Mamane, président-fondateur du Gondwana et « parrain » du rire africain

Humoristes africains (1/7). Le Nigérien aux multiples casquettes soutient les jeunes talents du continent à travers une émission télévisée, un festival à Abidjan et, bientôt, une école d’humour à Niamey.

Le Monde – Le front humide, un jeune homme monte sur la scène du Palais de la culture d’Abidjan. Il bafouille, ânonne ses plaisanteries. Un four. Heureusement, la salle est vide. Le tournage du « Parlement du rire », un spectacle diffusé sur Canal+ Afrique depuis des années, est prévu seulement le lendemain.

« Va chercher ton texte, on va le reprendre ensemble, tu vas y arriver », lui lance le producteur de l’émission, l’humoriste Mamane. Quelques minutes plus tard, l’apprenti revient sous les projecteurs, enchaîne les blagues et provoque les rires des équipes. La main sur le cœur, il remercie son « mentor et patron ».

 

Combien de jeunes Mamane a-t-il aidé ces dernières années à prendre la lumière ? A gagner leur vie en faisant rire les autres ? Les soirs de spectacle, les comédiens en herbe sont nombreux à patienter devant sa loge pour le saluer. Tous espèrent être remarqués par celui qui, en une décennie, est passé du statut d’humoriste à celui de « parrain » du rire africain. « Sur Canal+, le “Parlement du rire” fait plus d’audience que le foot », aime-t-il répéter pour qu’on mesure le succès de son émission.

A 55 ans, Mohamed Mustapha – son nom à l’état civil – a de multiples casquettes : humoriste, chroniqueur, producteur, scénariste et réalisateur. Chef d’entreprise aussi, avec sa société Gondwana City Productions, créée en 2012 et qui compte aujourd’hui une dizaine de salariés. Mamane est un pionnier dans l’industrie du rire en Afrique francophone et de « la comédie sous toutes ses formes », précise-t-il.

 

De Ruquier à RFI

 

Celui qui s’est fait connaître en France comme l’un des rares Noirs de la « bande à Ruquier » (une équipe de chroniqueurs qui entouraient l’animateur Laurent Ruquier), au mitan des années 2000, a conquis le continent africain à partir de 2008 grâce à sa chronique sur Radio France internationale (RFI).

Depuis près de quinze ans, du lundi au jeudi, juste après le journal, Mamane croque avec ironie les errements politiques de l’Afrique. Tous ses récits se déroulent dans la « République très très démocratique du Gondwana », un pays imaginaire dirigé par le « président-fondateur », une sorte d’avatar de satrape africain, paranoïaque et rongé par des lubies.

Cet « anti-modèle de société », dit Mamane, est devenu une référence culturelle dans les sociétés africaines. En Afrique, « les opposants critiquent les régimes en les comparant au Gondwana, tandis que les chefs d’Etat veulent m’inviter chez eux pour me prouver qu’ils ne sont pas le président-fondateur de la République très très démocratique », se félicite-t-il en riant. Il estime, rien de moins, que cette satire quotidienne est un « message d’éveil des consciences pour un printemps africain ».

 

Si la pastille d’humour connaît un franc succès, elle n’est pas du goût de tous. « Larbin de la France », « apatride », « nègre de service »… Le chroniqueur est régulièrement pris pour cible sur les réseaux sociaux, notamment en raison de sa présence sur les ondes du service public français. « Cette minorité se reconnaît dans le miroir du Gondwana que je leur tends », répond-il.

Les premières années, ses détracteurs lui reprochent d’être « planqué à Paris ». Une critique qui, pour ce Nigérien fils de diplomate, ne passe pas. En 2015, il décide de revenir à Abidjan, la capitale économique ivoirienne, où il a grandi et fait une partie de ses études. C’était « nécessaire pour l’écriture, pour vivre les réalités du continent », confie-t-il.

A la tête de sa société de production, il a aussi développé le « Gondwana Club », un spectacle organisé tous les vendredis soir à Abidjan pour encourager les jeunes talents de Côte d’Ivoire à tenter leur chance sur les planches. Dans la même veine, il a lancé le festival « Abidjan capitale du rire », qui réunit chaque année des humoristes de tout le continent et des milliers de spectateurs. En 2016, son premier long-métrage, Bienvenue au Gondwana, est sorti en France. Et il travaille aujourd’hui sur deux projets de séries télévisées, une comédie et un spin-off (une série dérivée) de son film.

 

Un contrat et un cachet

 

Tous ces divertissements contribuent à façonner une infrastructure du rire en Côte d’Ivoire et créent des opportunités pour les jeunes comédiens ouest-africains qui ne souhaitent pas aller à l’étranger pour vivre de leur talent. « Tous ceux qui passent chez nous signent un contrat avant de monter sur scène et sont payés à la fin de leur spectacle. Ils nous disent que c’est la première fois qu’on les poursuit pour qu’ils prennent leur cachet ! », se gargarise Mamane. Une quasi-exception dans ce milieu artistique encore relativement informel et précaire. Mais la donne est en train de changer, veut croire le producteur : « L’humour est l’objet culturel sur scène le plus demandé par les organisateurs d’événements à travers l’Afrique. »

 

Pour répondre à cette appétence du public africain, il faut former les talents de demain. Et c’est à Niamey, au Niger, que Mamane a décidé d’ouvrir une « école d’humour » pour « former à l’écriture de sketch, de scénario, au jeu sur scène et aux métiers de la production ». Un retour aux sources pour ce natif d’Agadez qui s’est « reconnecté » avec son pays natal en étant confiné dans la capitale nigérienne au début de la pandémie de Covid-19. S’il a posé la première pierre, le projet n’est pas encore abouti, faute de financements.

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Source : Le Monde (Le 11 juillet 2022)

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