Tic de langage : les sournois du « c’est ça »

CHRONIQUE. L’abandon du « oui » au profit de « c’est ça » donne de l’autorité tout en faisant mine d’encourager son interlocuteur.

Le Monde  – Au XXIIe siècle, nombreux seront sans doute les linguistes à consacrer des thèses à la disparition du « oui » dans la langue française au siècle précédent. Ils noteront que, dans la première partie du XXIe siècle, celui-ci fut ponctuellement remplacé par l’expression « c’est ça », que celle-ci se répandit dans tous les milieux et sans résistance.

Parmi les tics de langage de l’époque, ceux qui répondent « c’est ça » en guise de « oui » s’en sortent étonnamment bien, alors que ceux qui abusent de « du coup » sont devenus la cible de tous les sarcasmes. Tandis que les « du coup » peuvent irriter à force d’imposer des articulations logiques là où il n’y en a pas, le « c’est ça », légèrement flatteur pour l’interlocuteur qui les reçoit comme si on le félicitait d’un « bien vu » à chaque remarque, n’a aucune raison d’agacer.

 

Le « c’est ça » permet aussi à celui qui l’emploie de se donner une vague autorité sur le sujet abordé : on approuve, on montre de l’intérêt mais on n’applaudit pas des deux mains, on retient son enthousiasme.

Enfin, alors que l’engouement pour le développement personnel et la ­communication non violente s’est accompagné de formations encourageant à valider ou à reformuler tout ce que l’autre vient de dire, « c’est ça » est un outil précieux évitant d’avoir recours à un artificiel « j’entends ce que tu dis ».

A quoi on les reconnaît

Ils ne savent pas qu’ils disent tout le temps « c’est ça ». Ça fait des années qu’ils n’ont pas entendu « oui » : leurs parents disaient « absolument », « complètement » ou « tout à fait », leurs grandes sœurs disaient « c’est clair » et leurs petits frères « pas faux » ou « j’avoue ».

Au travail, en réunion, après chaque prise de parole, ils approuvent d’un « c’est ça » quand un hochement de tête ferait l’affaire. Ils se moquent de ceux qui disent « pas de souci » et partagent sur LinkedIn des posts moqueurs à destination de ceux qui disent « du coup ». Mais ils ne voient rien de drôle à dire « en capacité » au lieu de « pouvoir », « inapproprié » au lieu de « ça se fait pas » et utilisent « voilà » comme des virgules.

 

Comment ils parlent

Parfois, ils prononcent « c’est ça » avec une légère ironie façon cause toujours.

Ils varient les intonations, les « c’est ça » pouvant être très affirmatifs ou très exclamatifs.

Leurs grandes vérités

C’est le doublage des séries américaines qui est à l’origine de nos tics verbaux. Les gens qui acquiescent avec des « carrément » ou « totalement » sont très excessifs. Même si c’est agaçant, ça peut arriver qu’on soit beaucoup à vouloir dire la même chose en même temps.

Leurs questions existentielles

Vous êtes sûr que je l’ai dit ? Et si c’était pas ça ?

Leur Graal

Une fois de temps en temps, s’encanailler et dire « oui » très lentement.

 

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Guillemette Faure

 

 

 

Source : Le Monde 

 

 

 

 

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