituent que 10 % des trois millions d’habitants de l’émirat et certains d’entre eux, craignant les embouteillages ou un choc des cultures trop violent, ont profité de la fermeture des écoles pour partir à l’étranger. En revanche, les dizaines de milliers de résidents arabes de la monarchie, pôle d’attraction professionnelle de la région, se sont rués sur la billetterie et en ont profité pour faire venir des membres de leur famille.

« Je n’avais pas vu ma mère depuis sept ans et ma sœur depuis onze ans », raconte Hamza, le directeur syrien d’une chaîne de télévision financée par le Qatar, qui travaille entre Istanbul et Doha. La carte Hayya, qui fait office de visa pour les détenteurs de billets, leur a permis à toutes les deux de se rendre dans l’émirat, via Beyrouth, chose impossible en temps normal. « On a passé les deux premiers jours à pleurer sur des canapés, ces retrouvailles étaient trop émotionnelles. Malheureusement, mon frère, qui habite en Autriche, n’a pas réussi à obtenir la Hayya. »

 

Ce rassemblement des peuples du Levant, du Maghreb et du Golfe, trop souvent séparés par les frontières et les conflits, couplé aux résultats relativement bons des quatre équipes arabes en lice, donne à ce Mondial qatari un air de grand festival panarabe. Après les terribles années 2010, marquées par l’échec des révolutions, plusieurs guerres civiles dévastatrices et une régression économique et politique généralisée, l’organisation, pour l’instant sans faille de la compétition, met du baume sur le sentiment d’impuissance et de défaite qui imprègne les sociétés arabes.

« Ça donnera peut-être des idées à d’autres »

« Tout le monde pensait qu’ils allaient se planter, et le Qatar a relevé le défi, ça nous remplit de fierté », s’enthousiasme Sami, une vedette saoudienne de Snapchat, attablé à un café de Msheireb, un autre quartier du centre de Doha, où il enchaîne les selfies avec les admirateurs de passage. « Ils donnent une excellente image du monde arabe, ça montre qu’on peut réussir de belles choses, et ça donnera peut-être des idées à d’autres », renchérit Mehdi, un Tunisien qui travaille dans le BTP, rencontré quelques rues plus loin.

L’avalanche de critiques formulées par les médias occidentaux en amont de l’événement, que ce soit au sujet de l’exploitation des ouvriers ou bien des discriminations envers les LGBT+ dans l’émirat, a piqué les susceptibilités arabes. La riposte du Qatar, consistant à assimiler ces accusations à une forme de moralisme hypocrite, voire à de l’islamophobie, a convaincu un très large pan de l’opinion public, de Rabat à Bagdad. La twittosphère arabe est inondée de posts relevant le « deux poids deux mesures » des médias européens, souvent impitoyables avec le Qatar et beaucoup plus accommodants avec Israël.

 

« La campagne anti-Qatar se retourne contre ses initiateurs, assure Abbad, un écrivain palestinien installé à Doha. C’est l’occasion pour nous de développer des stéréotypes plus positifs, de profiter de cette plate-forme pour mettre en valeur notre culture et nos causes. »

La plus sacrée d’entre elles, la Palestine, est omniprésente dans les rues et les stades de Doha. Sur la chaîne qatarie BeIN Sports, les commentateurs en arabe des matchs ne manquent jamais une occasion de signaler l’apparition dans les tribunes d’un drapeau palestinien. « Résiste à l’oppression de tes ennemis, ô Palestine bien aimée », scandaient les supporteurs marocains à la sortie de leur match contre la Belgique. A rebours du discours des autorités de Rabat, qui mettent l’accent sur les bénéfices de l’accord de paix signé avec Israël en 2020.

« L’endroit le plus paisible au monde »

Les supporteurs arabes se sentent d’autant plus chez eux que le Mondial qatari, aussi démesuré soit-il par certains aspects, valorise une forme de retenue dans les comportements, d’affabilité bon enfant, entretenue, entre autres, par les restrictions imposées sur la consommation d’alcool. « Il n’y a pas de bagarre, pas de gens saouls dans la rue, c’est l’endroit le plus paisible au monde », se félicite Sami. « Doha a su habilement naviguer entre les règles de la FIFA [Fédération internationale de football] et les coutumes locales », estime Abbad.

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Source : Le Monde

 

 

 

 

 

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