Villes et fossés / Par Tijane Bal

Comme en témoignent les réactions aux récentes inondations, la ville peut être un objet infini de réflexions dans des registres différents : historiques, politiques, géographiques, sociologiques et artistiques.

Il n’est que de penser à Living in the city, la chanson de Stevie Wonder. «En vie juste assez, juste assez pour la ville» se lamente l’artiste. Et de déplorer : «cet endroit est cruel, aucun endroit pourrait être plus froid» avant de prévenir : »If we don’t change the world will soon be over».

Dans une thématique proche, Barack Obama, contant son expérience de social organizer, se désolait de voir des quartiers des villes américaines où «les casiers judiciaires se transmettaient de père en fils». «La ville africaine» n’est pas en reste.

Dès les années 50 (des études antérieures existent probablement), l’anthropologue Georges Balandier publiait un ouvrage de référence : Sociologie des Brazzavilles noires. Bien plus récemment, dans une contribution à «Atlas historique de l’Afrique», intitulée les villes coloniales, Odile Goerg explore notamment des thématiques au carrefour de l’urbanistique et du politique.

Ainsi de ce qu’elle appelle la «séparation spatiale» et la «hiérarchisation des espaces » D’emblée, elle expose le rôle «fondamental» des villes dans «l’exercice de la domination» et donc de la hiérarchisation. A titre d’illustration, elle explique comment, durant la période coloniale, la malaria a servi d’argument à la «séparation des habitants». «Renonçant à éliminer les eaux stagnantes, les autorités (coloniales) se concentrent sur des zones délimitées, celles habitées par les Européens dont il faut préserver la santé mais surtout affirmer le statut de dominants» observe-t-elle. Dans cet esprit, Odile Goerg explique que les Britanniques avaient adopté ce qu’elle nomme le «modèle indien des Hill Stations », décrits comme des «stations d’altitude, lotissements exclusifs» construits pour les administrateurs coloniaux.

Des similitudes avec aujourd’hui? L’on sait par ailleurs à quel point le Group Areas Act, délimitant scrupuleusement les zones résidentielles suivant des lignes raciales, fut l’un des piliers de l’Apartheid. A présent, «les Européens» ne sont plus là. Il convient de se demander si, et dans quelle mesure, les autorités nationales qui ont pris le relais recréent d’autres hiérarchies implicites ou évidentes.

A elles seules, les dénominations de certains quartiers sont significatives de ces hiérarchies. La séparation entre quartiers résidentiels et quartiers populaires est éloquente. Les taudis des grandes métropoles africaines d’aujourd’hui n’ont probablement rien à envier à ce qu’il pouvait y avoir durant la période coloniale.

«Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons» pensait un grand nom de la littérature. Il aurait pu ajouter… et de ses bidonvilles. Basée au 1er chef sur le statut social, la fracture résidentielle peut épouser d’autres lignes de partage.

D’où vient par exemple que dans tel quartier de telle ville, des femmes ont d’autant plus de « chances » de se voir demander si elles recherchaient un travail de bonne qu’elles sont noires? Probablement au fait qu’elles ne répondent pas au profil dominant des «résidentes» dudit quartier.

Des esprits acérés avaient observé que peu après la fin de la ségrégation aux Etats-Unis, les panneaux white only de certains parcs avaient été remplacés par ceux portant la mention residents only. Les résidents étant blancs de manière quasi exclusive, les deux statuts finissent par se superposer. On n’en est pas loin. Peu s’en faut.

Tijane Bal

Facebook – Le 21  août 2022

Suggestion kassataya.com :

Kaédi et ailleurs à genoux ! / Par Tijane Bal

Polyandrie et polyphonie / Par Tijane Bal

« Les li-mythes du Maroc » / Par Tijane Bal

Les opinions exprimées dans cette rubrique n’engagent que leurs auteurs. Elles ne reflètent en aucune manière la position de www.kassataya.com

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page